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  • Ceux qui (re)lisent Proust

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    Celui qui affirme que la lecture de Proust est d'abord et avant tout une expérience de lecture en soi et pure soie / Celle qui a passé pas mal de temps (entre 7 et 77 ans) à chercher l'entrée de La Recherche sans la trouver avant d'y entrer avec la clef d'une prénommée Céleste / Ceux qui roulaient De DionBouton "à l'époque" / Celui qui a fait le pèlerinage du parc Monceau avant de se commander une noisette à l'angle de la rue Legendre où il fourguait ses occases au bouquiniste irascible /Celle qui se promet de prénommer sa fille Marcelle au dam de son père cyclophile qui préférerait Louison / Ceux qui abondent dans le sens du voyageur hirsute qui proclame que la lecture de Proust comme l'Alsace (ça se passe entre Strasbourg et Nancy et il a visiblement sifflé des canons) ménage toujours "un paysage neuf" quand on y revient / Celui qui recherche l'angle mort depuis lequel le Narrateur observe son monde / Celle qui estime que la plupart des écrivains arrivés se sont contentés d'un trop brillant Jean Santeuil à leur façon avant de le resucer chaque année en vue d'un prix qu'ils reçoivent en effet avant l'Académie où ils se feront grave chier  / Ceux qui avouent à dessert qu'ils n'ont pas lu Proust "personnellement" / Celui qui a trempé dans "le jus noir" de la chambre de Marcel Proust dont il précise qu'elle sentait "le bouchon tiède" et "la cheminée morte" / Celle qu'a longtemps excédée la seule pensée de ce livre dont elle pressentait que ses dimensions excédaient sa capacité de liseuse genre liseron / Ceux qui entrevoient des Passages entre ceux de Proust et ceux de Walter Benjamin dont on peut imaginer aussi les téléphonages /  Celui qui a trouvé bien changé le Bon Marché et n'a jamais retrouvé le Petit Dunkerque / Celle qui regrette que des photos n'aient pas été prises à Pompéi en quoi elle montre son manque patent d'imagination/  Ceux qui s'intéressent de plus en plus à l'Hypertexte proustien qui inclut les SMS du Narrateur à Albertine quand celle-ci passait des plombes sur Meetic où elle signait Agostinello / Celui qui se fait passer pour Odette de Crécy sur Facebook alors qu'il en bave dans un faubourg d'Abdijan / Celle qui s'indigne de ce qu'en CM2 on fasse lire ce pédérasque / Ceux qui par snobisme trouvent ce Proust vraiment trop snob, etc.

     

    Bon35.jpg(Liste établie en commençant de lire le Work in progress de François Bon intitulé Proust est une fiction, paru au Seuil tout récemment)    


    Image: Jessy Deshais  

  • Ceux qui attendent leur tour

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    Celui qui n'a pas de coupe-file / Celle qui estime que la queue de Vallotton au Grand Palais va lui prendre les deux heures qu'elle pensait consacrer à la préparation de crêpes pour ses neveux / Ceux qui étaient pourtants sûrs que leur fille Amandine avait ses chances au casting du concours pour la Miss du demi-canton / Celui qui se rappelle l'irrésistible ton plaintif de Zouc quand elle soupirait: "Je rattends"... / Celle qui enrage de voir ce rustre de Jean-Victor se marier finalement avec son amie Paule (disons prétendue amie) après qu'elle-même l'eut envoyé promener sans être sûre de ne pas se tromper eu égard à la situation des Bonfils désormais acquise à cette Paule fille de postier de guichet  / Ceux qui attendent une nouvelle même mauvaise pour pallier l'ennui de l'hiver à Vesoul /Celui qui a commencé à s'intéresser au cours du yen quand il a perdu ses chances auprès de la Chinoise fortunée / Celle qui n'est pas encore au courant de la décision du pasteur de Malmö de ne pas marier son fils Sven au fondé de pouvoir de son coeur au motif que cela aurait déplu à feu Dag Hammarskjöld "à l'époque"et malgré sa propre orientation sexuelle différente à ce qu'on a dit / Ceux qui ont tous deux changé de sexe avant de s'unir devant Dieu (trisexuel notoire) sans changer ni l'un ni l'autre leur prénom respectif de Dominique et Claude /  Celui qui constate a posteriori que cette Virginia qui l'a repoussé a un arrière-train de piano à queue et des touches  vraiment très écartées quant au clavier dentaire / Celle qui reconnaît dans la queue de Vallotton au Grand Palais une ancienne élève de son cours de catéchisme qui se réclamait ouvertement du Cantique des cantiques / Ceux qui de toute façon ne s'en font pas même d'être réveillés en pleine nuit par des militants du groupe Tous solidaires leur reprochant en tant qu'élus chrétiens de gauche de ne pas dénoncer la destruction du refuge pour migrants La Marmotte ordonnée par les néo-libéraux de la commune - où tu vois Marcelle la collusion des Tous pourris /Celui qui fait remarquer à celle qu'un imbécile notoire vient de plaquer qu'ainsi cela fait deux heureux / Celle qui constate que sa mère pleure plus qu'elle le crétin d'ailleurs presque chauve qui l'a jetée / Ceux qui se réjouissent de penser déjà au printemps alors que la télé de novembre est tellement négative, etc.

    Image: Zouc.

     

         

  • Un Nobel triplement bienvenu !

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    Le Prix Nobel de littérature à la Canadienne anglaise Alice Munro a de quoi réjouir les amateurs de bonne littérature et de vieilles fées, et ceci pour trois raisons au moins. D'abord parce qu'il couronne un des meilleurs auteurs vivants de langue anglaise. Ensuite parce qu'après Nadine Gordimer, Toni Morrison et Doris Lessing, notamment, il consacre une femme. Enfin parce que la nouvelliste illustre un genre jugé "peu vendeur" par les temps qui courent, en tout cas en France, alors que la nouvelle (ou short story) marque souvent la pointe du plus gand art, chez un Tchékhov comme chez une Flannery O'Connor ou un William Trevor. Entre tant d'autres, dont Alice Munro au premier rang !  

  • À cause du père

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    À propos de Sauf les fleurs, de Nicolas Clément

     

    Concentré de violence et de douleur lancinante, ce petit livre relève de l'exorcisme poétique, modulé dans une langue-geste singulière,  originale et parfois déroutante, évoquant les douleurs paysannes des Campagnes de Louis Calaferte, ou le film Padre padrone...

     "J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus", note Marthe en commençant de relater son enfance, et celle de son frère cadet Léonce, pourrie par la violence insensée d'un père mutique et brutal qui bat leur mère sans les ménager non plus, ne prononçant plus leurs prénoms mais se jetant "sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets".

     

    Marthe, elle, échappe à la vie qui la gèle en cousant pour sa mère et en lisant des histoires à son frère, se rappelant le temps passé où son père était son prince, avant de devenir son "ennemi juré" et de prier chaque soir pour que meure "celui qui frappe sans vergogne et désosse le visage de maman".  On n'apprendra rien des motifs de la violence paternelle. On sait que l'âpre terre et ses travaux rendent parfois les coeurs plus durs que la pierre et les humeurs mauvaises, mais ici, de la Marthe de douze à dix-neuf ans, on ne saura que la peine et la haine ravalée d'un père qui jette les livres au feu et déteste les mots appris à l'école - les "phrases à la con".

     

    On murmure, et ce pourrait être une embellie, que "maman a rencontré quelqu'un", puis c'est à Marthe que revient le cadeau d'une rencontre avec l'apparition de Florent, qui va l'aimer et la protéger jusqu'au bout de sa nuit. "Je donnerais toute ma vie pour avoir une vie", avait-elle écrit". Comblée par Florent (elle a seize ans) elle note encore ces drôles de phrases: ""À l'odeur de ses mots fous dans mes cheveux, je sais que Florent a souci du puzzle que je suis, tandis que s'estompe l'image clouée à l'envers de ma boîte. Nés d'un fil entre deux paysages, nous vivons d'une bouchée d'équilibre, notre envol, notre saut attaché".

     

    Puis c'est le drame affreux, la fuite avec Florent et la relance personnelle d'une tragédie dont Marthe connaît les tenants et aboutissants par la passion qu'elle voue à Eschyle et autres Anciens. Enfin le dénouement  sera ce qu'il sera, non-dit, accordé à la vie qui continue après que Garonne a vêlé pour donner le jour à une petite Harmonie, et Marthe conclut: "À présent place aux choses, palpez comme tout commence"...

     

    Nicolas Clément, Sauf les fleurs. Editions Buchet-Chastel, 75p.            

     

     

  • Le Nobel enfin ?

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    Ce jeudi sera décerné le Prix Nobel de littérature. Philip Roth sera-t-il recalé une fois de plus ? Après les grands oubliés que furent Proust, Céline, Borges ou Nabokov, on peut encore "rêver". Ou s'en foutre !

    À propos d’ Exit le fantôme

    Le plus grand romancier américain vivant est à la fois le plus ample chroniqueur de l’Amérique contemporaine. Héritier des monstres sacrés de la génération précédente (de Faulkner et Hemingway à Thomas Wolfe ou John Dos Passos), Roth a d’abord fait figure d’enfant terrible du milieu juif new yorkais, notamment avec Portnoy et son complexe (paru en 1967, 5 millions d’exemplaires à ce jour) exacerbant les thèmes de la mère castratrice, des obsessions inavouables, de la guerre des sexes et des grands idéaux de la fin des sixties.

    Loin de s’en tenir à cette étiquette de rebelle juif, l’auteur de L’Ecrivain fantôme, qui marqua la première apparition de Nathan Zuckerman, son double romanesque, a développé une œuvre de plus en plus ouverte à l’observation ironique et poreuse de la société en mutation. Excellant dans la comédie de mœurs, l’observation des déboires du couple et les séquelles du conformisme de masse, Roth a signé en 1991, après une dizaine de romans plus ou moins marquants (dont Opération Shylock), un très bel hommage à son père, petit artisan industrieux de Newark, sous le titre éloquent de Patrimoine. 

    Dans la foulée de cette reconnaissance symbolique, et plus encore après l’épreuve décisive qu’a constitué son cancer, Philip Roth a connu un véritable second souffle romanesque. Dès Pastorale américaine, couronnée par le Prix Pulitzer en 1998 et par le Prix du meilleur livre étranger en France, le registre du romancier s'ouvrait ainsi soudain aux dimensions de l'histoire du XXe siècle revisitée avec un œil balzacien, des grisantes années cinquante aux premiers temps du terrorisme des seventies incarné par une jeune révoltée, fille d'un héros de la patrie. 

    Après ce roman magistral, qu'on pourrait dire celui du rêve américain fracassé, Philip Roth continua de sonder celui-ci en abordant, avec J'ai épousé un communiste, la sombre époque du maccarthysme. Enfin, La tache conclut en beauté ce triptyque d’un auteur au sommet de son art. L’on y voit Nathan Zuckerman, opéré d’un cancer de la prostate, incontinent et impuissant, qui se met à l'écoute d'un vieux doyen d'université poursuivi pour attentat au « politiquement correct » à l’époque des frasques sexuelles de Bill Clinton. D

    Dans un tout autre registre, Philip Roth est revenu en 2006 au premier plan de la scène littéraire avec Le complot contre l’Amérique, étonnante projection d’histoire-fiction où il imaginait la prise de pouvoir des nazis américains, sous la présidence du héros national Charles Lindbergh, vue par l’enfant que Roth aurait pu être ! Consacré meilleur livre de l’année par la prestigieuse New York Times Book Review, ce 25e roman de Roth fut suivi par La bête qui meurt, première variation en mineur sur le thème du désarroi vital du « professeur de désir », avant Un Homme et Exit le fantôme, marquant l’accomplissement mélancolique du grand cycle existentiel de Nathan Zuckerman. À relever enfin que Philip Roth, couvert de récompenses dès son premier livre, est « nobélisable » et recalé depuis des années. Ces jours prochains, L’Académie de Stockholm pourrait réparer une injustice…

    Roth01.jpgAvec notre bon souvenir, merci la vie…

    C’est un sentiment tendre et douloureux à la fois, mais vif aussi, et plein de reconnaissance « malgré tout », qui se dégage d’ Exit le fantôme, dont le titre renvoie au « fantôme » amical qu’aura été pour l’auteur l’écrivain Nathan Zuckerman, son double romanesque. Depuis Pastorale américaine, c’est cependant un Nathan plus attachant que le « professeur de désir » de naguère que les lecteurs de La Contrevie auront retrouvé, fragilisé par la maladie et soucieux de renouer avec ceux qui, en amont, ont le plus compté pour lui. Dans ce dernier roman du cycle, c’est ainsi le grand écrivain E.I. Lonoff, inspiré par ses amis Singer et Malamud, que Nathan évoque parallèlement à celle de la dernière amie de son mentor disparu : la délicieuse Amy Bellette. Complices dans l’épreuve physique (il porte des couches-culottes, elle une méchante cicatrice à son crâne à moitié tondu), ils font front commun contre un terrifiant emmerdeur, biographe jeune et mufle, du genre à vampiriser un auteur dans la seule idée de se tailler une gloire personnelle. Entre Amy et Jamie, la belle écrivaine si désirable, flanquée d’un mari falot, avec lesquels il procède à un échange de logis (elle est impatiente de fuir New York sous menace islamique, et lui curieux de se retremper dans la Grande Pomme après des années d’exil volontaire), l’insupportable Richard et Lonoff à l’état de présence imaginaire, Nathan Zuckerman nous entraîne dans un dernier inventaire de ce qui aura le plus compté dans sa vie – dans nos vies à tous…

     Philip Roth. Exit le fantôme. Traduit de l’anglais (USA) par Marie-Claude Pasquier. Gallimard, collection « Du monde entier », 327p.