Celui dont les rêves sont tissés de musique / Celle qui comprend que son amour est venu trop tard / Ceux que le destin semble sauver quand il les perd / Celui qui a rendez-vous avec lui-même au Jour des Morts / Celle qui n’a jamais entendu parler de Tristan ni de Faust et qui en réfracte cependant la clarté lunaire / Ceux qui se souhaitent salud y pesetas à l’instant de se rappeler qu’ils vont crever dans le même hosto avant Pâques / Celui qui devine une Atlantide au fond de son rêve éveillé / Celle qui a vu venir la guerre comme l’orage dans un film muet / Ceux qui s’attardent sous le ciel que traverseront demain les bombardiers / Celui dont le pacte avec le Diable échappe aux télévangélistes ignorant même qu’il le sous-traitent / Celle qui débusque un prince du faux dans le sourire mielleux de l’auteur adulé pour ses fables positives / Ceux qui déchiffrent les vestiges de l’inscription Lasc… gni sper vo ch’entr avant de pénétrer dans les ruines de la mine d’argent / Celui qui ressent un grand soulagement sous le ciel vert après la double extase des corps / Celle qui se tient à l’ombre du minaret pour siffler une cannette de Coca 0 / Ceux qui distribuent un tract à la sortie de la Disco où il est écrit que le maître des maître de ce monde est l’Envie ce dont personne ce soir n’a que foutre tant chacune et chacun n’a qu’une envie / Celui qui fait pèlerinage à la chapelle désaffectée du Haut-Pays vendu aux anciens apparatchiks / Celle qui sent en elle se déchirer le voile des apparences / Ceux qui ont consacré leur vie à décrier les rêves des autres / Celui qui s’est affilié au Club des amis d’enfance dans l’espoir d’en rencontrer un qui n’ait pas renié le Pacte / Celle qui estime que notre meilleure amie d’enfance est notre enfance elle-même / Ceux qui cueillent les pavots de mer sans se rappeler ce qu’ils symbolisent, etc.
Image : Au-dessous du volcan, de John Huston
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L’examen
…Je juge mes amants à leur façon de se tenir derrière le rideau métallique quand ils arrivent à mon étage, et autant que de se tenir : de tenir leur chapeau, tu peux me croire : c’est infaillible, c’est à ces signes qu’on décèle un caractère et la classe d’un nouveau prétendant sans recourir à un graphologue ou à un détective, actuellement mon préféré se prénomme Carl Emmanuel, il a quelque chose d’un Gérard Philipe latino, je vais l’essayer et si ça marche je te renvoie l’ascenseur…
Image : Philip Seelen -
2010 Maxi Bonus
… Alors là Raoul si tu ne te sens pas Top Positif un Premier Janvier c’est que t’es qu’un looser : enfin quoi t’es jeune, t’es beau, tu vis à nos crochets, la neige est super ce matin, il fait un temps de commencement du monde, bref tu devrais éprouver le total sentiment de liberté et tu te plains comme ta mère ?
Image : Philip Seelen
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Résolution du Jour de l'An
… Moi je te dis que face à la crise t’as pas le choix : changer de patron c’est vite dit, changer de pays t’y penses pas vu que tous les pays c’est du kif avec la mondialisation et tout le toutim, et changer de femme t’as vu ce que ça donne après trois essais, donc tu pares au plus pressé: tu change d’année et ça va comme ça…
Image : Philip Seelen -
Dernière révérence
Lecture du dernier roman de Jacques Chessex, Le dernier crâne de M. de Sade
- Note sur le soufre, tiré de son Voyage à Naples.
- À Charenton, en été 1814.
- Sade est gros et malade, brûlé dedans et dehors.
- Le narrateur parle du « monstre », non sans insistance parodique sur le ton punitif.
- Qui souligne d’emblée le destin particulier de ce crâne.
- Il parle de la « trempe dégoûtante » et de la « déplorable course » du Marquis.
Relève le danger persistant représenté par ce crâne.
- « Un vieux fou est plus fou qu’un jeune fou, cela est admis, quoi dire alors du fou qui nous intéresse, lorsque l’enfermement comprime sa fureur jusqu’à la faire éclater en scènes sales ».
- Retour au 2 juin 1814.
- Il a 74 ans. JC en aura 75 quand il sera foudroyé.
- Description clinique. Rien ne nous est épargné. M. de Sade a un « sexe modeste».
- Le visiteur observe. Rien ne lui échappe.
- C’est un jeune abbé espion du ministre de l’Intérieur : l’abbé Fleuret.
- Sae a des facilités en tant qu’hôte de marque.
- Il peut recevoir sa maîtresse Marie-Constance depuis 1804.
- Mais il est plus étroitement surveillé que naguère, avec l’ancien directeur général Coulmier.
- Le nouveau, Roulhac de Maupas est plus sévère.
- Aux yeux de Fleuret, il a le crps ravagé mais « la tête très claire ».
- Fait fait bon usage de la jeune Leclerc, Madseleine, fille de la concierge.
- Et du jeune Maniard, bientôt congédié par le directeur.
- Dispose d’aiguilles à chapeaux et de godemichés en nombre.
- Il invoque déjà « son dernier crâne ».
- L’abbé Fleuret, 28 ans, lui plait bien.
- Sade conchie la « sainte escroquerie ».
- L’abbé remarque une « cage de luminosité ».
- Comme un phénomène électrique. L’aura sulfureuse du Marquis.
- À un moment donné il a une syncope.
- M de Sade veut se confier à lui sur ses dernières volontés.
- Pas d’autopsie ni aucune « saloperie de croix ».
- Le docteur lui administre un sédatif anal.
- Détaille le trou du cul de Sade. (p.31)
- « Et tout cela qui sert d’enveloppe, de support corporel déchu, à l’esprit le plus aigu et le plus libre de son siècle.
- Belle évocation des nuits d’été de Charenton.
- Le diable est appelé « le maître à rebours des soutes de l’ombre ».
- Apparaît Madeleine Leclerc, « une vraie petite salope sous ses airs d’ange transparent. »
- Il la paie avec des « figures », comme il appelle les sous.
- Elle l’a approché à douze ans.
- Polanski est battu !
- Sa maîtresse en titre ferme les yeux.
- L’ancien directeur exigeait un rapport fidèle.
- La mère Leclerc ferme les yeux à cause des « figures »…
- Et maintenant (p.41) on passe à la coprophagie et à la communion particulière.
- Madeleine doit faire caca.
- Puis lui présenter l’étron et dire : « ceci est mon corps ».
- Et le pipi : « ceci est mon sang ».
- Commentaire : affreux sacrilège ou veillée d’un cadavre ?
- Suit le détail des sévices subis par le Marquis.
- Enculades au godemichet.
- « Madeleine est friande de ces scènes ».
- Il y a tout un code verbal pour nommer ces scènes.
- Les « chambres » désignant les séances SM, la « maladie » désignant les règles, etc.
- Il la pique cruellement, puis la branle pour la récompenser.
- Le même soir il est au plus mal.
- C’est « une grenade toujours prête à exploser »…
- Après moult péripéties, Sade reste ici « dressé contre la Mort comme la sentinelle de son propre destin ! »
- Le docteur Doucet s’occupe bien de lui.
- Le chapitre XI qui suit commence par un paragraphe qui saisit le lecteur sachant comment Chessex est mort. (P. 55)
- Comme une prémonition.
- Il pense à ses écrits, qu’il planque et protège comme il peu.
- Il est pris de frénésie anale.
- La petite Madeleine lui est précieuse.
- Le Journal est plein de ces notations, dont JC se sert.
- Un jour, son aura de soufre roussit le bréviaire de l’abbé Fleuret.
- Il est, plus précisément, entouré d’une bulle lumineuse évoquant une aura diabolique.
- Un soir ll va creuser sa propre tombe.
- Doucet lui a promis : pas d’autopsie ni de croix !
- Une fois de plus, JC évoque très bien la nature environnante. Campagne de la Marne. Sacré poète…
- « M. de Sade parle, les murs tombent, les serrures et les grilles cèdent, la liberté jaillit des fosses ».
- Le génie de Sade irradie comme d’une pile atomique.
- Une voix conclut à la sainteté de Sade : « Nous pensons qu’il y a la sainteté de l’absolu ».
- Le 11 novembre 1814 paraît le jeune docteur Ramon. Auquel Sade s’attache illico.
- C’est un amateur éclairé.
- Quand il visite Sade, il avise le Génie du christianisme et moult autres livres
- Ramon s’intéresse à la sodomie pratiquée par Sade.
- Puis il y a un épisode méconnu, relatif à une évasion fomentée par le sieur Launet, qui foire cependant.
- L’abbé Geoffroy n’a plus confiance en Fleuret.
- Sa soutane roussit sous l’effet de la bulle de feu.
- Le 2 décembre 1814, son fils lui rend visite. Il est au plus mal.
- Ramon l’assiste.
- M. de Sade passe finalement après avoir pas mal suffoqué et éructé et bu de la tisane de thym des Alpilles.
- On l’emmène à la morgue.
- Ramon arrive à respecter la volonté du mort rapport à l’autopsie.
- À la mi-aôut 1818, on exhume le corps et le crâne.
- Magnifique crâne.
- Ramon récupère le crâne et le met à l’abri. Jamais il n’a vu une chose si belle.
- Le compare au crâne d’un père de l’Eglise.
- Le narrateur s’interroge.
- Ramon est disciple de Gall le phrénologue.
- Comme le Dr Spurzheim, qui fait mouler le crâne en multiples après l’avoir emprunté à Ramon.
- Lapoujade, assistant de Spurzheim, en grignote un bout.
- Et devient sadiste dans la foulée, et se fait envoyer au bagne.
- Et le crâne commence à courir et transiter.
- Quelque chose de baroque et de comique dans cette migration.
- Variation curieuse sur la relique.
- Qui se multiplie comme les orteils de Notre Seigneur.
- On le trouve au Musée de l’Homme de Paris.
- Au château de Berto près de Bex, où se commettra un assassinat.
- Puis le narrateur s’avance au premier rang.
- Se demande ce que veut dire ce crâne ?
- Episode du souper de M. de Sade. On lui sert une jeune paysanne qu’il déguste.
- Le crâne a des caprices.
- Le narrateur va le planquer dans une banque suisse.
- Puis il le case à la clinique La Cascade (La Source lausannoise…) Où le rachète pour cent sous une « rose chirurgienne » plutôt chessexuelle que sadiste, du nom de Laura Kolb.
- Et le roman s’achève au bord du lac, avec la doctoresse Laura Kolb qui ne quitte plus son crâne.
- Va-t-elle se le fourrer au lieudit l’origine du monde ? Ce n’est pas dit…
- Mais le crâne continue à « émettre » des ondes verbales : «Dehors l’étendue des vagues, des nuages, du ciel mobile ; dedans la cellule furieuse, la compression, l’enfermement jusqu’à la mort »
- Laura dit au crâne des poèmes d’Euchendorff.
- Par exemple : Tritt her und lass sie schwirren / Bald ist est Schlafenszeit…
- Approche, laisse les battre des ailes, il va être l’heure de dormir…
- Ou celui-ci, constituant la dernière phrase du roman : « Wie sind wir wandermüde/ ist dies etwa der Tod ?
- Comme nous sommes las d’errer ! Serait-ce déjà la mort ?
- La réponse ne s’est pas fait attendre…
- CHESSEX Jacques. Le dernier crâne de M. de Sade. Grasset, 17op. En librairie le 6 janvier 2010.
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En mal de tendresse
Notes panoptiques, 2009. Sur Opening Night, Efina et les relations entre vie et théâtre.
« Arrête ton cinéma ! » lui dites-vous lorsqu’elle/il vous semble « jouer la comédie », comme on dit, au point que tout échange devient problématique ou faussé par manque de naturel ou de sincérité, et c’est cela même que traque le cinéma de John Cassavetes, ou le théâtre dont il observe les mécanismes dans Opening Night: ce sont les faux semblants d e la vie même.
Il y a autant de violence que d’amour dans cette seule injonction d’« arrête ton cinéma ! », de cris de rage que de chuchotements de tendresse souvent liés voire mêlés et parfois même simultanés, noués en une seule grimace souriante dans les visages en gros plans du cinéma de Cassavetes qui passent de l’agressivité extrême à l’extrême douceur avec une extrême rapidité. Cela se manifeste le plus visiblement dans Faces, toujours au bord de l’éclat et souvent au bord de l’hystérie.
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Le cinéma ni le théâtre ne sont réductibles à la vie, pas plus qu’un photomaton n’est comparable à un portrait du même personnage par un artiste digne de ce nom. L’art ajoute à la vie et la rend plus vivante, si l’on ose dire, et c’est vrai pour un short cut de Raymond Carver, à partir d’une tranche de vie quelqconque, autant que pour les tranches de vie tirées de Short cuts de Carver par Altman, où les personnages du nouvelliste sont augmentés à tel ou tel égard par les acteurs ; et les effets d’amplification se multiplient dans Opening Night où l’on voit l’actrice principale (Gena Rowlands) en train de jouer au théâtre le rôle d’une femme en proie au vieilissement vivre celui-ci dans sa propre chair et se débattre chez elle comme à la scène.
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Pure coïncidence : une situation analogue est vécue par le protagoniste masculin d’ Efina, le dernier roman de Noëlle Revaz, grand comédien qui se joue tout un cinéma dans la vie et que ladite Efina, elle-même passionné de théâtre, relance par lettres après leur première rencontre et ne cesse de se dérober tout en revenant au fil d’un jeu mimétique exacerbant en même temps le désir et le rejet de chacun de ces deux solitaires unis par quelle élection réciproque.
Roman de la solitude, précisément, ou plus exactement de l’atomisation personnelle sur fond de société en perte de lien et de partage, Efina met incidemment en valeur, par rapport au monde de Cassavetes, la perte d’énergie et de fraternité de personnages désabusés et repliés sur eux-mêmes, comme Efina pour laquelle l’arrivée d’un enfant est moins digne d’attention que le regard d’un chien.
Ce qu’il y a de toujours tonifiant et d’émouvant, chez les personnages de Cassavates, c’est qu’ils exultent ou souffrent en relation les uns avec les autres. Dans Efina, chacun endure sa vie dans son coin et la multiplication des moyens de communication (des lettres on passe aux mails ou aux SMS) ne simplifie ni n'éclaire rien, bien au contraire.
En 1968, l’année de Faces, le regard de Cassavetes sur la société américaine, qui vaut autant pour la nôtre, est essentiellement un regard sur l’homme et la femme en leurs terribles relations, que les idéologies n’amélioreront en rien, sauf par l’éternel « milk of tenderness » que manifestent ses personnages. Quarante ans plus tard, cela reste juste et vrai, et j'aime à penser que les anges cabossés de Cassavetes se retrouvent dans le cimetière où l’ombre d’Efina vient dire adieu au comédien avec lequel elle n'a jamais vraiment fait l'amour ni même consenti à venir au monde, au figuré autant qu'au propre...