UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Ceux qui lisent Ellroy dans la neige

    LireEllroy.JPG

    Celui qui désenfume la Falcon avant d’y envoyer le gaz pour achever les deux balances / Celle qui s’est occupée du père et qui rempile avec le fils / Ceux qui vérifient sur la ligne pirate les dires de l’indic à gueule de fiote lustrée genre Sal Mineo / Celui qui compte sur la dexamphétamine pour lui rafraîchir la mémoire / Celle qui préfère apparaître dans un Ellroy que dans un Nesbo où ça craint vraiment trop dans le genre pervers gratos / Ceux qui crament les pyramides de haine des magazines du Klan où il est dit que les papistes financent les nations juives unies / Celui qui ramasse les mômes aux Molotov dans les taillis épineux et les achève pour éviter d’autres complications / Celle qui vérifie l’assertion selon laquelle Hoover est un psychotique que les Panthères ont des raisons d’éviter / Ceux qui insistent auprès des médias sur le fait qu’ils sont des trafiquants noirs politisés à mort donc forcément cools et les médias répercutent la news plutôt rassurante / Celui qui fraternise avec la racaille pour la piéger tout en se disant qu’il la préfère à ceux qui la lui font piéger / Celle que sa mère trouve si sensible pour une teenager et qui a commencé à saliver grave en lisant Le tueur sur la route à douze ans / Ceux qui prétendent que les retombées nucléaires nous feront oublier qui tirait les ficelles du Komplot / Celui qui se perd en essayant d’expliquer à sa fiancée Lolly la différence des thèses défendues par les YAF contre les SDS et des SNCC contre les VIVA / Celui qui a fait arrêter Jomo juste avant le suicide « assisté » de celui-ci, pour un casse dans les boutiques de spiritueux qu’il a fait commettre par celui qui lui a révélé le rôle de Jomo dans le braquage du convoi d’émeraudes / Celle dont le gilet pare-balles comprime excessivement la poitrine de Shemale / Ceux qui slaloment sur la pente de coke / Celui qui réfrène sa pulsion de mort pour exécuter sa cible de sang-froid / Celle qui ravale son vomi avant de cracher le morceau / Ceux qui se demandent mais où cet Ellroy va-t-il chercher tout ça mon Dieu tu crois que c'est vrai Raymonde ? / Celui qui libère les esclaves enchaînés dans les chantiers ruraux de Saint-Domingue et qui voient en lui un émissaire du vaudou / Celle qui ensemence le ciel avec les émeraudes qui font pousser les arbres à l’envers tandis que sa mère pénètre dans une goutte de pluie / Ceux qui se demandent qui jouera la Déesse rouge dans la version film d’Underworld USA, etc.
    (Cette liste a été jetée dans les marges du dernier roman traduit de james Ellroy, en librairie le 6 janvier 2010)

  • Le Ruban blanc, chef d'oeuvre ?

    Ruban1.jpg
    Notes panoptiques, décembre 2009

    On use un peu facilement du terme de chef-d’œuvre, en notre période d’eaux basses artistiques et littéraires, et c’est à cette hauteur qu’un compère situe bel et bien Le Ruban blanc du réalisateur allemand Michael Hanecke, que je suis allé voir l’autre soir et dont je ne suis pas sorti avec une impression si marquante. C’est assurément un très beau film, d’une grande rigueur esthétique et dont l’observation, aux marges de la vie ordinaire d’une communauté paysanne, pose des questions sur le Mal et ses multiples modulations, par delà les classes (bien marquées au demeurant) et les âges (c’est devenu un lieu commun de reconnaître que la perversité n’attend pas le nombre des années), mais pas un instant je n’ai eu le sentiment, compte non tenu de sa tenue formelle à tous égards, d’être pris à la gorge et aux tripes comme à découvrir Fanny et Alexandre (s’agissant notamment des rigueurs du puritanisme du père pasteur) d’Ingmar Bergman, ou Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleischmann, pour ce qui touche à la culpabilité collective. Si ces deux derniers films ne sont peut-être pas des chefs-d’œuvre ab-so-lus non plus, comme on dit, ils me semblent marqués par un souffle et un « feu » qui manque au Ruban blanc, et qu’on trouve en revanche de part en part dans ce qu’on peut dire un chef-d’œuvre, tel Ikiru (Vivre) d'Akira Kurosawa, entre tant d'autres.

    Flannery.gifJ’ai repensé à ce qui me manque dans Le Ruban blanc, en achevant la (re) lecture de La Sagesse dans le sang de Flannery O’Connor, dont je ne dirai pas que c’est LE chef-d’œuvre de la géniale nouvelliste du Deep South américain (il me semble que son œuvre entière constitue son chef-d’œuvre, où s’incorpore sa correspondance) mais ce roman est imprégné, de sa première à sa dernière page, d’une sorte de fureur sacrée empruntant les multiples aspects du blasphème et du grotesque, de la cruauté et du comique, de la démence mystique et des obscurités de la « volonté divine ». Rien n’a été écrit de plus fort sur le délire puritain et la face sombre du fondamentalisme « positif » ou « négatif », sans que l’auteur ne donne jamais dans la thèse ou l’apologue.
    Bien entendu, il serait sûrement plus pertinent de comparer ce qui peut l’être, en rapprochant alors Hanecke d’un Bresson, mais pour en revenir à la notion de chef-d’œuvre, qui désigne à mes yeux une œuvre-somme, marquant la cristallisation parfaite d’un ouvrage d’art et de pensée, je doute que Le ruban blanc fasse vraiment date avec ses multiples ambigüités, hésitations, conclusions hâtives ou dilatoires, qui n’éclaire vraiment ni les protagonistes ni la communauté particulière, ni n’explique rien en matière de « culpabilité collective ». Ce qui ne revient pas, cela va sans dire,  à réduire à rien sa valeur artistique, tellement au-dessus de la flatteuse vacuité actuelle...

  • Ceux qui déclinent

    Panopticon7754.jpg
    Celui qui se coule dans la foule / Celle qui ne se parfume plus que pour elle-même / Ceux qui restent à la fenêtre pour surveiller le voisinage alors qu’on leur a coupé le téléphone / Celui qui ne lâchera jamais prise en dépit de ses fausses dents / Celle qui accuse des pertes d’équilibre au bas du Chemin du Calvaire / Ceux qui ne distinguent plus les couleurs et en concluent qu’il n’y en a plus / Celui qui cherche la gomme sans se rappeler ce qu’il voulait effacer / Celle qui classe ses souvenirs sensuels sans trop savoir qui lui faisait quoi à quelle époque et comment / Ceux qui pianotent en faisant semblant d’écouter l’aumônier de l’Asile des aveugles où ils font juste office de caresseurs attitrés / Celui qui prend congé de son corps au dam de son âme / Celle qui ramène un Chinois chez elle pour voir enfin comment c’est fait / Ceux qui ont perdu le goût du goût / Celui qui s’oublie de plus en plus tout en restant propre sur lui / Celle qui se perd chaque jour un peu plus de plus en plus loin de la maison d’elle ne sait plus qui mais elle a un bracelet électronique comme les délinquants en liberté conditionnelle alors on la retrouve n’est-ce pas / Ceux qui retombent sur leurs pieds mais à côté de leurs pompes, etc.
    Image: Philipe Seelen

  • Ceux qui en ont

    Panopticon809.jpg

    …Tu fermes les yeux: tu les reconnais à la jactance, ça s’entend de loin, on dirait un congrès de caquets, et dès que tu ouvres les yeux, ces mecs debout, ce grouillement de virilité volubile, ces types qui se poussent et se tassent autour du Chef, tout ce ramdam mâle comme à la sortie d’un match ou d’une élection, tout ça dégage une espèce d’odeur de vestiaire guerrier qui nous fait hausser les épaules, nous les mères et les fiancées, et d'ailleurs nous ne leur disons rien, nous les aimons comme ça, nos héros dont les slips immaculés sont nos drapeaux…
    Image : Philip Seelen

  • Ce que disait le vent

    Onetti3.jpgJuan Carlos Onetti en ses envoûtantes rêveries

     

    L'oeuvre de Juan Carlos Onetti relève de l'univers labyrinthique, à la fois intime et tentaculaire, auquel se rattachent tous ses livres d'une manière ou de l'autre, et dans lequel le lecteur aime à se retrouver et à se perdre comme dans un monde parallèle. Ceux qui se rappellent la ville mythique de Santa Maria, qu'on peut situer entre le Rio de la Plata et les plaines infinies, déjà présente dans La Vie brève, l'un de ses chefs-d'oeuvre (1950), Le Chantier (1961) et Ramasse-Vioques (1964), retrouveront cette ville fictive aussi décatie qu'inspirante, où voisinent les personnages de marginaux plus ou moins canailles et de femmes chers à l'auteur, au premier rang desquels réapparaît Medina, cumulant les «fonctions» de flic et d'artiste peintre, de guérisseur et de sempiternel traîne-patins.

    Même s'il a fallu une quinzaine d'années pour que nous parvienne Laissons parler le vent, ce roman achevé en exil en 1978, à Madrid, et publié un an avant la consécration du Grand Prix Cervantès de littérature, en 1980, n'a rien perdu de sa vivacité et de son charme ténébreux, comme il en va d'ailleurs de tous les livres de ce poète jamais soumis à l'actualité, qui rêva certes de partir en Union soviétique en 1929 et en Espagne en 1936, pour rester finalement dans son modeste coin à exprimer au plus juste, à sa façon, ce qu'il disait «l'aventure de l'homme». Lui qui proclamait volontiers que les trois choses les plus importantes de l'existence sont l'ivresse, les femmes et l' écriture, resta pour ainsi dire couché les quinze dernières années de sa vie, poursuivant un songe artiste hostile à toute ambition sociale et à toute foi («un homme qui croit est plus dangereux qu'une bête qui a faim», remarque son personnage), et se ramifiant cependant en histoires admirablement filées et pleines de véhémence mélancolique.

    Onetti.jpgDans la foulée, rappelons alors que Juan Carlos Onetti, né en 1909 à Montevideo, entra en littérature en 1939 avec Le Puits, dont on a dit qu' était sortie toute la nouvelle littérature latino-américaine, et composa tout un ensemble de petits romans et de nouvelles architecturés comme un tout, avec maintes résonances, échos et passages. Si l'art d'Onetti rompait, initialement, avec le réalisme magique de la génération précédente, ou avec une conception de l'engagement politique au premier degré, son oeuvre n'en est pas moins nimbée de mystère et singulièrement subversive, ainsi que l'illustre Le Chantier (1961), roman kafkaïen qui évoque une entreprise soumise à une paranoïa dont on a dit qu'elle préfigurait les régimes dictatoriaux à venir.

    De ceux-ci, l' écrivain subit d'ailleurs les rigueurs, coffré en 1974 pour immoralisme et pornographie. Or il semble logique, et même juste et bon, qu'un tel poète, irrécupérable assurément du point de vue des conventions, eût à subir la vindicte des «casqués».

    Le monde d'Onetti n'est d'ailleurs guère mieux assimilable selon les normes du libéralisme avancé: c'est aussi bien l'univers d'un Oblomov adonné au whisky et à la littérature, rêvant de dire l'indicible comme Medina aspire à peindre le pur mouvement d'une vague. A l' ère de la publicité et de l'esbroufe, Onetti trouve son bonheur dans la contemplation d'une sorte de kaléidoscope d'images merveilleuses, veillé par quelques femmes bonnes à peindre ou à aimer sans illusions. On pense parfois à Chandler en lisant ses romans trop paresseux et subtils, trop lyriques aussi pour faire des polars à succès. Or sa «réussite» échappe à tous les stéréotypes, et c'est lentement qu'il faut savourer ses fulgurances de rêveur éveillé, bercé par ce que le vent dit en passant...

     

     

    Juan Carlos Onetti, Laissons parler le vent. Traduit de l'espagnol par Claude Couffon. Gallimard, 323 p.

     

     

    En poche: Les Bas-Fonds du Rêve, en Folio, offre une douzaine de nouvelles magnifiques. Le Puits et Les Adieux ont été réunis chez Christian Bourgois, où figurent divers autres titres, dont Quand plus rien n'a d'importance, dernier livre d'Onetti. Autres Pistes: chez Gallimard, Stock et le Serpent à Plumes.

  • Soft Apocalypse

    Panopticon703.jpg
    … Ce qui est terrible avec toi c’est que tu ramènes toujours tout à la cata, tu vois partout le pire : on trouve une peluche abandonnée sur un banc, tu penses aussitôt: mine personnelle, on entend une pétarade de feux d’artifice vers les jardins municipaux et toi : sûrement le Hamas ou les Tchétchènes; les Ricains se votent un président café au lait et ta seule conclusion c’est: Armageddon - eh tu commences à me tanner avec tes fantasmes de légionnaire de la Sainte Cause, Dantec, t’es sûr que tu seras clean pour Noël ?...
    Image : Philip Seelen

  • L'insoumis

    Panopticon358.jpg

    …Tu vois ce que je vois Abel ? / Je te vois déjà m’égorger comme l’Agneau - d’ailleurs c’est écrit dans ton regard, et voilà le couteau   / Je ne comprends pas ce que Père attend de moi / Juste que tu me tues, Caïn : ce qui est écrit est écrit / Alors ça mon doux Abel, si tu crois que je vais lui faire ce plaisir : mon œil…

    Image : Philip Seelen

  • Les petits amis

    Panopticon768.jpg

    … J’avais dit clairement à Macha : je vais couper les ponts, mais autant parler à la neige de l’Oural : ça ne l’arrangeait pas, il y avait des années qu’elle recevait de jeunes violonistes dans son isba pendant que je trimais à l’aciérie, et c’est en somme moi qui les ai nourris durant ce temps, puis je lui ai coupé les vivres en lui annonçant que je lui couperais les ponts, mais tu sais ce que femme veut et quel romantiques nous sommes, nom de bleu, les hommes…
    Image : Philip Seelen

  • Le dit du dos

    Panopticon977.jpg

    …Votre nuque est le siège de votre vrai Moi, mais vous ne la verrez jamais, un miroir ne vous en montrera jamais que le reflet et pas du tout ce que tout autre que vous peut en voir - et savoir ainsi qui vous êtes puisque aussi bien c’est à sa nuque qu’on distingue l’ange de la brute -, or je ne vous en dirai rien qui puisse vous distraire de ce que vous êtes, qui ferait mentir ce qu’elle avoue…
    Image : Philip Seelen

  • La journée de tous les désarrois

    628acc0fc1ca745c719b5bab7657379a.jpg
    1 Journée, Le dernier film de Jacob Berger, d’une grande beauté d’image et vibrant d’émotion, nous revient sur petit écran, dimanche soir 20 décembre, à la TSR 2.

    La lugubre beauté des froides architectures de Meyrin, sous la pluie, diffuse immédiatement l’atmosphère à la fois hostile et vaguement enveloppante, un peu comme chez Simenon, du nouveau film de Jacob Berger, magnifiquement composé et tenu, tant du point de vue de l’image (Jean-Marc Fabre) et de l’orchestration des plans que de la musique (Cyril Morin) et du scénario (co-signé par Noémie Kocher et nominé pour le Prix du cinéma suisse) qui développe les divers points de vue des personnages (le père, la mère et l’enfant) en spirales entrecroisées avec autant d’élégance que de sens ajouté.
    La première vision d’1 Journée de Jacob Berger, l’été dernier sur la Piazza Grande, en fin de soirée et pâtissant du seul soir de mauvais temps, avait souffert (en tout cas à nos yeux) de ces mauvaises conditions, s’agissant d’un film intimiste, à la fois très pictural et très musical. A le revoir, un charme plus profond s’en dégage.
    Tout s’y déroule donc en un jour dans l’espace délimité par les barres de Meyrin où habite le trio familial et certaine jolie femme (Noémie Kocher) bien faite pour remplacer en douce l’épouse très lasse, le studio de Radios Suisse Romande La Première où Serge (Bruno Todeschini, nominé à Soleure, dont la présence intense et ravagée marque tout le film) massacre son émission matinale, le Musée Rath où Pietra (Natacha Régnier, qui rend bien aussi le désarroi de son personnage) collabore, l’école du petit et l’aéroport de toutes les fuites même ratées. Un chien au fort symbolisme faufile sa propre errance entre les personnages, blessé le matin par Serge qui culpabilisera tout le jour à l’idée d’avoir tué quelqu’un (il n’a fait que subir le choc sous la pluie), et croisant le chemin de Pietra dans les salles du musée squattées par un certain Hodler, dont il contemple avec elle une toile plus symbolique encore… Cela pourrait être kitsch, comme parfois on pourrait trouver les réparties de l’enfant Vlad (le petit Louis Dussol, d’une présence impressionnant) un peu trop écrites ou adultes ; mais non : il y a là une candeur grave qui est celle de l’enfant, justement, dont le rayonnement affectif, intelligence souffrante et attente conjuguées, se réfracte sur ses parents, plus paumés à vrai dire que lui.
    Bref, comme une lancinante fugue concentrique à variations, 1 Journée en impose à la fois par la tendresse qu’il module et par sa grande beauté.

    9475e02669a6b0467d728e11d0f41036.jpgBruno Todeschini, Louis Dussol, Noémie Kocher et Jacob Berger.

    Cet article a paru dans l'édition de 24Heures du 23 janvier 2008.

  • Prescriptions

    Panopticon 721.jpg

    … Tu marqueras la Femelle. Tu marqueras l’Impure. Tu marqueras l’Épouse et la Fille nubile. Tu marqueras la Belle autant que la Rebelle. Tu ne marqueras point ta Mère, mais tu marqueras la Tentatrice se faisant passer pour elle: Belle-Mère, Épouse, toute Fille de Satan – toute Femelle, dit le Livre…

    Image : Philip Seelen

  • Ceux qui n’avoueront jamais

    Panopticon633.jpg
    Celui qui a cassé sa pipe sans casser le morceau / Celle qui ne comprend pas pourquoi son fils aîné a refusé de lui dire pourquoi il a rejeté les bon préceptes moraux de la famille Dulaurier avant de se pendre dans les bois de La Maudite / Ceux qui participent à des orgies absolument silencieuses / Celui dont personne n’a jamais su ce qu’il pensait malgré ses positions affichées de végétarien / Celle qui n’aura jamais parlé qu’à son chien Molosse décédé l’an passé / Ceux qui maugréent au parloir de la prison fédérale sans être compris de leur vis-à-vis / Celui qui n’a jamais reçu un encouragement verbal de son père biologique / Celle qui se vengeait de sa mère adoptive en se taisant / Ceux qui préfèrent ne pas dire ce qu’ils ne sont pas sûrs de penser / Celui qui en sait trop pour ne pas se taire / Celle qui a entendu dire que celui qui ne lui parle jamais ne fait qu’obéir à ceux qui ont des raisons de lui en vouloir depuis que son troisième mariage a merdé / Ceux qui évitent de penser à ce qu’on leur a dit sous le sceau du secret / Celui qui prétend percer le sens de tes silences / Celle qui enrage de ne pas obtenir de réponse à ses e-mails harcelants / Ceux qui se figurent que la retenue est un signe d’impuissance sexuelle / Celui qui se protège par une politesse excessive / Celle qui tient un registre précis des faits de médisance de son entourage / Ceux qui parlent très lentement pour décontenancer leur interlocuteur / Celui qui oblige sa fille à lui jouer du violoncelle pendant des nuits entières / Celle dont la palette verbale rivalise avec l’arc-en ciel / Ceux qui restent muets quand le curé leur dit comme ça que Dieu les écoute, etc.

    Image: Philip Seelen

  • Ceux qui voient les yeux fermés

    fe65b06e9262b90dd71a63653069256d.jpg

    Celui qui se lave du bruit par l’aquarelle / Celle qui est émue rien qu’à prononcer le nom de Vermeer  / Ceux qui associent de préférence le vert et le gris / Celui qui sait parler des blancs de Cézanne / Celle qui sent la peinture comme personne / Ceux qui rêvent en couleurs noircies au bitume de l’angoisse / Celui qui reste trois heures immobile devant la Madone de Duccio / Celle qui entre dans les paysages de Caspar David Friedrich / Ceux qui parlent sans rien voir / Celui qui a posé pour le Christ avant d’éventrer son amant sarde / Ceux qui modélisent les variations chromatiques du vert Véronèse dans la peinture classique finissante / Celui qui connaît par cœur la composition de la palette de Paul Cézanne / Celle qui brode la Vierge au Rocher au point de croix / Ceux qui sortent du musée Van Gogh avec le même tee-shirt cool de l’homme à l’oreille coupée / Celui qui fait de la peinture parce que l’odeur de l’huile le grise / Celle qui prétend que Morandi et Rothko ne valent pas une sauterie / Ceux qui ont des rideaux style Nymphéas de Monet dans leur living / Celui qui se dit le nouveau Bernard Buffet / Celle qui a osé tirer la langue à Balthus après trois heures de pose en camisole / Ceux qui trouvent au curé Waldemar une tête de Greco navré / Celui qui voit mieux les ciels de Corot depuis qu’il a perdu la vue, etc.

    Aquarelle JLK: le bourg de Murs, au Lubéron.

  • Ceux qui font peur aux enfants

    PanopticonB115.jpg
    Celui qui se dit le redoutable Nain d’Uppsala / Celle qui a de noires dents / Ceux qui font venir la nuit de la cave / Celui qui jette la terrapène dans le feu de l’eau / Celle qui menace Windsor de le pendre au croissant de lune/ Ceux qui capturent les oiseaux dans leurs sourcils / Celui qui secoue les barreaux du zèbre / Celle qui sourit en dépeçant le souriceau / Ceux qui se fardent les babines au miel amer / Celui qui cloue les cercueils de sa main valide / Celle qui tire la langue à Crochet qui fait semblant de la lui arracher puis se ravise en persiflant / Ceux que Mademoiselle Lupin menace de la caisse à poignards / Celui qui coupe les nez qui dépassent / Celle que terrifie la grosse voix alémanique de l’oncle aux dessus de doigts très velus / Ceux qui ont des trous dans le sourire / Celui qui nous menace de la bouteille à génie / Celle qui fait le tsunami dans le bassin du jardin dont aucun survivant n’est hélas signalé ce soir à notre connaissance / Ceux qui prétendent que les voisins démunis prennent en otages les rejetons des familles aisées du quartier des Oiseaux et va savoir ce qu’ils en font / Celui qui désigne la Porte condamnée et décrit volontiers le sort de ceux qui la forcent, etc.
    Image : Philip Seelen