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La vie au détail

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6. Le type réellement attentif au détail ne peut que souffrir de la vie et j'ajoute aussitôt pour être juste: et en jouir. Et quand je dis le type j'entends évidemment Dulcinée dans le même panier. Cependant on remarquera qu'un type ne voit pas forcément les très longs ongles de Gilles Deleuze du même oeil que Dulcinée, qui pense caresse et câlins conformément au penchant de son sexe - même un homo ne peut craindre d'être caressé ou câliné par un Deleuze. Bref.

De son côté Flynn remarque ce détail à propos du fameux Abécédaire du philosophe: "À la lettre J pour joie, Deleuze ponctue ses idées de petits toussotements par-ci par-là et ce sont des bruits que j'entends vraiment, t'imaginant mourir à l'extrémité d'une jouissance jubilatoire et journalière".

On connaît la vieille théorie  de la guerre des sexes, enfin vieille: fin du XIXe, avec les discours exacerbés d'un Otto Weininger, d'un Strindberg ou d'un Kretschmar, sans compter les bonzes de l'église psy. Quant  à moi ma méthode serait plutôt: tout dans le détail et pas trop de cinéma, surtout pas d'abstraction lyrique ! Le type serait censé se montrer physiquement sadique et psychiquement maso, tandis que Dulcinée oscillerait non moins forcément entre le fais-moi mal physique et la tyrannie mentale, pour finir en Waterloo morne plaine de draps trempés de foutre et de larmes ?

Or je dis, moi: non merci, sans pour autant me laisser pousser les ongles genre esclave chrétien dans le cachot romain. La vie est trop bien et des filles y en a plein et parfois rien qu'une qui reste à la maison si qu'on est gentil. Moi, quand je lui ferais de si beaux poèmes et qu'elle m'enverrait foutre, je n'écrirais plus (momentanément) pour elle, histoire de l'attiser comme Albertine quand Marcel fait semblant de bouder, adressant alors ma Littérature à l'ensemble des humains qui ont besoin - c'est connu -  d'un peu de sentiment, y compris "la masse"...

Tennessee Williams l'écrit, ça aussi c'est connu: "Si tu élimines tous mes démons, l'ange en moi risque de mourir aussi". Et moi je dis: bien dit Tennessee, dont le nom m'évoque à la fois de grands espaces à stations d'essence rouges sur fond bleu noir, pas mal de souvenirs de rock et Marlon Brando luisant de lumière sexuelle, mais tout ça c'est du passé...

Tandis qu'à l'instant Flynn écrit: "Il pleut des cordes aujourd'hui. Tant mieux. Ainsi je pourrai me pendre à l'une d'elles lorsqu'elle passera devant ma fenêtre, et si jamais elle se casse cela ne sera pas trop grave puisque je m'écraserai au sol trois secondes plus tard, une vraie bouillie. Je te laisse, la pluie est en train de faiblir".

Bon, le type qui se pend à la pluie: mon oeil. Mais la pluie qui est "en train de faiblir", ça c'est bien.

Au total on dira que le poète, les poètes, la poésie, même Baudelaire (surtout Baudelaire ?) exagèrent pas mal et en font des tonnes pour laisser filtrer quelques détails qui valent l'os, selon l'expression vernaculaire. Rimbaud par exemple: "La main d'un maître anime le clavecin des prés"...

 

Flynn Maria Bergmann. Fiasco FM. Art & fiction, 128p. 2013.      

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