Celui qui retrouve Marcel Proust et Joseph Czapski dans la conférence de celui-ci sur celui-là, intitulée Proust contre la déchéance et prononcée en 1941 sous les portraits de Marx, Engels et Lénine dans l'ancien couvent de Giazowietz transformé en camp de prisonniers sous contrôle soviétique / Celle qui retrouve sa mère par le truchement d'une liasse de lettres serrée dans une boîte de biscuits dont l'odeur lui rappelle leur maison de Cracovie / Ceux qui ont eu le temps de lire À la recherche du temps perdu grâce à telle ou telle maladie "opportune" / Celui qui a cru retrouver son ami de jeunesse mais c'était dans un rêve ou ce sera dans une autre vie / Celle qui pratique sans le savoir la "mémoire involontaire" / Ceux qui furent des 400 officiers et soldats ou étudiants polonais sauvés sur 15.000 camarades disparus sans laisser de traces / Celui qui a découvert Proust en 1924 à l'âge de 28 ans et donc deux ans après la mort de l'écrivain / Celle qui se souvient très bien de l'évocation en 20 pages de la soirée chez Anna Pavlovna au début de La guerre et la paix qui eût sans doute nécessité 200 ou 2000 pages sous la plume de Marcel Proust / Ceux qui prétendent que l'oeuvre de Marcel Proust n'est qu'un pastiche d'elle-même /Celui qui est tombé sur les tracs du massacre de Katyn après avoir été envoyé par le général Anders à la recherche de ses camarades disparus / Celle qui apprend que toutes les toiles de son frère ont été détruites pendant sa captivité / Ceux qui se sont perdus de vue sans cesser de s'en vouloir ni de chercher à se revoir / Celui qui pense que le Temps est un bon médecin ou un bon conseiller genre Anton Pavlovitch Tchékhov ou Camille Corot donc sans exaltation illusoire ni désenchantement aigre / Celle qui a développé de longues pages philosophiques sur la pensée du temps et figure dans une toile de son ami Joseph Czapski qui se trouvait à l'expo du Muse archidiocésain de Varsovie où nous nous sommes rencontrés en 1986 - son nom étant Jeanne Hersch / Ceux que la peinture de Corot apaise / Celui qui sait ce que signifie la parole "Si le grain ne meurt..." et en tire conséquence / Celle qui a manqué le Trans-Europe-Express avant de retrouver au Train bleu son ami Marcel qui avait une histoire à n'en plus finir à lui raconter / Ceux que nous aurons tout le temps de retrouver après la mort dans leurs livres, etc.
(Cette liste a été rédigée en marge de la relecture de Proust contre la déchéance de Joseph Czapski, réédité aux éditions Noir sur Blanc. )
Commentaires
Ceux qui pensent que nous ne sommes pas débarrassés de nos origines primitives et que le passé lointain ne cesse d'exercer un effet sur nous / Ceux qui subissent un choc à la vue d'un arbre qui se dresse mort là où il était vivant / Ceux qui ressentent de la peine à la vue d'un arbre multicentenaire qui a perdu la vie / Ceux qui creusent le bois, déploient l'écorce, l'affichent sur les murs / Ceux qui , tels Théophraste, pensent que tous les arbres, notamment le sorbier sont "acharnés à vivre" ; à preuve, les rejets qui couronnent la souche quand le tronc est coupé / Ceux qui se demandent pourquoi il n'y a pas de saules pleureurs dans les cimetières / Ceux qui pensent que les arbres conservent la mémoire des hommes mieux que les monuments, etc.
notes, en lisant Alain Corbin, "La douceur de l'ombre" - l'arbre, source d'émotions, de l'Antiquité à nos jours -
:)
Ceux qui aimaient à raconter une blague à Varsovie, qu'il faudrait retraduire Proust en français d'après sa traduction polonaise, et que c'est alors seulement qu'il deviendrait un écrivain enfin populaire en France / Celui qui s'estime davantage de la famille des contemplatifs, que de celle des observateurs de la nature / Celui qui revient voir ce qui a changé au 14, rue de la Félicité, etc.