UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui se font refaire

    Barbie7.jpgCelui qui se bricole un faciès de chef de bureau en attendant de le devenir avec l'aide de God, son copilote / Celle qui fait botoxer sa fille benjamine genre Paris Hilton en plus eurocompatible / Ceux qui se font une tête de zombies sans se forcer/ Celui qui assume ses années dit-il à sa podologue qui lit un autre discours en lui broyant les orteils non sans penser à sa propre crainte des rides dont sa psy n'a rien à foutre depuis son breakdown affectif lié au rejet du jeune punk déprimé / Ceux qui regardent sans ciller leur miroir qui leur dit bientôt trente ans mon p'tit ça craint / Celui qui recommande un lifting frontal à ses coiffeuses de plus de 35 ans qui savent que le siège éjectable pourrait être l'alternative / Celle qui cherche LE praticien capable de lui effacer les bouffissures survenues au gommage de ses flétrissures / Ceux qui supplient leurs petites amies de ne pas se faire faire des têtes de moins de treize ans au motif que la chasse au pédo fait rage en ville et même dans les banlieues plus saines / Ceux qui ont payé très cher pour ne plus avoir l'ar de vieilles peaux friquées / Celui qui voulant se refaire au casino en revient tout défait mais avec la conviction d'avoir entendu le Bon Berger déclarer "les jeux sont faits" en lui montrant la porte et le rai de lumière là-bas d'un Vie Meilleure / Celle qui se dit que de toute façon les produits se résorbent en six mois avant d'angoisser un max à la pensée de ces six mois de galère / Ceux qui se sapent en néo-zombies et proclament que le monde il est foutu sans se douter que le compte de leur MasterCard Gold l'est encore plus / Ceux qui ne se feront pas vieux en dépit de leur coup de jeune / Celui qui philosophe gravement sur la dissolution de toute identification mimétique du plus jeune au plus vieux (disons Brad Pitt versus Robert Redford, ou Charlotte Gainsbourg versus Mère Teresa) découlant de la disparition des marques de l'âge / Celle qui a lu tout Michel Onfray en version light et n'en minaude que plus / Ceux qui ont été refaits par leur bonté naturelle et en sont curieusement devenus plus que bons (limite cons) par inspiration surnaturelle, etc.

  • La peinture au corps

    Bratby3.jpg 

    Sheffield, vendredi 16 novembre

     

    À la cuisine. - On va de salle en salle sans trop savoir ce qu'on cherche. On était cette année-là au Kunsthistorisches Museum de Vienne avec ce jeune ami peintre français, où l'on cherchait un certain Tintoret, on se rappelait les sarcasmes de Thomas Bernhard contre les maîtres anciens et plus encore le culte des maîtres anciens; or on se targuait d'avoir dépassé ce culte-là tout en vouant aux maîtres anciens le respect qui leur est dû, mais là-bas une seule petite toile d'un obscur maître allemand nous avait saisis tous deux et nous avait fait revenir tous les jours pour elle à cause d'une Madone à l'infinie douceur et de son enfant et de son âne de velours spiritualisé; et maintenant nous étions au musée de Sheffield à cheminer dans le dédale en attendant d'être attrapés, et je voyais mon compère me guetter et tout à coup ça y était: nous avions passé en revue des kilomètres de bouquets et de visages et de bosquet et de paysages et subitement c'était là: il y avait là de la peinture, cela me sautait aux yeux comme mon compère Bona l'avait repéré déjà - mais qu'avait-elle donc de particulier cette toile au réalisme crade d'un certain John Randall Bratby représentant une moche cuisine et sa table à Corn Flakes Kellog's et cette jeune fille comme écrasée par la composition monumentale ?

    Stonehenge.jpgNeil's nails. - Bientôt je ferai tout un texte que j'espère bien délirant et que j'intitulerai Neil's nails, les clous de Neil, pour essayer de dire le choc que ç'a été, le même après-midi, après la cuisine de Bratby et la sublime petite toile de Bonnard, évidemment hors catégorie, de tomber soudain dans cette espèce de vocifération de couleurs que représente la peinture de Neil Rands, que mon compère Bona tenait à me présenter dans la nouvelle galerie de Snig Hill. Alors là je me retrouvai chez un peintre selon ma tripe, comme le sont un Soutine ou un Soutter mais en tout autrement: d'emblée j'ai ressenti le choc nerveux que peut susciter la couleur de Van Gogh ou les fluides de Matisse. D'ailleurs il y avait un cheval fou tombant du ciel qui était peut-être le ciel jaune de Vincent ou le ciel rouge de Nietzsche, il y avait une grande toile réellement mattissienne à femmes fuselées dans les roses et les orange-bleu, et voilà qu'au détour d'une porte je découvrais une incroyable vision de Stonehenge que j'achetai dans les trois minutes suivantes, la chose se donnant, pour ainsi dire, pour la somme dérisoire de 200 livres. Enfin, comme Neil lui-même, déjà pote avec Bona, se trouvait en ces lieux, je ne ne tardai à sympathiser avec cette espèce de colosse au sourire ingénu avant de serrer la patte, ensuite, de son complice Foster exposant, pour sa part, une série de peintures non moins puissamment expressives en leur explosion de couleurs griffées et tramées.

    Foster.jpgDe la vision. - Quoique fuyant de plus en plus les galeries, tant il me semble que l'art contemporain ressasse et resuce, j'étais très reconnaissant à mon compère Bona de m'avoir fait partager ses admirations, chose d'ailleurs assez rare chez les artistes campant sur leur pré carré, en tout cas dans nos contrées. Or, en attendant de découvrir les dernières créations de mon ami le Kinois, je me disais que ce qui m'avait en somme impressionné, ce jour-là, et triplement, de Bratby à Neil Rands et de celui-ci à Foster, tenait à tout coup à une vision singulière. Du réalisme assez freudien (Freud Lucian, il va sans dire, et non Sigmund) de Bratby à l'expressionnisme foisonnant de Neil Rands ou à l'abstraction lyrique de Foster, il m'a semblé, de fait, découvrir trois visions bien affirmées et participant encore, chacune à sa façon, à ce qu'on peut tenir pour un art vivant, à l'écart du dernier cri de la mode ou du dernier chiqué du marché...

  • Aragon revisité

    Aragon.jpgUn essai de Daniel Bougnoux (censuré !) et un nouveau volume de La Pléiade ravivent la mémoire du grand écrivain controversé.

    Louis Aragon (1897-1982) fut le plus adulé et le plus conspué des poètes français du XXe siècle, tantôt taxé de magicien du verbe et de chantre de l'amour, tantôt de propagandiste du totalitarisme et de délateur. En 1984 parut un pamphlet d'une virulence extrême, intitulé Un nouveau cadavre Aragon et signé Paul Morelle. L'ouvrage, méchamment injuste dans ses jugements littéraires (la poésie y étant notamment réduite à zéro), entendait faire pièce aux génuflexions convenues qui avaient salué la mort de l'écrivain.

    Or voici paraître un nouvel essai, beaucoup plus nuancé, tant dans son approche de l'oeuvre qu'à l'évocation d'une personnalité complexe voire tortueuse, et qui a pourtant été tronqué d'un chapitre entier ! L'auteur, Daniel Bougnoux, est un connaisseur avéré de l'oeuvre d'Aragon, dont il a dirigé l'édition dans la Pléiade. Seulement voilà: au titre du "mélange des genres", il y évoquait un épisode digne de la cage aux folles, où le vieil homme se la jouait Drag Queen. C'était compter sans la vigilance du gardien du temple. Ainsi Jean Ristat, exécuteur testamentaire d'Aragon, imposa-t-il le caviardage de ce chapitre "privé" aux éditions Gallimard.

    Au demeurant, l'homosexualité affichée du "fou d'Elsa", après la mort de celle-ci, aura toujours été une composante de la personnalité d'Aragon, du moins à en croire Daniel Bougnoux qui compare ses relations avec André Breton à celles qui unirent-opposèrent Verlaine et Rimbaud. Plus exactement, Breton aurait joué le mentor viril du jeune Aragon, charmeur de génie ruant ensuite dans les brancards pour s'affirmer "contre" son ami.

    Ces composantes personnelles - même importantes en cela qu'elles éclairent les positions du poète par rapport au "père" symbolique que serait pour lui le Parti, autant que sa relation de couple avec Elsa - ne sont pourtant qu'un des aspects de l'approche détaillée de l'oeuvre ressaisie ici dans sa progression. Le travail de l'écrivain - titanesque et tenant parfois de la graphomanie compulsive -, la façon du romancier-poète de tout transformer en roman afin d'exorciser ses failles (Aragon fut souvent des plus sévères avec lui-même), et ses rapports avec la terrible histoire du XXe siècle nous le rendent aujourd'hui plus proche, infiniment, que lors de sa dernière apparition télévisée sous son masque de "menteur vrai"...

    Daniel Bougnoux. Aragon, la confusion des genres.Gallimard, coll. L'un et l'autre, 202p.

    Aragon2.jpgLouis Aragon. Oeuvres romanesques V. La Pléiade, 1537p.

  • Ceux qui compatissent

    Rembrandt.jpg

    Celui qui a mal à la douleur de ceux qu'il aime / Celle que ses larmes purifient / Ceux qu'un invisible lien relie / Celui qui n'aime pas qu'on décrie la pitié / Celle qui ne demande qu'un peu d'attention s'il vous plaît / Ceux qui endossent la peine perdue des enfants trouvés / Celui qui compatit à son corps défendant / Celle qui s'apitoie par convenance / Ceux qui donnent la pièce pour en finir / Celui qui s'interroge sur la nature originelle du mal / Celle qui spécule sur la générosité / Ceux qui se dérobent au regard du pauvre / Celui que son amour fait passer pour un simple. / Celle qui a fait litière de sa dignité et que plus rien n'humilie par conséquent ou peu s'en faut / Ceux qu'on offense en les oubliant / Celui qu'une espèce d'aura a toujours protégé à moins que ce soit la protection qui lui fasse cette aura ? / Celle qui n'inspire aucune mansuétude aux ignobles / Ceux dont la malpropreté signale la négligence spirituelle aggravée d'avarice en matière de produits de nettoyage / Celui qui n'ose pas avouer l'acte le plus ignoble qu'il a commis au motif que les abjects vont s'en réjouir / Ceux dont l'âme basse plastronne en haut lieu / Celui qui ricane à faire pleurer l'innocence / Celle qui ne peut souffrir plus souffrant qu'elle / Ceux qui prennent le malheur d'autrui pour une sorte d'affront personnel / Celui qui évite les sépulcres blanchis / Celle qui préfère le scélérat repenti au vertueux qui s'affiche / Ceux qui sont ridicules tant ils sont eux-mêmes / Celui qui rit de lui-même à en devenir suspect / Celle qui inspire de la commisération sauf à l'homme vil qui se délecte de sa faiblesse / Ceux qui sondent les bas-fonds de la bonne conscience / Celui qui recopie ces mots anciens toujours actuels du Roi Lear: "Ô pauvres gens, pauvres de tout, nus dans vos guenilles, où que vous soyez pauvres gens, vous que lapide cet orage impitoyable, ô têtes sans abri, corps affamés, je vous plains en mon coeur, j'ai mal de vos souffrances. Comment parvenez-vous à vous défendre, ô malheureux, contres les éléments par une nuit pareille. Jusqu'à aujourd'hui je me suis trop peu soucié de vous, ô frères humains !" / Celle qui de dessous ses hardes maugrée dans l'antique Odyssée: "C'est si dur, est-il rien de pire pour des mortels que de mendier ? Et ce ventre maudit qui nous harcèle, c'est lui qui vaut aux gens les maux et les chagrins de cette vie errante" / Celui qui estime que seul un lecteur familier à l'idée de suicide peut pénétrer vraiment l'inextricable tourment des romans de Fiodor Mihaïlovitch Dostoïevski / Celle qui a toujours évité les embrouilles du monstrueux Dosto pour leur préférer la douceur noire des récits d'Anton Pavlovitch Tchékhov / Ceux qui sont allés se recueillir sur la tombe d'Anton Pavlovitch avec Michel Simon qui savait par coeur des scènes entières de La Cerisaie, etc.

     

     

    (Cette liste a été établie en marge de la (re)lecture des Frères Karamazov et du chapitre consacré par John Cowper Powys à Dostoïevski dans Les Plaisirs de la littérature, recueil génial paru en 1995 à L'Age d'Homme)

  • Ceux qui grapillent

    Sheffield21.jpg

    Celui qui fait son miel d'un peu tout / Celle qui tient un cahier de citations dans lequel il est écrit par exemple: "Ce qui est affreux, c'est que la beauté, non seulement est un chose terrible, mais que c'est une chose mystérieuse: le combat de Dieu et du démon dans la coeur de l'homme" / Ceux qui magnifient les plus humbles choses / Celui qui a des antennes à fréquences multiples / Celle qui resplendit en sa grâce de Vénézuélienne drillée au pensionnat d'Engadine /Ceux qui se livrent au mélage inattendu de substances réputées incompatibles dans les salons de thé et les académies gourmées / Celui qui mixe les tubes vintages à la boum des vioques / Celle qui se consacre à l'énigmographie des nouveaux phénomènes / Ceux qui vont de surprise en surprise dans le train de mots / Celui qui a en poche des dragées pour les enfants aveugles / Ceux qui savent que nous sommes tous des immigrés au Luna Park / Celui qui écarte les joncs comme pour surprendre le crocodile assoupi / Celle qui moissonne assez d'images pour en garder au moins une / Ceux qui ne retournent au Kunstmuseum de Vienne pour ne voir qu'une peinture du Maître de Mondsee / Celui qui ne dort que d'un oeil en sorte d'entrevoir l'Invisible / Celle qui se sert de son piano comme d'un métronome à gymnastes / Ceux qui dessinent le rond du soleil sur la paroi de leur chambre d'hosto / Celui qui remarque à l'Andalouse un halo de lune / Ceux qui sont tapis dans leur coffre à billets / Celui qui se livre au moribondage avec la belle défunte / Celle qui pose pour le sculpteur de pierres tombales / Ceux qui remontent l'horloge aux aiguilles de seringues / Celui qui lape le reste de sang de la nonne bilingue / Celle qui ne hante que les bains pour veuves / Ceux qui fourgonnent les braises du feu de Dieu /Celui qui a trop de peine pour ne pas sourire à ce qui lui reste / Celle qui n'apprécie les diplomates qu'à goûter / Ceux qui arpentent les rues de la Fantaisie, etc. 

    Image JLK: la vitrine d'une brocante de Sheffield.