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Contre le Nordisme

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Variations cingriesques (2)

 

 "Au salon une Allemande prétentieuse  joue  du violon avec beaucoup de chichi / avec beaucoup de chichi une Française l'accompagne au piano", écrit Blaise Cendrars dans son poème À bord du Formose, où Cingria salue "un comprimé d'antinordisme"...

 

L'image épingle en effet le trait constitutif de ce que Charles-Albert taxe de "nordisme", qu'on pourrait dire simplement l'affectation, ou le faux semblant, le simulacre ou plus précisément en matière de goût: le kitsch.

 

La lecture de Cingria est un exercice aussi exigeant qu'éclairant, qui requiert la constante accommodation de son oeil critique en vue d'affiner toute définition par les distinctions requises.

Définir le nordisme est évidemment aléatoire, s'agissant d'un concept lié au goût et donc mouvant; mais distinguer ce qu'il désigne est intéressant et possiblement rigolo.

L'immédiate distinction est ici faite "entre le Nord salubre et tonique par lui-même et la beauté de ses races, et une sorte d'hérésie esthétique, d'introduction récente, que l'on ne peut faire autrement, puisque le mot exist, que d'appeler "nordisme".

Or que dirait-on "nordique" autant que les deux concertistes à chichi ? Jean Cocteau est-il nordique, et Proust est-il nordique ?   Non: c'est le genre Rotonde qui est nordique et pas Cocteau. C'est le goût du petit clan des Verdurin qui est nordique, et pas Marcel Proust.

"Cocteau, précise Charles-Albert en post-scriptum de cet article de 1926 (paru dans Les chroniques du jour), n'est pas nordique, ce qui ne diminue en rien sa connerie". Et d'ajouter que  Max Jacob n'est absolument pas nordique, ni Joyce ni Aragon, ni Jarry.

Mais alors qui est suspect de nordisme ? Charles-Albert pointe Pirandello, mais on comprend que c'est d'un certain engouement pirandellien qu'il s'agit, par une bourgeoisie qui s'en délecte "comme d'un fiasco de Chianti pesant".

"Le Nordique est protestant c'est-à-dire pudibond et sérieux au sens d'une contrainte qui lui fait faire une grimace, ou bien il est déluré (le refoulement freudien - encore une supérieure merde que ce Freud - mais il n'a pas la moindre notion de ce que c'est que la pudeur, de ce que c'est que la gravité, de ce que c'est que la joie".

Sous la même enseigne du "nordisme" seront rangés pêle-mêle le végétarianisme sectaire (de même que toutes les sectes) et les lampes voilées d'un mysticisme melliflue, le style "une seule fleur dans un seul vase", les récits nord-africains de Gide ou Cocteau (quand même !) quand il veut "faire grec", enfin tout ce qui déroge peu ou prou à la simplicité ou au naturel de vieille souche, à la vraie morale (pas l'affectation moralisante du virtuisme ) et la vraie tenue qu'illustre, par exemple, l'éloge des jeunes gens d'Oxford que le fameux opiomane Thomas de Quincey découvre à son arrivée en ce haut-lieu de belle éducation.

Il y a bien entendu un nordisme du Midi, comme on pourrait le vérifier aujourd'hui avec la foison consternante des "senteurs et saveurs" conditionnées, que Cingria repérait en son temps à sa perte de toute tonicité. Et l'écrivain d'introduire alors cet autre concept qui lui sera cher, d'un habitus établissant un rapport de continuité entre la terre et les gens, les êtres et le temps.

Être anti-nordique, c'est "trouver l'excentricité fatigante et le désir d'étonner, en faisant les choses à rebours, vulgaire". Dans ces années 20 du XXe siècle, Charles-Albert vise évidemment les sous-produits d'avant-garde et de bohème dont les bourgeois raffolent ou qu'ils font semblant de priser.

Tout cela reste, évidemment, sujet à discussion "sur pièce". Cependant la question n'est pas tant de savoir si l'on est d'accord ou pas avec Cingria sur ses goûts, tout subjectifs et susceptibles de changer tout à l'heure, mais bien plutôt de distinguer les qualités qu'il désigne et de les réévaluer selon son propre goût en fonction de critères qui ne cessent de se réajuster et de s'affiner selon l'époque, le lieu et la personne.

 

Cingria07.jpg(En lisant Le Nord et le Nordisme), deuxième texte de l'  Esthétique générale, dans le volume des  Propos 1, cinquième tome des Oeuvres complètes en cours de publication à L'Âge d'Homme.)

 Image: Charles-Albert Cingria au piano,croqué par Géa Augsbourg.

Commentaires

  • je souscris entièrement...mais en France des qu'on essai de faire exploser le pipi-caca freudo-lacanien, on est sur de s'en prendre plein la gueule....et pourtant comme vous avez raison!!la subjectivité n'est qu'un immense jeu de miroir réfléchissant, mais la topologie psychanalyste n'est qu'une caricature pour benêt de ce que le grand danois nommait, la double réflexion dans le concept...dont sollers se rapproche lorsqu'il tente de cerner son esthétique de la grace chez Rimbaud mais sur laquelle il achoppe parce qu'il lui manque le concept de Répétition dont kierkeggard pensait qu'aucune philosophie de l'avenir (au double sens) ne pourrait plus faire l'impasse...

    PS: je parts dans quelques jours en vacances je suis donc obligé de lever le pieds coté blog...merci encore pour votre patience et votre attention . Je vous embrasse, Jerome.

  • Merci Jérôme, et bonnes pérégrinations. Il va de soi que Kierkegaard n'est en rien nordique au sens où l'entend Charles-Albert, ni Strindberg ni Bergman non plus qu'Ibsen ou Dagerman, Nolde et moins encore Munche - surtout pas Munch qui est le Grand Nord de glace incendiaire et de douleur et de ferveur...

    Bien amicalement
    Jls

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