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Quentin sur orbite

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C'est parti pour la rentrée de Quentin Mouron, interrogé par Le Nouvel Ob's à propos de son nouveau livre, Notre-Dame-de-la-Merci. On s'en réjouit !

 

par Xavier Thomann

 

En Suisse, il n’y a pas que des banques et des exilés fiscaux, il y a aussi de jeunes écrivains prometteurs. Quentin Mouron, phénomène littéraire de 23 ans, y publie son deuxième roman, le premier à paraître chez nous.

«Notre-Dame-de-la-Merci» raconte sur l’espace de 24 heures les destins croisés de trois personnages singuliers. Odette, à la tête d’un petit trafic de coke, Daniel qui déneige les routes et Jean, un jeune homme prêt à tout pour quitter cette ville misérable du Québec. Pour observer et décrypter ces personnages médiocres, le narrateur est en embuscade, à la fois metteur en scène et spectateur de ce huis-clos dont l’ambiance  n’est pas sans rappeler celle du «Fargo» des frères Coen.

Son premier roman, «Au point d’effusion des égoûts», publié l’année dernière en Suisse, avait rencontré un succès en librairie et reçu un accueil très favorable de la critique. L’auteur y racontait son voyage à Los Angeles et à Vegas, dans un style franc, à la fois drôle et mélancolique.

BibliObs Comment fait-on pour devenir écrivain en Suisse ?

Quentin Mouron Il faut composer avec un public qui ne dépasse pas en nombre la banlieue de Lyon. Ajoutez à cela les divergences entre régions, suffisamment fortes pour qu’un livre paru à Genève soit boudé à Lausanne. Il faut donc tirer rapidement son épingle du jeu, et puis dépasser les frontières. Il n’y a aucun avenir pour un écrivain se limitant à la Suisse – à moins d’écrire des chroniques champêtres ou des thrillers bancaires!

Dans votre nouveau roman vous situez l’action dans un village un peu spécial, à croire qu’il n’existe pas…

Pourtant, Notre-Dame-de-la-Merci existe bel et bien. C’est un bled paumé au fin fond du Québec, une sorte de no man’s land où règne une ambiance étrange. Quand on habite là-bas, on a l’impression d’être coupé du monde; c’est comme certains villages isolés en Europe, mais de manière plus accentuée. Il faut près de trois heures de route pour atteindre Montréal.

Comment avez-vous connu cet endroit?

J’ai habité à Notre-Dame une dizaine d’années de 3 à 10 ans. Je n’ai pas de souvenirs très précis, je me souviens seulement de son ambiance particulière. J’ai néanmoins des impressions assez fortes des années passées là-bas et c’est à partir de ces impressions que j’ai construit mon récit.

La ville est certes étrange, mais les personnages le sont encore plus, entre la dealeuse de coke et le fils qui se moque pas mal du suicide de son père…

Les personnages du roman sont inspirés de personnes que j’ai connues; mais encore une fois mes souvenirs étaient assez vagues donc j’ai dû en quelque sorte les reconstruire. Mais avant tout, j’ai voulu décrire le climat étrange, à la fois violent et pauvre, que j’ai connu là-bas. Je me souviens de trafics de toute sorte, de drogue notamment, des voisins qui se tiraient dessus, des gangs de motards qui sillonnaient la région, des guerres de gangs, des types qu’on retrouvait au matin une balle dans la tête; une petite ville agitée donc (rires), mais où, j’y tiens, vivaient aussi des retraités.

Ce roman est très différent du premier où vous racontiez votre périple aux USA de façon très subjective…

Je ne voulais pas être le spécialiste des USA, celui à qui on fait un clin d’œil quand on parle de Californie... C’est un peu le moule qu’ont voulu me forger certains journalistes, et qui ne me convenait pas. Je n’ai pas l’impression d’avoir été spécialement tendre avec les USA, pourtant on m’a vu parfois comme un nouvel adepte du rêve américain. J’ai donc voulu situer l’action ailleurs, explorer d’autres thématiques. J’ai exhumé mes souvenirs d’enfance, et plutôt que d’en faire un truc emmerdant, genre «ma jeunesse dans la cabane au Canada», j’ai écrit un récit à la troisième personne, un vrai roman, où je fais vivre des personnages dans le cadre du village où j’ai vécu toute mon enfance; en écrivant à la troisième personne j’ai mis de la distance entre moi et mes personnages, pour les laisser se développer tous seuls.

Pourtant vous avez conservé des passages à la première  personne?

J’au conçu les passages à la première personne comme des incises, des pauses dans le récit principal; c’est un procédé stylistique que j’aime bien dans les romans de manière générale. Cela me permet de préciser les personnages et de les resituer dans le récit. Et en tant que narrateur je peux ainsi me replacer par rapport au décor et au spectacle en train d’avoir lieu, prendre du recul par rapport à la tragédie qui se joue sous mes yeux. Dans les Démons, Dostoïevski a l’air de s’en foutre complètement que le narrateur prenne corps au bout de deux cents pages, qu’il ait tout d’un coup un nom, qu’il prenne part au roman.

On pourrait s’attendre à ce que le roman soit plus long, l’histoire a beaucoup de potentialités…

J’ai voulu que le récit reste court. Il y avait certes moyen de le développer, de le prolonger; c’était d’ailleurs le cas avec la première version, mais j’ai décidé d’enlever des passages, pour rendre le récit plus dense. Il me semble que cette densité permet d’accentuer la dimension tragique du livre, de conserver l’unité propre à la tragédie. J’avais aussi le désir en écrivant ce roman de faire quelque chose de sobre, presque expéditif. Maintenant, vous vous dites peut-être que je vous embrouille avec mes histoires de tragique et d’unité, et que je suis tout simplement flemmard, c’est une possibilité... (rires)

Un nouveau projet?

J’ai commencé il y a quelques semaines l’écriture de mon troisième roman. Ce sera quelque chose de nettement plus comique, une vraie comédie sur les réseaux sociaux. J’ai commencé par reconstituer des dialogues à partir de Facebook. Dans les jours à venir je vais «décortiquer» Twitter. J’écris toujours avec une certaine urgence. Je me suis même blessé – légèrement – quelquefois. Là, évidemment, c’est un peu plus reposant. Je ne fais pas le boulot tout seul, vous comprenez? J’ai dit à mes contacts facebook: «plus vous serez cons, plus mon livre avancera». Ils savent à quoi s’en tenir! Mais je dois aussi songer à mes études: je ne suis pas écrivain à plein temps!

 

Propos recueillis par Xavier Thomann

 

Notre-Dame-de-la-Merci, Quentin Mouron, Olivier Morattel Editeur, 120 p., 15 euros. En librairie le 16 août. 

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