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  • Du muet qui parle au coeur

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    Lady L. et JLK ont aimé The Artist...

    On pouvait craindre, avec ce projet de revisiter le cinéma muet américain des années 20-30 et son déclin, la resucée nostalgique brassant les clichés complaisants, et pourtant c’est bien mieux que cela que The Artist, film épatant de Michel Hazanavicius, superbement construit et bonnement porté par le jeu de Jean Dujardin, justement récompensé à Cannes, mais aussi de Béatrice Bejo, subtilement craquante dansle genre glamour, et aussi - avant de parler des seconds rôles de premier rang, si l’on ose dire -, de l’adorable fox terrier dressé pilpoil au joli nom d’Uffy, dont les pitreries délicieusement cabotines rappellent l’inoubliable compagnon du tragique Umberto D…Dujardin1.jpg

    Dès l’ouverture du film, au sens bonnement musical puisque d’emblée la bande sonore émane de la fosse d’orchestre d’une immense salle de cinéma des années 20, avec chef à baguette, la mise en abyme annonce une intelligence de forme qui fera de tout le film, avec un scénario à l’avenant, un beau travail de cinéma aux plans souvent inventifs, pleins de clins d’yeux évidemment mais c’est aussi ça l’amour de l’art, jamais pesants pour au demeurant.

    Je l’ai déjà suggéré: les seconds rôles, notamment endossés par John Goodman en producteur paterne et James Cromwell en chauffeur compassé et fraternel, achèvent de donner une touche hollywoodienne à cette romance mélancolique d’un acteur vedette du muet du nom de George Valentin,  supplanté par les nouvelles stars du parlant, à commencer par la talentueuse Peggy Miller qu’il a « coachée » initialement et ne retrouvera qu’en fin de parcours, après diverses péripéties romanesques pas vraiment développées,  pour un pas de deux à claquettes qu’on ne dira pas non plus la séquence la plus légère du film – Jean Dujardin est certes bien plus intéressant ici qu’en O.S.S. 117, sans égaler Fred Astaire ou Gene Kelly pour autant…  

    Pas plus que d’Intouchables on ne parlera enfin de The Artist comme d’un grand film d’auteur, mais le plaisir, le charme, une pointe d’émotion sont au rendez-vous et ce n’est pas à «jeter » par les temps qui courent… 

  • La banquette des confidences

    Holder.jpgÀ propos du recueil de nouvelles Embrasez-moi, d'Eric Holder

     

    par Antonin MOERI

     

    Dans la brève préface aux sept magnifiques nouvelles d’Eric Holder que les éditions du Dilettante viennent de publier, l’auteur nous dit que le goût d’écrire lui est venu quand, au pensionnat, la nuit, il racontait aux copains des histoires de fesses. Il voulait les faire rêver, ses copains, jusqu’à ce qu’ils se croient avec Ambre, Marine ou Garance. Ici, dans ces nouvelles, le narrateur nous tient en haleine avec des histoires que d’autres lui ont racontées. Confident très attentif, il se souviendra de certains détails et, pour le reste, déploiera allègrement son imagination. «Lorsqu’il y avait des blancs, j’ai relié les pointillés».

    Sauf au début de la première nouvelle, où Youssef exhibe son chibre bleu en pleine classe («Touche, elle mord pas»), le narrateur n’est jamais le témoin oculaire des faits qu’il relate. Les moments d’embrasement passent toujours par un ou une intermédiaire. Francis lui parle de Cathy dans un boui-boui, Charles évoque Marie sur la banquette d’un train, Aurore parle de Pawel dans un bar à champagne, Laetitia chuchote le récit de ses ébats avec Virgile dans un salon du livre. Ces moments d’embrasement sont somptueux. Rien de triste ou de déprimant dans la mise en scène de ces minutes où tout bascule dans l’inconnu, quand le coeur bat trop vite, qu’on va se désagréger, que l’organe se présente inopinément avec une violence de bagarre de rue, et que le mouvement s’accélère. «Il part de ses épaules, dévale le long du dos, surélève sa croupe, avant de s’arrêter sur un volcan».

    Les descriptions pourraient rappeler celles de Sade, mais sans leur monotonie. Le lecteur y sent une jubilation plutôt rabelaisienne ou henry-millerienne. L’intimité de la femme est explorée avec un empressement frénétique. Il y a de l’effarement quand les tétons s’érigent et que la pointe du dard élargit l’anneau «par degrés si discrets que lorsque, enfin, la majeure partie est entrée, à l’exception d’une nouvelle pluie d’étoiles sur son corps, Laetitia ne ressent rien de fâcheux, au contraire».

    Laetitia est une femme qui, à vingt ans, épousa un ingénieur deux fois plus âgé qu’elle. Elle vit dans une villa cossue, cultive des fleurs, organise des raouts et des séances de signatures dans les salons du livre, c’est le genre de femmes qu’on serait tenté de ridiculiser, d’épingler sur une tablette en tant que représentante d’un univers détesté. Eric Holder procède différemment. Sa Laetitia Bercoff, conseillère à la culture, il nous la présente avec ses chaussures plates, sa jupe plissée, «son brushing qui nous renvoie aux années soixante». Cette dame aime fréquenter les élus locaux, des comédiens, présidents, journalistes. Mais quand un employé municipal (nommé Virgile) lui offre ses services, elle ne saurait refuser. Elle révise avec lui le code de la route et saute de joie quand il obtient son permis de conduire.

    En aspirant le venin des guêpes qui ont piqué les cuisses de l’homme à tout faire, elle voit tout à coup l’anguille lever la tête. Le diamètre est impressionnant. «Elle constate qu’elle mouille - ce n’est pas tous les jours». Elle découvre l’habileté en la matière de Virgile et ses audaces qui font l’orage gronder dans sa tête. Ces transports, cette euphorie, cette torture sublime, Laetitia aura tout loisir de s’en souvenir sur la Piazza San Marco où, en compagnie de son mari, elle contemplera le célèbre dôme en sirotant un Campari.

    Laetitia aura connu ces minutes au cours desquelles «les flots s’agrandissent aux dimensions d’un océan». Elle les aura connues dans les bras d’un imbécile heureux, droit dans ses bottes, prêt à cogner s’il le faut. Là encore, j’exagère, car le Virgile de Holder n’est pas exactement un imbécile, «il ne manque que d’un cheveu d’être crétin». Dans sa tête «circulent des pensées finaudes, rouées, madrées, des calculs de paysan». Je crois que c’est la leçon d’Eric Holder: on a vite fait de classer les gens. Un écrivain comme lui laisse sa chance à chacun de ses personnages. N’est-ce pas la marque du nouvelliste de valeur?

    Holder3.jpgERIC HOLDER: Embrasez-moi, Le Dilettante, 2011

    Ce texte est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, de décembre 2011.

  • Ceux qui parlent en rêvant

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    Celui qui ne supporte plus la crétinisation ambiante / Celle qui se débat dans son gobelet vide / Ceux qui sentent le sol se dérober sous leur trépas / Celui qui se raccroche à l’Euromillions / Celle qui se raccroche à Que du bonheur la série bantoue / Ceux qui déjouent le Rejet / Celui qui se reconstruit avec du matériau de récupe / Celle qui ne peut plus se sentir / Ceux qui plient mais ne rompent point barre / Celui qui se sent au bord du gouffre et en reste là / Celle que le franc lourd ne rend pas plus légère / Ceux qui changent l’eau des poissons en attendant le tsunami / Celui qui en perd son grec / Celle qui pare au plus stressé / Ceux qui repartent comme en 29 / Celui qui dit qu’il l’a toujours dit / Celle qui déclare à son chat Mutin qu’il va falloir se serrer la ceinture / Ceux qui font face profil bas / Celui qui reprend un bol d’air entre deux réus / Celle dont la mise en plis laisse à désirer ce que lui fait observer la secrétaire de direction par mail / Ceux qui persistent et saignent / Celui que ses rêves ramènent à la Réalité / Celle que ses rêves embellissent sur l’oreiller / Ceux qui notent leurs rêves / Celui qui rêve qu’il rencontre trois jeunes filles dans les jardins de la Colonie de Vacances / Celle qui a une robe d’un jaune bouton d’or à nuance orangée / Ceux qui se réunissent au fond du jardin de la colonie pour entendre jouer la claveciniste en robe mauve / Celui qui tombe amoureux en rêve / Celle qui se dit en rêve que somme toute elle s’aime bien comme elle est / Ceux qui résistent à la grossièreté du monde par la grâce de leur vie onirique / Celui dont la vie onirique est une série d’enchantements volatils / Celle qui apparaît dans tes rêves sous le signe de la Fantaisie / Ceux dont les rêves se déploient en frises théâtrales dont l’érotisme subtil évoque les romans de Ronald Firbank / Celui qui invente les rêves qu’il raconte à son amie psy dont le manque d’imagination l’a toujours peiné / Celle qui a toujours redouté l’humour souvent obscène des rêves à caractère érotique dont elle ne trouve pas de clef dans la lecture freudienne / Ceux qui redécouvrent leur beauté intérieure au fil de rêves d’une stupéfiante inventivité compulsive et sublimatoire enfin vous voyez le genre / Celui qui rompt le cycle infernal dans lequel il avait cessé de rêver / Celle qui a cru rencontrer une réincarnation de Jean Paul Richter dans les jardins de la Colonie alors que c’était simplement Hervé le Letton le fameux slameur néo-punk / Ceux qui se réveillent avant l’aube et sourient dans le noir, etc.

    Image: avant l'aube, mise en abyme...

  • Message "téléphoné"

     

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    Retour sur Klatch avant le ciel, de Nancy Huston, en création au Théâtre Kléber-Méleau, Lausanne-Renens.

    On devrait être secoué à la sortie du théâtre Kléber-Méleau, ces jours, où se donne Klatch de Nancy Huston, mise en scène en création par Philippe Mentha qui tient aussi, non sans héroïsme, le rôle–titre. La pièce se veut en effet dérangeante. Contre la domination masculine sous tous ses aspects, du mec quelconque à Dieu le Père. Contre la servitude féminine plus ou moins volontaire. Plus précisément en l’occurrence : contre l’auto-adulation pleurnicharde de l’Artiste-mec, puisque le protagoniste est un vieux comédien à l’hosto dont on va revivre toute la trajectoire  après une première double allusion grinçante à Fin de partie et Oh les beaux jours de Beckett : « Encore une journée divine… »

    Retour donc à l’enfance de Klatch soumise à l’autorité de Maman. À sa vocation théâtrale en butte  à la rivalité d’une première épouse actrice, prénom Sarah, qui le largue avec la petite Clara pour sa propre carrière. À un nouveau « pacte » avec la très catholique Hortense, bientôt en butte à l’athéisme de la jeune Clara. Laquelle adulera Papa avant de s’émanciper, socialement et sexuellement, pour balancer au vieux grabataire un réquisitoire de tribade féministe « qui s’assume ».

    Or sort-on « secoué » de tout ça ? Pas vraiment. Faute d’incarnation. Passant au théâtre, la romancière poreuse qu’est Nancy Huston, si sensible aux nuances humaines dans Dolce agonia ou Lignes de failles, cède un peu trop le pas, ici, à la « femme libérée » impatiente de délivrer des messages. Par trop « typés », les personnages passent d’une situation à l’autre au fil de situations convenues voire improbables. Ainsi de la relation entre Klatch et la pauvre Hortense (Danielle Borst), décidément caricaturée. On rit un peu. On n’est jamais vraiment ému. Festival de citations, Klatch convoque une flopée de grands auteurs et de paroles « à graver », mais le verbe de la pièce elle-même, souvent forcé, s’effiloche en words, words, words…

    Suite de tableaux qu’articule une sorte de tourniquet artificiel d’entrées-sorties, la pièce ne manque certes ni d’observations en matière de guerre des sexes (mais après Ibsen et Strindberg…) ni de tirades de bravoure, jouant en outre sur quelques morceaux chantés  à la Brecht, excellemment modulés par Pascal Auberson. Lequel signe aussi la musique du spectacle - la note du maître de chant sera meilleure pour ces dames que pour le Monsieur, mais passons. Côté scénographie, c’est du Jean-Marc Stehlé « maison », solide, efficace, esthétiquement accordé à l’objet.  Pour l’interprétation, Philippe Mentha se « donne » à fond dans un personnage d’humilié multifaces, autant que les comédiennes (Danielle Borst en Hortense, Chloé Réjon excellente en Sarah et Clara, et Catherine Schaub-Abkarian en infirmière et en mère) dont les personnages dorlotent ou chahutent le pauvre Klatch…

    Lausanne-Renens. Théâtre Kléber-Méleau,. Réservations: 021 / 625 84 29.