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Tout doit disparaître

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7. Il faut enfin que tout le poétique de la poésie disparaisse: du balai !

          TOUT DOIT DISPARAÎTRE ! est-il d'ailleurs écrit au fronton du grand magase Au Bon Marché, et c'est le dernier jour !

          Il y a du givre ce matin sur les oiseaux de pierre du Square Boucicaut, mais la chaleur d'un grand crème au coin de la rue de Sèvres va t'aider, Flynn, à finir tes stances.

          Hier soir en regardant un docu sur Hölderlin tu as noté ce détail: que dans le dico des frères Grimm en 32 volumes il y a 80 pages consacrée aux dents. D'où tu as conclu que le sourire resterait bien après l'affliction provoquée par l'attentat de Volgograd, et c'est alors que tu t'es rappelé les dits de Monelle.

          Ce que Monelle dit est aussi dans l'esprit zen du Bon Marché: à savoir que tout ce qui est écrit doit disparaître, pour que ne reste que le dit.

          Les dits de Monelle le petit trottin sont plus inspirés que ceux des poètes poétiques et des philosophiques zombies de la télé si sûrs de ce qu'ils gravent sur leur quotidienne épitaphe: que la vanité des vanités fut leur vie.

          Les dite de Flyn resteront, quant à eux, à titre de paroles en l'air comme celles de Little Nemo ou de Bécassine,laquelle eût aimé qu'on le lui envoie dire: "Au propre comme au figuré tu étais belle comme un savon".

          Monelle s'es mise aujourd'hui sur son 31, string rose aux doigts d'aurore pailletée d'or sans âge repérable qu'au Carbone 2014 des lendemains qui chantent, pour dire en gros ceciquine sera pas écrit

          D'abord à Flynn qui écrit qu'"il y a un poème entre nous qui aimerait fuir mais qui ne sait où et encore moins comment s'écrire", Monelle répond donc: "Que chaque noirceur soit traversée par la blancheur future", et Flynn soupire devant son auto rouge désertée par sa passagère.

          Mais faut pas croire que Monelle laissera le soupirant à cette humeur de soupirail, qui dit encore: "Regarde toute chose sous l'aspect du moment", et encore: "Que toute extase soit mourante en toi, que toute volupté désire mourir".

          Flynn le pirate, qui est sensible au détail des choses en piécette, sera particulièrement touché, disent les journaux du soir, par cet autre dit de Monelle. "Aie la contemplation atomistique de l'univers", et cela aussi devrait le brancher ce matin à ciel de traîne. "Tiens toute chose incertaine pour vivante, toute chose certaine pour morte".

          Ainsi Flynn repique-t-il, en face du Lutétia encore adorné de fioritures destives, pour l'estoc final qu'il note sur un ticket de parking où l'attend la Packard rouge: "Demande à la poussière"...

          Cependant il n'est point encore temps. Faut encore qu'il essaie deux trois recours pour amadouer la fugueuse, genre cultivé chaste: "Un jour je t'emmènerai dans un film d'Ozu, pas seulement parce que ses images sont des peintures et ses peintures des haïkus, mais surtout parce que ses oeuvres immortalisent la complexité de la condition humaine d'une façon si simple et universelle qu'elles se rapprochent de l'intelligence du vide".

          À quoi Monelle, qui en a vu d'autres, de rétorquer: "Contente-toi de toute apparence. Mais quitte l'apparence, et ne te retourne pas"...

          Flynn07.jpgMais Flynn s'obstine et cite maintenant Cioran, l'ascète (mon oeil) se gorgeant de chocolat sur son divan dont notre naïf poète est persuadé qu'il savait parler aux femmes, concluant cependant ceci qui tient mieux la route: "C'est peut-être ça, être un gentleman, dire simplementla vérité".

          Et Monelle de la ramener encore. "Ne crains point de te contredire: il n'y a point de contradiction dans le moment", ce qui rassure Flynn qui aime lui aussi le chocolat et la discipline artiste, Kathleen Ferrier et G Love..

          En gros ce que dit Monelle est donc qu'il faut se laver de tout ça, à commencer par la vanité de l'écrit. Et quitte àpousser un peu le bouchon de champagne à Minuit ("Ne te connais pas toi-même"), de conclure poétiquement au sens de la poésie non homologuée: "Les paroles sont des paroles tandis qu'elle sont parlées"...

          Alors Flynn de murmurer sans l'écrire: "Je suis un loup qui cherche une clairière. Tu es la route qui y mène. Notre amour est la voiture de laquelle je suis tombé alors que d'autres phares la dépassaient", ce genre de choses.

          Et Monelle: "J'ai pitié de toi, j'ai pitié de toi, mon aimé. Cependant je rentrerai dans la nuit; car il est nécessaire que tu me perdes, avant de me retrouver. Et si tu me retrouves, je t'échapperai encore. Car je suis celle qui est seule".

          Ce qui donne, à Flynn Maria, la force ultime de conclure au dam des oiseaux de pierre: "Lui, il est déjà mort. Le désert sur ses genoux, ses tibias décapités par l'amour, une lune rouge brodée à ses paupières qui aurait voulu chanter les vertèbres de la mer au sud de Napoli et tutti frutti à gogo.Les magnifiques masques de folie shakespearienne, les papillons de glace de Nietzsche,le saxophone de Coltrane,les étoiles d'Hollywood, les caresses de maman,tout ça n'était pas assez. Demande à la poussière, ou ne demande pas, mais exige tout de l'amour, toujours, tout"...

 

(À La Désirade, ce 31 décembre 2013).

 

Flynn01.jpgFlynno2.jpgFlynn Maria Bergmann, Fiasco FM. Art & fiction, 2013, 128p.

Marcel Schwob. Le livre de Monelle. Allia, 1993. 

 

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