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  • Ceux qui remontent les fleuves

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    Celui qui est libre de pensée sans se dire libre penseur / Celle qui se refait une beauté dans le sous-bois / Ceux dont l’horloge est la chair / Celui qui résiste à la grand fatigue d’être / Celle qui perce le Secret douloureux / Ceux qui s’arrêtent devant la Vieille Femme de Giorgione / Celui qui lit Cavafy sous une rangée de bougies / Celle qui perçoit en elle la fluctuation / Ceux qui flottent dans l’indétermination de leur sourire / Celui qui a baissé sa garde pour mieux se défendre / Celle qui déclare une guerre totale à la Cellulite / Ceux qui remontent aux sources en sautant une idée sur deux / Celui qui voit éclore la rose de douceur dans l’orage d’acier / Celle qui rayonne de toutes ses rides / Ceux qui n’entendent pas la supplique de leur chair / Celui qui retient le temps par sa main de sang / Celle qui boit les paroles du sellier métaphysicien / Celle qui subit le temps accéléré de la faim / Ceux qui distinguent « l’anatomie d’une puissance consumée » dans les traits de l’enfant tiré des gravats / Celui qui est sensible à la Moire / Celle qui pressent l’assaut des fourmis carnivores et s’en réjouit pour des raisons massivement hygiéniques / Ceux qui savent que la faim n’est pas la fin de l’anthropophagie rituelle / Celui que ses yeux très salés ont protégé quelque part / Celle qui émarge au Fichier de la police du fleuve / Ceux que renferme une capsule d’infini mais qui n’en rien à souder / Celui qui injecte quelques années de plus à sa riche patiente / Celle que ses trois liftings disposent à certaine réserve en matière d’expérimentation animale / Ceux qui se rappellent les balcons chantants de la rue de Jadis / Celui qui estime qu’un individu qui ne chante plus ne mérite plus d’être considéré comme vivant / Celle qui chante son fado dans la maison close aux fenêtres donnant sur le Tage / Ceux qui traînent derrière eux la charrette de leurs Désirs assouvis ou non quelle importance après tout, etc.

    Image : JLK, à Schoorl

  • Ciné jeune public

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    À la 23e édition du Festival international de Bellinzone : une ouverture sur le monde par le cinéma.

    Zoom sur cinq jeunes musiciens sortis des bidonvilles de Caracas grâce à un réseau d’orchestres classiques de haut niveau. Gros plan sur une anorexique milanaise dont la maladie reflète les carences relationnelles d’une société gavée. Travelling dans le dédale populeux de Taipeh où la quête d’amour d’un Roméo romantique prend des allures de polar cocasse: une semaine durant, le jargon du cinéma a fait florès à la 23e édition de la Castellinaria.
    À l’affiche: plus de quarante films venus du monde entier, choisis pour leurs qualités documentaires, mais aussi artistiques, et présentés, en priorité, à une centaine de classes tessinoises des degrés primaire et secondaire.
    Ainsi que l’explique Giancarlo Zappoli, directeur artistique de la manifestation, les films sont sélectionnés selon deux lignes directrices. « Pour les enfants de 6 à 15 ans, nous donnons la priorité aux œuvres qui permettent aux enfants une meilleure identification individuelle dans leur environnement familial et social. Et pour les plus grands, c’est plutôt sur l’ouverture au monde et aux multiples cultures et modes de vie que nous insistons. »
    Autant dire que la Castellinaria relève à la fois de l’initiation au cinéma style Lanterne magique, en marge des grands machines commerciales, mais aussi de l’aperçu documentaire international genre Visions du réel. Interactif, le festival combine découvertes et débats, ateliers et expositions. Cette année, ainsi, deux grandes figures du cinéma et de la littérature « jeunesse » étaient à l’honneur, avec Michel Ocelot (célèbre pour sa série de Kiriku) et Gianni Notari, cinéaste et écrivain
    Pour cette édition, 4920 élèves ont assisté aux projections des compétitions, pour un total de 250 classes. Deux jurys d’enfants italophones attribuent les prix des compétitions définies par classes d’âge (6-15ans et 16-20 ans). Les enseignants des classes qui assistent à la compétition des plus jeunes participent à une rencontre explicative avec le directeur du Festival avant le début de la manifestation. Ils ont à disposition des fiches pédagogiques à partir desquelles ils peuvent préparer le débat sur le film qu'ils ont choisi de voir. Aux jurys italophone s’ajoute un jury romand du prix « hors les murs » emmené par deux enseignants cinéphiles de Colombier et Saint-Imier. Dans la même optique d’ouverture, on relèvera la projection de l’intégrale de Romans d’ados de Béatrice Bakhti, qui a suscité beaucoup d’intérêt parmi le jeune public tessinois
    Allegro1.jpgEgalement ouvert au public « adulte », le festival se déploie le soir en « événements ». En point de mire mardi soir: la première d’Allegro crescendo de Cristiano Barbarossa, précédée par un petit concert de cordes rassemblant, autour du jeune violoncelliste vénézuélien Jonathan Guzman, une trentaine d’ados tessinois ; et la remise du Castello d’oro au célèbre réalisateur italien Pupi Avati, avant la présentation de son nouveau film Una sconfinata giovinezza, évoquant la détresse d’un couple frappé par la maladie d’Alzheimer.
    Ainsi que le relève encore Giancarlo Zappoli, la Castellinaria, roulant sur un budget modeste (270.000) et grâce à de nombreux bénévoles, prépare indéniablement un nouveau public mieux informé et plus ouvert, en matière de cinéma, qui se retrouvera plus tard au Festival de Locarno…
    Une telle manifestation donnera-t-elle des idées aux enseignant vaudois en la matière ?

    Entre malaise et joie de vivre
    C’est un poncif que d’évoquer la déprime des jeunes d’aujourd’hui, et c’en est un autre que de chanter ceux qui positivent. Or cette antinomie se retrouve dans le palmarès de la Castellinaria, dominé par The Dreamer de l’Indonésien Sang Pemimpi (Castello d’or de la section 6 à 15 ans), Devil’s Town du Serbe Vladimir Paskaljevic /Prix Tre Castelli pour les 16 à 20 ans), et un prix du public partagé entre Allegro crescendo (A slum Symphony) de Cristiano Barbarossa, tonique approche documentaire d’une action sociale et musicale hors norme au Venezuela, et London River, le dernier film plus grave de Rachid Bouchared.
    Pozzi.jpgMême oscillation entre deux de nos coups de cœur : côté drame d’époque, avec Maledimiele, portrait infiniment sensible d’une jeune anorexique en milieu bourgeois milanais, remarquablement campée par la jeune Benedetta Gargari, sous la direction de Marco Pozzi, réalisateur au regard aussi inventif que tendre ; et côté comédie, non moins originale, avec Au revoir Taipeh, premier long métrage du Taïwanais Arvin Chen, qui se plaît à jouer avec les clichés du roman noir et des téléfilms à l’eau de rose en racontant l’histoire d’un amour naissant dans la grouillement de la ville immense où chenapans minables et braves gens se rencontrent dans de folles embrouilles - un vrai bonheur !

  • D'amour et d'humour

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    Hommage à Pupi Avati à la Castellinaria de Bellinzone; présentation de son dernier film, Una sconfinata giovinezza, sur le thème des tribulations liées à la maladie d'Alzheimer;  et découverte du premier long métrage d'un  jeune réalisateur taïwanais, Arvin Chen: Au revoir Taipeh.

    Si les journées sont réservées aux projections visant le jeune public, avec le double concours (les 6-15 ans et les 16-20 ans) soumis au  jugement des jurés adolescents, les soirs de la Castellinaria sont voués à des événements concernant l’audience élargie des adultes, et c’est à cette enseigne que, mercredi soir, hommage fut rendu à un vieux routier du cinéma italien contemporain, assez peu connu dans nos contrées francophones mais populaire en Italie: le réalisateur Pupi Avati, qui fit ses débuts à la trentaine, en 1968, avec Balsamus, l’homme de Satan, a réalisé depuis lors plus de trente films, tels La maisons aux fenêtres qui rient, succès dans le genre fantastique, Le témoin du mari ou Un cœur ailleurs, films largement reconnus dans les années 90. Scénariste également abondant, Pupi Avati a notamment cosigné (avec sergio Citti) le sulfureux Salo de Pasolini et la série télévisée de Hamburger Serenade. Or c’est pour l’ensemble de son œuvre qu’un Castello d’or lui a été remis hier, avant la projection d’Una sconfinata giovinezza, son dernier film présenté en première internationale.

    Thème important (la maladie d’Alzheimer déchirant un vieux couple), bons acteurs (Francesca Neri et Fabrizio Bentivoglio), scénario solide autant que le dialogue: ce film traitant d’amour autant que de maladie, et d’enfance retrouvée autant que de détresse, en impose par le savoir-faire d’un artisan plus que par son originalité ou ses qualités plastiques. N’empêche : l’émotion est au rendez-vous dans cette chronique d’un couple plutôt brillant que frappe soudain la maladie d’Alzheimer dont Lino, ancien journaliste sportif de renom, est victime au grand désarroi de Chicca, qui subit sa métamorphose avec un mélange d’effroi et de sollicitude maternelle. Dans l’un des plus beaux moments du film, nous voyons Lino, à plat ventre sur une piste tracée sur le sol à l’image du Giro, tel qu’il y jouait avec ses compères enfants, enfin rejoint par Chicca dont la tentative de l’intéresser aux jeux électroniques a été vaine. Enfin c’est une lancinante histoire d’amour que raconte Pupi Davati, qui dit s’être inspiré de tribulations vécues par ses proches.

    Une comédie épatante

    Ainsi que l’a  relevé le présentateur du premier long métrage du réalisateur chinois Arvin Chen (né à Boston mais installé à Taipeh), lors du débat suivant la projection d’Au revoir Taipeh, la comédie est un art plus difficile qu’il ne semble au premier regard, dont un Lubitsch est la meilleure preuve. Or on pense à certaines idées narratives de Lubitsch, ou d’Hitchcock, en suivant l’histoire du jeune Kai, amoureux d’une fille installée à Paris et ne pensant qu’à la rejoindre à grand renfort d’apprentissage du français, avant de se trouver mêlé à un imbroglio mafieux qui donne prétexte à un délicieux gorillage des films noirs et autres téléfilms sentimentaux.

    Détaillant une frise de personnages avec autant de précision que de malice, du flic mal barré dans sa vie privée aux petits malfrats évoquant les Pieds Nickelés, le jeune réalisateur parvient à combiner une véritable histoire d'amour naissant, avec sa part de grâce intime,  dans le tumulte de la grande ville où tout le monde se presse, se compresse et bouffe tout le temps force raviolis…

    Très bien construit, très maîtrisé dans sa forme et son rythme, Au revoir Taipeh est le type même du film d’auteur  qui joue, tout en légèreté, avec tous les standards du cinéma populaire joyeusement revisités, sans mépris ni démagogie…     

    Bellinzone. Castellinaria, 23 e édition, du 13 au 20 novembre. Infos : http://www.castellinaria.ch/

  • Ceux qui ont un problème

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    Celui qui ne sait plus que faire de sa mère nympho sur le tard / Celle qui se demande tout à coup si elle a fait le bon choix avec Armand il y a 33 ans / Ceux qui ont conclu un pacte occulte avec les RH / Celui dont l’oreille absolue ne l’est plus / Celle que son nouveau diplôme de coiffure créative rend difficile d’accès pour les gens comme toi et moi / Ceux qui ont perdu tout sens de la mesure au tournant de leur premier milliard / Celui qui découvre que la fermentation du pain nuit à ses ambitions de philosophe briguant des postes  / Celle qui s’est tellement sacrifiée qu’il faudrait lui faire un monument dit-elle / Ceux qui font un tabac dans le papier mâché / Celui qui lance une mode qui lui retombe sur le pied / Celle que Pierre Cardin a lancée et n’a jamais relancée après leur querelle de la Toussaint 88 / Ceux qui ont senti le vent tourner avec le changement de maîtresse du Maître / Celui qui ose lire dans le bar bruyant / Celle qui excuse son ami visiblement trop cultivé pour la clientèle du snack Le Bambou / Ceux qui rejettent les instruits à socquettes de laine / Celui qui s’en sortira grâce à Hegel qu’il a lu en cachette de ses codétenus / Celle qui sert quand même le client discourtois surnommé Le Zébu / Ceux qui menacent le Monsieur trop stylé sûrement de l’autre bord mais on n’est pas sûr / Celui qui diffuse un discret parfum d’agrume / Celle qui rutile en body mauve / Ceux qui sont de mèche avec Bickford / Celui qui se réfugie dans le ramdam pour pallier son acouphème / Celle qui s’est épilée sans l’annoncer à son tuteur Albert Le Ver / Ceux qui se font inviter à la dégustation d’urines bio / Celui qui exhibe son iguane à l’émission hard / Celle qui lâche ses mygales à l’émission Notre Amie La Bête / Ceux qui pèsent leur pain azyme / Celui qui tient le journal de ses pesées d’anorexique albinos / Ceux qui évoquent la faim dans le monde au cocktail de la photographe de favellas, etc.

    Image : Philip Seelen   

  • Cinema jeune public

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    Entre jubilation et mal de vivre: deux films remarquables à la Castellinaria de Bellinzone, festival pour jeune public.

    Débarquer à Bellinzone un jour de novembre pluvieux, après avoir traversé les vallées encaissées du Gothard aux crêtes neigeuses transies par le vent du nord, n’a pas de quoi réjouir la bête, et c’est pourtant l’âme radieuse que la journée de mardi s’est achevée pour nous à l’enseigne de la Castellinaria, 23e édition du Festival international de cinéma jeune public, avec la projection, devant une salle comble, d’Allegro crescendo de Cristiano Barbarossa, captivante approche documentaire d’une action sociale et musicale hors norme, fondée au Venezuela dans les années 70 et désormais célèbre dans le monde entier.
    Allegro1.jpgPour raconter l’histoire des Orchestres de jeunes du Venezuela, fondé par José Abreu Anselmi et touchant actuellement quelque 300.000 jeunes musiciens issus de milieux défavorisés, le réalisateur italien Cristiano Barbarossa a suivi, pendant cinq ans, la trajectoire de quelques adolescents filles et garçons dont l’un d’eux, Jonathan, actuellement maître de violoncelle, était présent à la projection de l’Espocentro. Plus précisément, le jeune Vénézuélien a lancé le concert pour cordes préludant à la projection, en compagnie d’une trentaine d’ados tessinois, avec un extrait du 4e Brandebourgeois…
    Quant au film de Barbarossa, loin de se borner à un banal documentaire, il captive le spectateur en faisant, des jeunes musiciens sortis des favellas de Caracas (le titre anglais est Slum Symphony), de véritables personnages observés dans leur vie quotidienne, sur fond de pauvreté et, parfois, de violence. Au nombre des scènes les plus terribles du film, on voit ainsi Jonathan, momentanément engagé dans l’armée, venir en aide à son frère aîné délinquant dont une jambe vient d’être amputée. Lui-mêne a pu échapper au cercle vicieux de la pauvreté, des expédients, de la drogue et de la violence, par la musique et par sa participation à l’orchestre de Gustavo Dudamel qui jouera à un moment donné – autre séqence combien émouvante du film – sous la baguette de l’immense Claudio Abbado.
    Allegro2.jpgRien pour autant, dans le parcours des jeunes musiciens – dont quelques-uns seulement « perceront » au niveau international – de l’exaltation de success stories. Là n’est pas le propos. Bien plus important aux yeux du cinéaste : la façon dont chacun, des enfants aux adultes (telle la formidable Carmen faisant office de recruteuse et d’éducatrice), participe à cette aventure collective lumineuse. Au bilan final, on apprendra que le petit Fabio, dont le développement a été freiné par des difficultés personnelles, a laissé tomber la musique, tandis qu’une de ses camarades violonistes joue le concerto de Sibelius avec Claudio Arrau, mais celle.ci n’est pas valorisée plus que celui-là par la caméra de Cristiano Barbarossa. De la même façon que le montage du film lui-même se construit et se rythme musicalement, si l’on peut dire, c’est en fin de compte à la gloire de la musique elle-même, reflet de la musique de vivre, que se donne ce généreux et tonique Allegro crescendo, comme porté par autant de belles personnes…

    Pozzi.jpgDe la difficulté de vivre
    Si la musique, pas plus que l’art en général, n’a jamais suffi à régler les problèmes liés à la pauvreté et à l’injustice, le bien-matériel n’est pas garant pour autant de vie essentiellement meilleure, comme l’illustre le beau film de Marco Pozzi projeté ce mercredi matin au cinéma Forume devant quelques centaines de grands ados très attentifs, réceptifs et présents dans le débat avec le réalisateur à la fin de la projection.
    Le motif central de ce film, très représentatif du nouveau cinéma italien est l’anorexie dont souffre Sara, la jeune protagoniste (magnifiquement interprétée par Benedetta Gargari), et pourtant le regard du réalisateur porte au-delà de cette pathologie typique des maladies de civilisation contemporaines : sur les relations affectives en milieu aisé et le mal de vivre de beaucoup de jeunes d’aujourd’hui.
    Très étonnant cependant : que rien de mortifère, moins encore de morbide, ne se dégage du film lui-même, dont la construction des plans et l’image révèle un poète de cinéma rigoureux et constamment inventif, qui exprime énormément par l’image et cisèle un dialogue à la fois sobre et hypersensible.
    Si Marco Pozzi est parti d’une enquête qu’il a réalisée, il y a quelques années, sur les problèmes liés à l’anorexie des adolescents, Maledimiele n’a rien non plus d’un film documentaire conventionnel : tous ses personnages ont la consistance de figures romanesques, et tous les milieux évoqués, du noyau familial de Sara à son lycée, ou de la galerie de photo où expose sa mère au cabinet d’oculiste de son père, se dégagent de la simple illustration. D’une extrême tendresse dans sa façon de détailler les relations humaines, Marco Pozzi n’en fait pas moins un grand film sur le manque d’attention entre très proches, ou plus exactement sur la solitude de chacun dans un monde où les individus sont de plus en plus atomisés sous les dehors d’une parfaite normalité Ainsi Sara, dont la maladie va crescendo, est-elle à la fois figure symptomatique et révélatrice d’un malaise général.
    On pense parfois à Alain Cavalier au fil des plans très épurés de Maledimiele, dans ses parties les plus poétiques, et parfois aussi au Bergman de Cris et chuchotements, dans ses parties confinant au vertige psychique ou à l’onirisme.
    Cela étant, Marco Pozzi est d’une nouvelle génération, et son film reste très italien, mais sans aucune complaisance genre « feuilleton » qui pourrit l’univers télévisuel brocardé par les « pères », de Pasolini à Fellini. Et dire que d’aucuns prétendent que plus rien n’est à attendre du jeune cinéma…
    Bellinzone. Castellinaria, 23e édition, du 13 au 20 novembre. Infos :http://www.castellinaria.ch/

  • Prix Interallié à L'Amour nègre

    Olivier3.jpgL’Amour nègre se la joue satire globale

    Jean-Michel Olivier, écrivain-prof suisse romand, fait  fort dans la parodie de la mondialisation « people». Loué par Marc Fumaroli dans Le Point, le livre a décroché aujourd'hui le dernier des grands prix littéraires de l'automne.

     Le sentiment « panique » que nous vivons, aujourd’hui, dans un asile de dingues doublé d’un lupanar, peut intéresser un romancier. Mais comment parler de ce monde ? Comment le décrire ? Comment en illustrer la démence ?

    C’est ce défi qu’a relevé Jean-Michel Olivier, descendant légitime de Juste et Urbain, respectivement poète et romancier paysan, auteur lui-même d’une vingtaine de livres mais qui passe ici à la vitesse supérieure.

    Comme un Michel Houellebecq, l’écrivain vaudois se sert ici de tous les standards de la culture de masse (cinéma, musique, modes et marques) et de tous les poncifs du langage au goût du jour pour les « retourner » et en souligner, sans moraliser pour autant, la monstruosité.

    Par la voix de Moussa, alias Adam, jeune « nègre » adopté par un couple d’acteurs de cinéma  mondialement connus (prénommés Dolorès et Matt, mais on pense illico à Angelina Jolie et Brad Pitt, avec un zeste de Madonna), le récit carabiné de L’Amour nègre nous plonge successivement dans une Afrique de « bons sauvages » lubriques et corrompus, en pleine fiesta hollywoodienne, sur une île paradisiaque achetée par un acteur devenu célèbre en Dr Love puis en vantant une capsule de café (clone de Clooney…), dans un autre Eden sexuel asiatique pour riches Occidentaux et enfin à Genève où le jeune homme a été ramené comme un bonobo sexuel par une femme de banquier liftée, qui l’abandonne bientôt.  

    Entre autres scènes pimentées de cette satire, on relèvera celle du paparazzo flingué par Matt dans un arbre; la sauterie durant laquelle Adam coupe à la machette (cadeau de Matt…)  la main d’un producteur surpris au moment où il allait violer sa sœur d’adoption ; d’inénarrables séances de psychanalyse ; la séance de tripotage de « bambou » à laquelle Adam est invité par un certain chanteur pédophile, ou la visite humanitaire (non moins que publicitaire) de Mère Dolorès aux enfants d’un bidonville qui lui chantent un hymne du chanteur en question : We are the World, we are the Children…

    Sous ses aspects burlesques, voire gore,  à la Tarantino, L’amour nègre pose de vraies questions, notamment liées à l’humanitarisme publicitaire et à la déliquescence moralisante du monde global. Sur fond d’infantilisme généralisé, tout peut se tolérer dans la Cité des Anges : la consommation délirante, la drogue, le sexe à outrance et toutes ses variations, mais pas l’amour nègre d’un ado bien dans sa peau qui engrosse sa sœur d’adoption avec ce scandale absolu pour conséquence: un enfant !  

    Ainsi l’impression finale qui se dégage de L’Amour nègre, en dépit de sa drôlerie et de son élan tonique, dépasse-t-elle la seule charge vitriolée.

    On pense au Candide de Voltaire au fil des épiques tribulations du jeune héros, qui finit, abandonné par sa « bienfaitrice », dans les bas-fonds de Genève, en quête de sa sœur chinoise casée dans un internat chic de nos régions. Avec un marabout farceur, notre impénitent optimiste survivra en soignant les Suissesses frustrées au moyen de son « bambou » magique. Non sans arrière-goût amer, tout finit donc bien à l’enseigne de « l’amour nègre ». Nos xénophobes en seront-ils rassurés ? Et nos xénophiles de vitrine ?

    Jean-Michel Olivier. L’Amour nègre. Editions De Fallois/ L’Age d’Homme, 436p.

  • Ceux qui diffusent une lumière d’étoiles mortes

    Rodgers16.jpgCelui qui reprend sa bouteille de champ non entamée à la fin de la fête / Celle qui espère que son string vert fluo fera un effet super / Ceux qui parlent du dernier Almodovar en espérant être entendus / Celle qui étouffe au milieu de ces gens libérés / Ceux qui cherchent leur carte dans les fringues dispersées / Celui que sa propre beauté dégoûte / Celle qui va se ressourcer dans le jacuzzi / Ceux qui se taisent en allant d’un groupe à l’autre / Celui qui prétend que Godard est fini / Celle qui parle de l’outil de déstockage des marques en matant le décolleté style BHL de Jerry / Ceux qui se flattent de cliquer toujours sur la bonne affaire / Celui qui pense au décollage de sa nouvelle start-up en écoutant un blaireau de la société Grangier lui parler de l’événement e-commerce de 2005 / Celle qui a introduit la vente-flash dans l'unité de production dont on fête l’anniversaire ce soir / Ceux qui se mettent à l’abri de la même fondation de droit néerlandais / Celui qui affirme en sifflant son septième bloody mary que Patrick Le Lay est un humaniste quelque part / Celle qui prétend que Le Lay a trois couilles / Ceux qui ont souffert sous Le Lay / Celui qui ne s’occupe que de ses moutons d’Ouessant / Celle qui déjoue la nouvelle Technique du Tombeur / Ceux qui ne boivent plus que du Café pour agir responsable, éthique, durable / Celle qui surveille les stations de son fils à la salle d’eau / Ceux qui pensent que leur vie est un roman, etc.

    Terry Rodgers, huile sur toile.