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  • Ceux qui maraudent

     

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    Celui qui grappille dans les vignes du Seigneur / Celle qui se nourrit principalement de produits importés par la firme dans laquelle elle est employée surnuméraire / Ceux qui se contentent d’une Ope Cup Saké avant de se mettre au lit dans leur tenue de nuit / Celui qui laisse son toutou Tom jouer sur le tatami de Tina la tatouée / Celle qui se douche à l’eau glacée entre un morceau de Stockhausen et le suivant de Schnittke / Ceux qui pagaient au rythme de la pendule tenue bien droite à l’arrière de la pirogue / Celui qui réprouve la pratique des garçons d’extrême-droite tirant à l’arbalète sur les marmottes pacifistes du haut Toggenburg / Celle qui met à fond les amplis pour chanter Saison des amours au karaoké face à la mère qui roule sa houle / Ceux qui vont exprès à Washington D.C. pour voir les Bonnard de la collection Philips / Celui qui s’exclame avec son crâne accent genevois : bravo bonnard vive Calvin ! / Celle qui aimait bien entendre Bouvier dire bonnard quand il avait le moral donc pas très souvent / Ceux qui font leur miel des faits divers du journal Le Matin dit plus souvent le Tapin / Celui qui lit debout dans le métro de Yokohma le manga sadique du père qui frit debout aussi sa fille à la poêle après l’avoir découpée en fins morceaux / Celle qui estime que le Japon doit être tenu à l’écart de l’Europe Unie / Ceux qui planchent sur la relance du dinar grec / Celui qui prétend avoir eu un rapport oral avec Limonov mais c’est pile le genre du type à se vanter un lendemain de Renaudot ou de Toussaint / Celle qui n’écoute pas ceux qui lui parlent mais eux non plus / Ceux qui estiment de leur devoir de lancer sur Facebook une association des homonymes Duclou / Celui qui a envoyé des messages à 6 homonymes Delaclope sans réponse à ce jour / Ceux qui ont une pensée émue chaque matin pour leurs 666 amis de Facebook aux prénoms variés / Celui qui est sûr de récolter 666 « j’aime » quand il colle une photo de myosotis sur Facebook / Celle qui « partage » toujours les photos de myosotis ou de hamsters malicieux sur son profil positif / Ceux qui ont passé de Facebook à Twitter pour protéger la confidentialité des révélations de leur cousine championne de canasta / Celui qui convoite le badge de meilleur joueur sur la nouvelle console japonaise du bar La Baraka / Celle qui constate avec inquiétude que le badge que portait hier son fils est le même qui a été retrouvé à côté de l’écureuil égorgé dont parlent ce matin les tabloïds / Ceux qui concluent après les derniers événements qu’après ça on ne sait plus où on va au jour d’aujourd’hui / Celui qui sa tatoue le torse au sang de bigarreaux / Celle qui se cueillait des bécots aux lèvres des voyous du quartier avant l’extinction de la race hélas / Ceux qui descendent la rivière de Grappillon / Celui qui palpait à douze ans déjà les nichons sans bonnets / Celle qui choisit les plus beaux morceaux des charcutiers charnus / Ceux qui rôdent toujours dans les vergers de leur adolescence de sauvageons, etc.

       

  • Ceux qui se regardent sans se parler

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    Celui qui pianote sur les côtes de la violoniste muette / Celle qui est jalouse de ton silence / Ceux qui sourient à la danseuse en surpoids / Celui qui n'a jamais levé aucune grue / Celle qui ne sortira de chez elle (dit-elle) que par la porte-bonheur / Ceux qui ont dérobé le toupinard de Madame Cléo / Celui qui se prend la proue en pleine poire / Celle qui se payerait toute la tête de gondole pour que Venise lui soit contée / Ceux qui confondent les mètres de toile et les toiles de maîtres / Celui qui est Basque quand d'autres ne sont que bérets /  Celle qui fait le vide autour de celui qui remplit les creux / Ceux qui ne t'auront pas au jeu de qui perd crache /  Celui qui a en lui la monotonie du rythme arabe non sans sursauts latinos / Celle qui donnerait tout Picasso pour un sous-bois assorti à ses rideaux / Ceux qui aiment Paris en juillet au motif qu'on l'a tout à soi / Celui qui peint à façon comme une piqueuse de bottines / Celle qui rougit quand elle voit deux brosses se faire reluire /Ceux qui passent de l'âge bête à l'âge bestial / Celui qui s'est chassé de bonne heure et de bonne humeur du giron familial / Celle qui dit à tout moment "c'est la vie " avec l'air de penser le contraire /Ceux qui déconseillent Chicago aux liftiers pygmées / Celui qui ne sait pas si le temps vient à lui ou s'il le quitte / Celle qui se laisse aller au temps qui surgit / Ceux qui (dixit Pajak) pleurent pour se désaltérer de leurs larmes / Celui qui alterne la lecture des Esquisses pour un troisième journal de Max Frisch et le deuxième tome du Manifeste incertain de Frédéric Pajak en lisant parfois à haute voix (à sa compagne juste revenue des States) des passages de l'un touchant aux Américains ou de l'autre sur les gens qui se regardent sans se parler dans le métro de Paris et plus généralement un peu partout avec des pics dans le métro de Tokyo / Celle qui a tant pesé sur la tête de son fils qu'il l'est resté à tout jamais / Ceux qui vivent "dans la joie de la plus harmonieuse désolation", etc.

     

    Image: Frédéric Pajak, in Manifeste incertain 2. Editions Noir sur Blanc, 2013.

  • Votre attention, s'il vous plaît...

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    À propos du Café littéraire de JLK, ce jeudi 3 octobre à la Médiathèque de Saint-Maurice.

     

    Le manque d'attention est l'un des vices majeurs de notre époque, affirmait l'écrivain Maurice Chappaz à la fin de sa vie, devant un parterre de jeunes gens du Collège de Saint-Maurice, en Valais.  

     

    Or, quatre ans après la mort de celui qui fut l'un des plus remarquables écrivains romands dans la postérité de Ramuz, du même Collège où elle enseigne, la prof de latin Geneviève Erard m'a adressé une invitation à participer au Café littéraire qu'elle organise à la Médiathèque-Valais de Saint-Maurice, avec sa collègue Catherine Widmann Amoos, avant de me gratifier, plus concrètement, d'une attention plus que rare: exceptionnelle. D'abord en lisant la plupart de mes vingt livres, en les annotant et en y relevant  une quantité de citations témoignant de sa sagacité de lectrice, ensuite en préparant, pour notre rencontre, une série de questions dont les réponses exigeraient non pas une heure mais au moins dix ou cent - des soirées de palabres...  

     

    Zap02.jpgDans le contexte actuel de dispersion et de distraction exacerbées par le battage des médias et l'énervement général, de tels témoignages sont de vrais cadeaux. Comme cet autre vrai cadeau qui m'a été fait, il y a peu, par un nouvel ami du nom de Sergio Belluz, auteur lui-même d'un livre merveilleusement tonique sur la Suisse (CH, La Suisse en kit, paru aux édition Xénia) et m'envoyant de longues missives sur deux de mes recueils de carnets qu'il a aimés, à savoir Les Passions partagées et L'Ambassade du papillon.

     

    L'orgueil ou la vanité d'un auteur est une chose, et nul n'y échappe, mais le bonheur de partager réellement ce qu'on a accompli, livre ou oeuvre d'art quelconque,  à l'attention des autres autant que pour soi-même, est mille fois plus gratifiant qu'aucun honneur public, flafla médiatique, prix littéraires et compagnie. Un livre est une bouteille à la mer, et c'est toujours une grâce de le savoir recueilli et de le savoir apprécié (plus ou moins, peu importe) par quelqu'un qui prenne la peine de lire et, plus rare: de répondre. Autant dire que je me réjouis très sincèrement de cette nouvelle rencontre avec "quelques-uns"...  

     

    JLK au Tibet-Jaman.JPGCafé littéraire: À la rencontre de JLK, le 3 octobre, de 12h.30 à 13h.30. Bâtiment Saint-Augustin, 6 rue du Simplon.

    Infos et Pdf du document préparatoire de Geneviève Erard: www.mediatheque.ch/mediatheque-st-Maurice

     

     

  • Vallotton et le philistin

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    À propos d'un premier article, dans Le Figaro, ruisselant de morgue et prouvant combien le génie de l'artiste reste "inadmissible" pour d'aucuns...

     

    Paul Léautaud conseillait de lire, de temps à autre, un roman "de carton" pour s'exercer le goût par défaut. De la même façon, la lecture de  mauvaises critiques visant de bons livres m'a toujours intéressé, de Proust à Ramuz en passant par Céline. Idem pour la peinture, où les malentendus sont souvent plus criants, surtout depuis la fin de XIXe siècle évidemment.

     

    Je venais de lire Vallotton est inadmissible de Maryline Desbiolles, remarquable "lecture", tout à fait personnelle, de ce qu'on pourrait dire l'oeuvre de Félix Vallotton à sa pointe, dans le plus ardent et le plus hardi de son expression, lorsque j'ai pris connaissance du papier consacré à l'exposition du Grand Palais dans les colonnes du Figaro, sous le titre immédiatement tendancieux et dépréciatif de Félix Vallotton, le mal helvète, signé Eric Bietry-Rivière. 

     

    En sous-titre, l'auteur de l'article se livre à une révélation pour ainsi dire définitive, en annonçant que cet artiste franco-suisse était "trop orgueilleux". Le survol de l'exposition est ensuite amorcé par la description des six autoportraits "émaillant" la rétrospective, qui "à eux seuls", selon notre suréminent confrère, résument la vie de cet artiste franco-suisse "résolument inclassable" et qui, nouveau scoop, "aima cultiver le mystère" tout au long d'une "production pléthorique". Pensez donc: un Franco-Suisse, atteint du "mal helvète", qui peint comme ça 1700 tableaux !

    Vallotton33.jpgLa suite de l'article du Figaro (journal franco-français lu jusque dans les colonies et parfois même en Suisse romande) creuse plus profond en scrutant le premier autoportrait de Vallotton. Comme dans les titres de la revue criminelle Détective, l'auteur de l'article annonce que, somme toute, "tout Vallotton" est déjà là. C'est un "écorché vif au teint blafard" qui "nous toise" de ses "yeux rougis" (la masturbation suisse, sans doute) de "romantique neurasthénique". Et notre auteur de convoquer Strindberg, Haneke et Dostoïevski, après avoir rappelé des "traumatismes" du jeune Vallotton en son jeune âge qui expliqueraient "un sentiment d'inanité existentielle", lequel "ira parfois jusqu'à un amour de la morbidité"...        

    Vallotton3.jpgLe "mal suisse" ne se borne donc pas au péché d'Onan, stigmatisé par l'excellent Docteur Tissot, pur Suisse ami de Voltaire (auteur français connu jusqu'en Suède), mais va plus profond: jusqu'au nihilisme; "un noircissement du monde", précise Monsieur Figaro. D'ailleurs Vallotton n'accoutumait-il pas de dire: "La vie est une fumée" ? Et là, nouvelle révélation: à savoir que cette vue sombre ressortit au "carcan luthérien de  Lausanne".  Evidemment, on ne demandera pas à un suréminent critique formé à l'école de Détective de faire la distinction entre Luther et Calvin ( les fameux duettistes Calvaire et Lutin), mais le fait est que, jusque-là, pas un mot n'a été dit de la peinture de Vallotton. Si pourtant, voici que nous apprenons que sûrement, le "carcan lutérien de Lausanne" explique "une texture lisse et froide" et "des arabesques et des couleurs aussi tranchantes que son ironie". Tout cela ayant "valeur de protestation". Ah bon ?

    Vallotton17.jpgLa suite est non moins édifiante. Voici l'autoportrait de Vallotton à 32 ans, cette fois il a une barbichette en pointe et "une mèche tombe sur son front d'intello". Mais déjà cet "orgueileux" se montre en somme "inadmissible". Monsieur Figaro voit en lui un "Parisien branché" qui ne voudrait pour rien au monde être "associé à Cézanne" (je me pince devant tout ce savoir...), pas plus qu'il ne veut être confondu avec les "vieux expressionnistes" (là  je tombe devant tant de pertinence) ni non plus avec les "néo", les "jeunes fauves" et  autres "cubistes"...    

    Nouvelle révélation: admirateur d'Ingres et de Degas, des "as du dessin" à la Holbein ou à la Dürer, ou du maniériste Bronzino, Vallotton ne peut qu'opter (Monsieur Figaro s'improvisant opticien) pour la ligne "claire et serpentine" ! Si notre grand orgueilleux fraie avec les nabis, c'est "en retrait". Je ne rêve pas puisque c'est écrit: "Il cache ses mains tandis que celle des Bonnard et des Vuillard volettent". La honte de ses mains le fait cependant poursuivre "en solitaire", note encore Monsieur Figaro, qui relève ensuite toutes les influences dont procède la peinture de ce franco-suisse orgueilleux et branleur, des Hollandais à Toulouse-Lautrec.

    Comme on ne peut être tout à fait dépréciatif, pour un Franco-suisse qui accède tout de même au Grand Palais (dont le commissaire de l'expo a risqué pour sa part, dans une double page de 24 Heures, journal de "luthériens" lausannois, la comparaison avec Hopper, au bénéfice de l'Helvète...), Monsieur Figaro consent à reconnaître que Vallotton "sait comme personne fouiller le bois pour ménager le blanc et sublimer le noir", avant de se déchaîner plus librement contre la partie assurément la plus datée, la plusdiscutable, voire la plus irrecevable de l'oeuvre, entre symbolisme et mythologie revisités par un regard grinçant. Et Monsieur Figaro de conclure au "ridicule", avant de pointer la posture cynique que le peintre affecterait selon lui dans l'autoportrait de 1914.

    Mais sur l'essentiel de l'oeuvre: rien. Sur le coloriste fabuleux et l'originalité propre de son "théâtre" intime ou social: rien. Sur le mystère réel de cette peinture en ses extraordinaires paysages  (et pas le pseudo-mystère de son existence fantasmé par l'auteur du papier) et ses flamboiements, proches de ceux du dernier Hodler préfigurant l'abstraction lyrique, de Nolde aux Américains: moins que rien...

    La morgue serait-elle un "mal parisien" ? Quant à moi, je n'en crois rien, mais enfin...