À propos des Larmes amères de Petra von Kant, de Rainer Werner Fassbinder
Les mécanismes de la passion, et leurs variations sado-masochistes, n'ont pas de secret pour Rainer Werner Fassbinder, mais ce n'est pas ce que je préfère chez lui, de loin pas. Plutôt me hérissent ces complications d'enchevêtrailles physiques et psychiques de femmes plus ou moins fatales, anguleuses et blêmes, et d'hommes plus ou moins durs ou louches. En voyant tout ça, je me dis qu'un bon Tati ferait remède, mais en attendant voyons ça...
Cette Petra von Kant (une saisissante Margit Karstensen, plus aquiline et névrotiquement hystérique que dans Martha) a rêvé d'un idéal amour-sans-concession avec son mari qui l'a plaquée (elle prétend que c'est elle, mais on doute) avant de se replier dans la solitude nombreuses des femmes à femmes. Elle est visiblement arrivée, de souche bourgeoise et professionnellement lancée dans la couture chic, tenant sous sa coupe une esclave diaphane à lèvres minusculeusement dessinées genre diva du muet et surnommée Marlene.
Puis apparaît une comtesse Sidonie qui défend le mariage acclimaté par lâcher réciproque de lest, au dam de Petra qui veut de la passion pure. Laquelle lui arrive, par Sidonie, avec l'arrivée de Karin, belle et bonne fille bien en chair tout auréolée de blondeur, du surcroît silhouettée pour des modèles, dont illico Petra s'entiche. Débarquant d'Australie, séparée momentanément de son mari, Karin, dans la vingtaine et de souche popu, se chercher un job sans trop de moyens pour y prétendre. Ce qui arrange l'affaire immédiate de Petra, tout de suite avide de privautés exclusives moyennant mécénat et promesses de gloire en Top Model, au point que Karin, tendre au naturelle et pas trop compliquée, consent pour un temps au pelotage.
Petra croit mener le jeu et tirer les ficelles, autant qu'elle continue de tenir Marlene à sa botte, mais elle a la faiblesse d'aimer réellement, ce qui se conçoit à la flamboyante présence de Schygulla. Donc Petra est à la fois la patronne et le maillon faible, éprouvée un soir par Karin en mal de mâle et qui découche, jusqu'au retour du mari joyeusement accueilli au dam de son amie la traitant aussitôt de pute avant de se rouler par terre de confusion repentante.
Le film est l'un des plus glamoureux de RWF, tant par l'hollywoodisme des personnages que par la mise en scène à jeux de miroirs démultipliant les plans et les reflets de l'envie espionne (Marlene) et de la jalousie.
Pas un mec là-dedans. On pourrait croire que ça repose: tout le contraire. Et le seul enfant, fille de Petra plutôt ado à dégaine de gros canari jaune à chaussettes de pensionnaire d'institut smart, est caricature autant que la mère bourgeoise de Petra, que celle-ci entretient sans l'empêcher de déplorer le scandale lesbien.
Ce qui intéresse Fassbinder est évidemment la fragilité de Petra, qui se retrouve seule à la toute fin, délaissée même par Marlene à laquelle elle a proposé une sorte d'affranchissement d'égale à égale, dont la soumise ne veut point. Fais-moi mal ou je me tire...
Tout ça fourmillant de notations pénétrantes, dans une mise en scène qui se fige étrangement vers la fin, comme si le réalisateur cessait de s'intéresser à ses personnages: assez de ces plantes bourgeoises, ach quatsch !
Le tonus artistique du film s'en ressent un peu, qui me semble se complaire dans une suite de plans picturalement composés à l'extrême, d'une géométrie symboliste à la Hitchcock, l'intensité des échanges en moins
Bref, l'émotion fouaille moins qu'à la fin de Martha, du Secret de Veronika Voss ou de L'Années des treize lunes, mais Fassbider est passionnant jusque dans ses fléchissements, voire ses éventuels ratés.