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  • Le règne de l’insignifiance

    Prix littéraires 2005. Clin d'oeil rétrospectif...

    Ce mauvais coucheur de Castoriadis parlait, à propos de l’évolution de la culture contemporaine, de « montée de l’insignifiance » et celle-ci me paraît précisément caractériser les prix littéraires de cet automne, mais est-ce bien nouveau ? Cela ne fait-il pas un siècle que le Goncourt revient à des Weyergans, et le Nobel de littérature n’a-t-il pas été inauguré par Sully Prudhomme ? Le ciment d’une société reste le conformisme et l’on serait bien niais (comme je le suis à mes heures…) de s’attendre à ce que la non-conformité fût consacrée, même à une époque ou le pire conformisme se pare des plumes du non-conformisme. Bref, on ne devrait pas s’étonner de voir le Goncourt attribué à une chose aussi insignifiante que Trois jours avec ma mère et pas à La possibilité d’une île de Michel Houellebecq, ce malappris, ou pire : à l’époustouflant Cosmos incorporated de Maurice G. Dantec, ce réac foldingue qui n’est apparu dans aucune liste à ce que je sache.
    Que le prix Médicis soit attribué à Fuir de Jean-Philippe Toussaint, ce savon de luxe qui vous glisse entre les pattes, et que le prix Femina revienne à Asiles de fous de Régis Jauffret, cet esthète de la désespérance affectée, paraît également ressortir au littérairement correct et à la norme, comme l’Interallié, en principe réservé à un journaliste, collé par raccroc à Houellebecq, relève du n’importe quoi…
    A supposer que Monsieur Ouine de Bernanos, Vie de Samuel Belet de Ramuz ou L’apprenti de Raymond Guérin eussent été publiés cette année, les noms de ces auteurs seraient-ils apparus sur les listes des prix ? C’est possible mais pas du tout certain. Ce qui est sûr en revanche, c’est que ces livres ont été primés par le Temps, si j’ose dire, et qu’ils signifient aujourd’hui plus que jamais, avec ou sans médailles…

    Post scriptum de 2010: Non sans grain de sel, on relèvera les progrès de l'industrie avec le Goncourt à l'Houellebecq, un Médicis étincelant à Maylis de Kerangal pour Naissance d'un pont, un Femina non moins éclatant à Patrick Lapeyre et un Prix du roman de l'Académie de grande qualité  avec Nagaski d'Eric Faye, enfin un  Prix Interallié carabiné  à un nègre suisse romand... 

     

  • Ceux qui sont à l'écoute de l'Autre

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    Celui qui vendrait sa sœur cadette pour se payer un Runner 125 / Celle qui aime faire son entrée au Théâtre National au bras de l’homme le plus friqué de la capitale / Ceux qui s’investissent complètement dans leur œuvre posthume / Celui qui enferme son fils indiscipliné dans la soute à charbon de la péniche Gundula / Celle qui a autant de romans en projet qu’Amélie Nothomb à ses débuts / Ceux qui passaient pour les maîtres à penser de la jeunesse bulgare vers 1912-1913/ Celui qui boycotte les produits Calvin Klein et mange du chat / Celle qui prétend que toutes les races de chiens savent danser / Ceux qui affectionnent les recoins des grandes brasseries ferroviaires / Celui s’est juré de rédiger un traité de bonheur pour l’homme contemporain / Celle qui estime que sa vie n’est qu’un monologue dans une chambre froide / Ceux qui n’ont plus tellement envie de faire la chose avec la lumière / Celui qui opte pour un reformatage existentiel chez les mormons / Celle qui ne pense pas que son coiffeur Alban soit capable de lire le dernier Le Clézio / Ceux qui fonctionnent à la reconnaissance ostensible au niveau des réus de l’Entreprise / Celui qui jouit de son pouvoir sur les secrétaires du Service de Automobiles / Celle qui a vu la soldate allumer les caporaux / Ceux qui alertent les médias dès qu’ils repèrent une irrégularité dans le fonctionnement des Services de la Voirie / Celui qui n’est plus le même depuis qu’il se fait appeler Graziella / Celle qui va lancer le concept des marionnettes antidrogues avec son compagnon de vie / Ceux qui exigent une label de qualité Q pour les vacances à la ferme, etc.    

     

    Peinture: Edvard Munch.

     

  • Ceux qui manquent d'humour belge


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    Celui qui estime que le Prix Goncourt 2010 est si nul qu’il ne le lira pas, voilà / Celle qui estime qu’avec une telle gueule de furet névrosé ce type ferait mieux de se cacher point barre / Ceux qui souffrent pour la France exception culturelle humiliée par l’Académie Goncourt qu’est plus ce qu’elle était / Celui qui prétend qu’à côté d’un Pierre Michet ou d’un Richard Millon y a pas photo / Celle qui range ce pseudo-provocateur de cafétéria d’aire d’autoroute au rang de Jean d’Ormessier et autres François Nourisson enfin quoi le roman bourgeois de papa / Ceux qui préfèrent le Houellebecq danois / Celui que le Président a déçu en affirmant après Carla que le nouveau Goncourt était super même sans l’avoir lu vu qu'il a pas le temps avec toutes ses Affaires / Celle qui pense surtout à tout le blé que ce nul va récolter alors que son recueil Amers de ton Absence n’a été vendu qu’à 233 exemplaires dans le canton / Ceux qui te traitent de vendu parce que tu défends ce pourri / Celui qui voit en Houellebecq un pur phénomène de pavlovisme littéraire / Ceux qui prétendent que l’enfant Houellebecq était cruel avec les mouches comme dans le film de Fassbinder Satans Betrieb donc tu fais le rapport et t’as compris / Celui que la comédie parisienne a toujours amusé et qui a donc installé un téléviseur dans son écurie pour pouvoir la suivre en gouvernant / Celle qui pouffe en imaginant la scène de porno qu’on pourrait faire tourner par MH et la Cicciolina genre sacs d’os filmés par Jeff Koons / Ceux qui voient en Houellebecq le fils putatif de J.G. Ballard avec une touche belge en sus / Celui qui s’est fait décrier en 2006 pour son soutien à Jonathan Littell, par le mêmes non-lecteurs des Bienveillantes que ceux de La Tarte et l'écritoire / Celle qui affirme qu’elle n’ose par se présenter ce matin à ses élèves de l’Atelier Littéraire après la catastrophe du 8 novembre / Ceux qui aiment bien le côté chatterie-torcherie de la remise du Goncourt chez Drouant / Celui qui ne met pas le style de MH très haut mais c’est pas le problème va-t-il répétant à ses collègues de l’Institut Littéraire dont le style à eux relève de ces choses qui font prier pour user d’un contrepet usé / Ceux qui voient en Michel Houellebecq le summum de l’esthétique Deschiens et par conséquent le Sublime Reflet de cette époque finalement assez dégoûtante sur les bords, etc.

  • Comme un acte salvateur

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    L'Epistole

    de Sébastien Meyer

    Le soleil n'éclaire encore que le toit. La lumière est transparente, le ciel bleu, bleu infini, bleu d'une aube froide et immobile. Pas un oiseau, tout est figé dans une lumière blanche. Dans la cour intérieure de l'immeuble, les volets commencent à s'ouvrir. Là, au dernier étage, une femme fume seule à sa fenêtre sa première cigarette. Elle a le regard encore empêtré dans ses rêves, légèrement flou, pensif. Les traits boursouflés et les rides obèses.

    Bob Dylan souffle un air d'harmonica qui me donne une impression d'éternité. Le sentiment que le temps n'est plus, ni l'espace d'ailleurs. Où suis-je? Quelle importance, finalement? Cet instant, photographie d'un monde qui se réveille dans le froid, de l'inertie à peine brisée de cette cour intérieure par quelques volets rouges qui ouvrent les appartements sur le monde, ressemble fort à cette minuscule cassure, cette toute petite faille dans le déroulement des jours, des vies, des banalités, des quotidiens. Le sentiment d'absurde et ridicule petitesse de nos âmes se reflète sur le bleu infini de ce ciel pur hivernal.

    Hier soir, alors que je veillais dans ce foyer thérapeutique glauque où des êtres en souffrance errent sans but ni victoire, j'ai virtuellement prêté le flan à la condescendance de quelques universitaires cultivés, j'ai expliqué à un alcoolique comment il pourrait économiser s'il se mettait aux clopes à rouler, j'ai regardé passer la nuit avec lenteur, poussée par un vent glacial qui trahissait l'isolation désastreuse de cette bâtisse croulante. Je suis rentré au matin, filant dans une ville endormie et engourdie par le froid, et me voilà, à scruter le début de la vie de la cour intérieure de l'immeuble. La vie débute et moi je m'apprête à fuir, les yeux cernés par une nuit pas si blanche que ça, une nuit où le temps et moi ne semblions plus accordés, lui avançant trop lentement, se traînant d'heure en heure, me laissant dans une attente même pas contemplative.

    Au matin la vie reprend et moi je la laisse filer, acceptant mon décalage, le fait de n'y être pas synchronisé. Et en fumant ma dernière cigarette avant de retrouver le sommeil, je vois l'absurde roulement des vies, de la mienne et des autres, l'affreux embourbement dans ce quotidien, fallacieux sentiment d'avoir un sens, je sens en moi l'envie de ne plus me débattre, mais de déclarer forfait, vraiment, un forfait intellectuel et émotionnel. Ces matins clairs poussent au sentiment d'abandon, l'anéantissement de tous nos manques moteurs, l'envie de n'être rien, puisque de toute manière on n'est déjà pas grand chose.  Le vide remplit la cour intérieure, le vide refuse les notes nostalgiques de Dylan, le vide résonne, se jette sur moi et m'assaille, dévoilant mon immobilité. Alors j'écris, face au vide, pour combler, un peu, encore, pour tenter, malgré tout, d'être prêt à vivre, pour faire ce que je peux. Je tente de saisir à nouveau l'évidence, la beauté de cette femme qui fume sa première cigarette pendant que je fume ma dernière, la clarté du mur d'en face ébloui par un soleil sans contestation, évident. Et tout le reste n'est que futilité.

    J'écris, j'écris au Passe-Muraille, une lettre qui n'en est pas une, à un destinataire qui n'en est pas un, dont j'ignore tout, jusqu'à ce que je pourrais bien lui dire. Mais comme un acte salvateur, comme une évidence qui me sauve de la déchéance, j'écris quand même.

     

    Cher Passe-Muraille…

     

    Cette lettre de Sébastien Meyer au Passe-Muraille est à paraître dans le No 84, à l'impression.

  • Le roman comme un pont

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    Editorial

    Le roman comme un pont à construire

    « Il n’y a plus d’autre raison d’être à l’art romanesque que d’arriver à saisir l’époque », écrivait Philippe Muray. « En long, en large, en travers. Découvrir le cœur du « système » nouveau. Capter ses aspects encore invisibles. Mettre à nu la voix du temps, son caquetage incessant, et toutes ces inflexions changeantes d’une musique inédite à travers laquelle se tresse l’éloge qu’il porte sur lui-même ».

    C’est exactement cette démarche qui porte l’un des plus beaux romans de la rentrée française 2010, Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal. Par delà le soupçon jeté sur le genre même du roman, réduit par Céline à la « lettre à la petite cousine » puis « déconstruit » par les Modernes, Barthes en tête, contre l’histoire, le personnage et même la notion d’auteur. Rêve d’un texte textuel qui s’éclate dans la textualité et dans l’intertextualité. Les gogos, universitaires en tête, se seront pâmés devant la nouveauté. Mais Joyce avait déjà tout fait dans Ulysse et défait avec Finnegan’s Wake, et le dernier Céline de Guignol’s Band tirait l’échelle, avant le défilé vertigineux des rhapsodies poétiques, de Paradiso de José Lezama Lima à Zone de Matthias Enard…

    Et le roman là-dedans ? Plus que de la romance ? Du fait divers étoffé ? Ou n’importe quoi : confession, carnets de voyage, choses vues dans  la garrigue ou Rive gauche, derniers ragots sur les pipoles ?

    Allons plutôt voir ailleurs, via Philip Roth, Annie Dillard, Bret Easton Ellis, Thomas Pynchon,  J.M. Coetzee, J.B. Ballard, Don DeLillo, Vargas Llosa ou Fuentes avant de revenir au sourire mélancolique de Michel Houellebecq et au pont jeté par Maylis de Kerangal vers un nouveau possible…       

      «Le roman n’est pas mort, parce que l’homme ne l’est pas », disait un jour Soljenitsyne.

    Or, tout reste à dire de la nouvelle réalité dans laquelle nous sommes immergés, jusqu’au plus fantastique et au plus fantasmatique. Jusqu’au plus irréel du réel que nous vivons. Le roman d’aujourd’hui et de demain reste à construire. Naissance d’un pont…

    JLK

     

     

  • La revanche de Michel Houellebecq

     

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    Prix Goncourt 2010 sans surprise pour La Carte et le territoire, roman déjà plébiscité par le public...

    À l’enterrement de Michel Houellebecq, son éditrice Teresa Cremisi sanglote dans le giron de Frédéric Beigbeder en considérant le cercueil d’enfant dans lequel les restes de l’écrivain, méchamment découpé en fines lanières par un pervers collectionneur d’art, ont été recueillis.

    La scène est tirée de La Carte et le territoire, dernier roman du plus juteux « poulain » de dame Cremisi, éminence dorée de l’édition parisienne, passée de Gallimard à la tête de Flammarion et qui avait déjà « boosté » les romans précédents de l’écrivain avec un art consommé du marketing.

    Résultat de la course : l’auteur le plus  controversé et le plus  « culte »  de la littérature française du tournant du siècle, a obtenu hier le plus prestigieux des prix littéraires parisiens avec un roman  caracolant, depuis quelques semaines déjà, en tête des listes de ventes. Cette « consécration » rappelle celle de Marguerite Duras, en 1984, quand L’Amant, best-seller de la rentrée, avait été «goncourtisé» de manière jugée opportuniste par d’aucuns. En ce qui concerne Houellebecq, ce Goncourt 2010 fait en outre figure de « rattrapage », en matière de reconnaissance symbolique, après que les jurés des grands prix de l’automne  eurent « snobé » ses quatre romans précédents, à commencer par les Particules élémentaires, tous traduits aujourd’hui en une quarantaine de langues…

    De fait, souvent honni de ses pairs français, irrités par ses provocations mais plus encore par son succès international, Michel Houellebecq est sans doute l’écrivain français considéré hors de France comme le plus représentatif de sa génération, en phase avec les nouveaux auteurs du monde entier.

    Un ton nouveau

     Dès Extension du domaine de la lutte, publié en 1994 par un grand découvreur des lettres contemporaines, en la personne de Maurice Nadeau, Houellebecq s’est signalé par une perception nouvelle de la réalité contemporaine, et une façon très directe de parler du monde du travail et de la sexualité, de toutes les formes de déprime et de la fuite en avant dans la course à la réussite et la recherche d’un bonheur souvent factice.

    Clonage, échangisme, tourisme sexuel, dérives sectaires ou fanatiques (sa fameuse phrase sur l’islamisme dans Plateforme…), solitude de l’individu dans une société de plus en plus formatée, simulacres de la charité ou de la culture : tels sont, entre autres, les thèmes abordés par ce médium frotté de douce désespérance…     

    Au-delà des manoeuvres

    Donné pour gagnant, la semaine passée, sur deux pleines pages du Nouvel Observateur, Michel Houellebecq a obtenu le Goncourt après une délibération-éclair d’une minute et 29 secondes, au dire du juré-secrétaire Didier Decoin, et par sept voix contre deux à Virginie Despentes. La campagne de promotion orchestrée par son éditrice, avec son consentement faussement ahuri, a fait converger stratégie de longue date et tactique de dernière ligne. À lui le pompon !

     

    Humour panique et mélancolie

    On a parlé, pour dégommer La carte et le territoire, d’un roman « consensuel » purgé des aspects «sulfureux» de ses précédents romans, comme s’il s’agissait pour l’écrivain de faire le gros dos en matou matois péchant le compliment. Or, s’il y a un peu de cette suavité composée dans la campagne de promotion de son roman, celui-ci marque une évidente évolution du regard de l’écrivain, devenant ici son propre personnage, sur le monde et sur les gens.

    Surtout : Michel Houellebecq reste un observateur aigu, et parfois percutant, de la société qui noue entoure. Des menées personnelles d’un artiste, à la fois intéressant  et « piégé » par un marché de l’art délirant, aux relations de plus en plus équivoques entre culture et commerce, vie privée et publicité, au royaume des marques et de la spéculation, l’écrivain joue avec son propre personnage dans une mise en abyme pleine d’humour tantôt tendre et tantôt noir. Le sentiment du temps qui passe, et du vieillissement, pondère la satire (même si l’association Dignitas en prend pour son grade) et le dessin des personnages se fait plus nuancé, leur substance plus étoffée.

    Dans une chronique malveillante témoignant d’une piètre lecture, l’académicien Goncourt Tahar Ben Jelloun a parlé de la mégalomanie de l’écrivain pour le « scier ». Or c’est une tout autre image qu’en donne La Carte et le territoire, roman d’un clown triste jouant le vieillard en pyjama fripé avec une énergie et un fond de jubilation sardonique que nimbe un non moins perceptible mélancolie…

     Michel Houellebecq. La Carte et le territoire. Flammarion, 428p.

     

    SMS en coulisses ?

    Un rien de temps après que l’annonce du Prix Goncourt, attribué hier à Michel Houellebecq par sept voix, contre deux à Virginie Despentes, la nouvelle tombait que le  Prix Renaudot 2010  revenait à ladite romancière « trash », au 11e tour et par  quatre voix, contre trois à Simonetta Greggio.

    Or, eût-il pu se faire que Virginie Despentes décrochât à la fois le Goncourt et le Renaudot, à supposer par exemple que, vexés par la rumeur médiatique d’un Goncourt assuré à Houellebecq, les jurés de l’Académie reportent leur voix sur la punkette ?

    Cela eût très bien pu se faire, comme cela s’est fait en 1995 où, sans concertation probable, l’écrivain russe francophone André Makine obtint coup sur coup le Prix Médicis, le prix Goncourt et le Goncourt des lycéens pour Le Testament français. De la même façon, la lauréate du Médicis 2010, Maylis de Kerangal, aurait pu décrocher à la fois le Grand Prix du roman de l’Académie française, le Femina, le Médicis et le Goncourt, puisque son (très remarquable) roman, Naissance d’un pont, figurait sur les dernières listes de ces divers prix…

    Y a-t-il eu, alors, des téléphones, des billets échangés et autres SMS de concertation ? On peut le supposer. Ou pas. Et qu’importe finalement ?        

     

     

  • L'intruse

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    À propos de Nagasaki d'Eric Faye, palmé par les Académiciens...

    C’est un petit livre à la fois troublant et prenant que Nagasaki d’Eric Faye, dont l’épisode central est tiré des journaux japonais de mai 2008 : à savoir l’installation clandestine d’une femme dans l’appartement d’un homme seul qu’elle squatte à son insu durant une année. On pense au protagoniste d’Iriku (Vivre), le chef-d’œuvre de Kurosawa, en commençant de lire le récit de la vie de Shimura, quinquagénaire employé dans un office de météorologie et vivant seul dans une maison individuelle dont il néglige de fermer la porte d’entrée, et dont l’existence est cependant très réglée, maniaque même, au point qu’il ne peut que constater, tel jour, la diminution du niveau d’un jus de fruits multivitaminé dans son frigo, et tel autre jour la disparition de quelque autre aliment. Au premier sentiment de malaise succède bientôt une vague angoisse, qui l’incite à installer une webcam dans sa cuisine qui lui permettra de surveiller celle-ci depuis son ordinateur de bureau. Or il lui faut peu de temps pour surprendre, en effet, une silhouette furtive, puis une femme vaquant chez lui avec des gestes d’habituée, à ce qu’il semble, dont la présence le plonge d’abord dans le trouble avant de l’inciter à appeler la police. Alertée, celle-ci débarque bel et bien dans l’appartement du plaignant, qui en est déjà à regretter son geste, débusque la femme réfugiée dans un placard, l’embarque et obtient l’aveu qu’elle squatte une chambre de Shimura depuis des mois déjà. L’anecdote est évidemment singulière, mais on pourrait en rester là, avec le procès suivant l’arrestation de la squatteuse clandestine et le dénouement prévisible de l’affaire. Mais Eric Faye fait bien plus que « romancer » un fait divers, nous faisant vivre de l’intérieur le bouleversement d’une vie toute plate et sa remise en question, comme dans le film de Kurosawa, en beaucoup moins radical cependant, avant la bifurcation de la narration qui nous fait revivre les faits par le témoignage de la squatteuse, ancienne militante d’une fraction terroriste qui survit chichement comme un autre « zéro » social et affectif.

    Sans un atome de sentimentalisme, avec quelque chose de kafkaïen, ou plus exactement de walsérien dans le regard, ce roman dégage pourtant une espèce de chaleur humaine qui rappelle, une fois, encore, la perception « tchékhovienne » d’Iriku, sur fond de Japon marqué par la Catastrophe. Comme la neige dans le film de Kurosawa, et comme l’inoubliable complainte de « la momie », une sorte de chanson triste court entre le lignes de Nagasaki, qui laisse au cœur une marque sensible… Eric Faye. Nagasaki. Grand prix du roman de l’Académie française. Stock. 107p.