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  • Notes panoptiques (4)

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    En lisant Marc Levy et Pierre Michon, Michael Connelly, Walter Benjamin et Cormac McCarthy. De l'oeuvre littéraire et de son noyau. Des écrivains et des pros...

    Paul Léautaud écrit quelque part que la lecture de mauvais livres, dont l’écriture est « de carton », nous aide souvent à mieux voir ce qu’est une écriture de qualité. Or en lisant, par curiosité, Le Premier jour de Marc Levy, l’idée d’un «mauvais livre» ne m’est même pas venue, et je me fusse trouvé bien cuistre d’en juger dans les mêmes termes que je jugerais du dernier livre, disons, de Pierre Michon, pour faire image de très grand écart. Me rappelant ce que j’ai toujours cherché dans un livre, à savoir son noyau poétique, qui se perçoit le plus souvent au fil des premières pages et à fleur de peau, si l’on admet qu’un texte ait une peau, je n’ai fait que sourire en lisant les premières pages du Premier jour de Marc Levy, à commencer par ceci : « Le soleil se levait à la pointe est de l’Afrique. Le site archéologique de la vallée de l’Omo aurait déjà dû s’éclairer des premières lueurs orangées de l’aube, mais ce matin-là ne ressemblait à aucun autre »...
    Michon.jpgPierre Michon met plus de temps, avec Les Douze, à nous ensorceler, si j’ose dire. Le soleil levant est chez lui peint au plafond et de la manière la plus baroque, dans un tourbillon d’escaliers et de personnages s’envolant vers un ciel en trompe-l’œil à la Tiepolo, on ne sait pas où en en est, on met au moins vingt pages avant de savoir qui est qui, on est en Allemagne puis au Limousin, bref on ne sait pas où on va mais on y va et voici ce qu’on lit vers les pages 47 à 49 à propos du changement de nid de Dieu, passé de la Foi aux Lettres, avec des écrivains commençant de penser (même s’il y en eut une tripotée qui pensaient comme ça bien avant eux) que la littérature n’est pas qu’une « exquise superfluité » dans la Cour des Grands, mais peut-être « un esprit – un fort conglomérat de sensibilité et de raison à jeter dans la pâte universelle pour la faire lever, un multiplicateur de l’homme, une puissance d’accroissement de l’homme comme les cornues le sont de l’or et les alambics du vin, une puissante machine à augmenter le bonheur des hommes ».

    °°°

    Ernst Jünger disait quelque part que, dans un livre organiquement tenu et vivant, vivant comme une peau dont l’âme émane pour ainsi dire, tous les points de la circonférence se trouvent liés à son noyau qu’on atteint donc en les effleurant. Walter Benjamin dit à peu près la même chose, ou plus exactement : il le vit.  Et de même Pierre Michon, qui le vit et le danse en écrivant.
    Or, peut-on vivre un texte fabriqué tel que Le Premier jour de Marc Levy comme on vit un texte de Pierre Michon ? On le peut sans doute selon ce qu’on attend d’un texte, mais le goût du lecteur est-il un bon critère, et de savoir que quinze millions de lectrices et lecteurs raffoleront du Premier jour suffit-il à se convaincre que ce livre est plus qu’un objet fabriqué de consommation dont le noyau poétique est le cliché d’un soleil africain se levant àla faveur d'un jour sans pareil ? Marc Levy lui-même n’aspire pas, probablement, à un autre statut que celui d’un artisan – on dit aujourd’hui un bon pro. Or le mépris de pas mal de « littéraires » à son endroit ne fait qu’accentuer le malentendu, dans une confusion qui ressortit au Système général bien plus qu’à tel ou tel « best », comme l’avait observé Walter Benjamin dès les années 1920.

    °°°

    Connelly.jpgUn écrivain très sot – très feignant et très sot de nos régions, dont le nom se réduit à un prénom, a cru malin de réduire la fabrication d’un best-seller à une phrase composée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément; et de décider alors d’en composer un… qu’on attend toujours. Or j’ai plus de respect, quant à moi, pour un bon pro que pour un mauvais littérateur prétentieux. J’y repense d’ailleurs en lisant le dernier roman de Michael Connelly, Le verdict du plomb, qui est d’un écrivain de forte trempe, immense enquêteur socio-politique et bon observateur de la canaille humaine – très grand pro en un mot. Cela étant, je ne suis pas sûr que je pourrais, à fleur de peau de page, distinguer sa phrase de celle d’un autre grand pro du thriller ou du roman noir, tels un James Ellroy ou un James Lee Burke, pour citer les meilleurs, alors que trois pages de Cormac Mc Carthy (je relis ces jours L’enfant de Dieu, noir chef-d’œuvre préfigurant la désolation absolue de La Route) me suffisent à identifier cet écrivain dont tous les points de la circonférence de l’œuvre se relient incessamment au même noyau, tout à fait comme l’entendait WB…

    Mea Mega Culpa: ma plume paléochrétienne m'ayant fourché, j'ai écrit Les Douze, alors que Pierre Michon, chien de Dieu comme François-Elie Corentin, a signé Les Onze... 

  • Désarroi

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    …Et maintenant tu veux faire quoi maintenant que même les patrons savent plus et même que les patrons c’est un peu nous tous maintenant que c’est nous qu’on renfloue les banques - c’est le monde à l’envers et qu’est-ce tu veux qu’on fasse, maintenant, nous patrons on n’a pas appris, ou ça se saurait…
    Image : Philip Seelen

  • Nocturne

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    … Le squelette de l’ange continue de vibrer dans la lumière de Minuit, tandis que la chair de l’ange se coule de lit en lit et que son aura diffuse sa lumière ambrée sur les visages des dormeurs, après quoi les ailes de l’ange retrouvent leurs feuilles et l’arbre sa voix dans le vent de l’aube …

     

    Image : Philip Seelen

  • Le Passe-Muraille au rebond

     

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    Zschokke.JPGFrochaux3.jpgFismeisterImage.jpgAU SOMMAIRE DU No 78. Juin 2009: Claude Frochaux (ouverture inédite + entretien avec JLK + présentation de ses ouvrages) - Andrzej Stasiuk, par Bertrand Redonnet - La Bibliothèque nomédienne, par Jean-François Thomas - Cesare Pavese, par Jean Perrenoud - Owen Sheers , par Bruno Pellegrino - Alice Tawhai, par Claire julier - Matthias Zschokke, par Laurence de Coulon - Abu El Qasim Chebbi, par Jalel El Gharbi - Julien Burri, par Bruno Pellegrino - Blaise Hofmann par Jean-Michel Olivier - Jean-François Sonnay, par René Zahnd - Jil Silberstein, par Patrick Vallon - François Ascal, par JLK. Textes inédits de Miroslav Fismeister, traduit par Petr Kral, et de Françoise Ascal.

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  • Révélations d’un regard

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    À propos de Rouge Rothko de Françoise Ascal
    Certaines peintures nous regardent autant que nous les regardons, et probablement nous arrêtons-nous précisément, pour les regarder, devant les peintures qui nous regardent. Il en va alors de rencontres réelles, telles exactement que Françoise Ascal les évoque dans Rouge Rothko, grand petit livre qui m’accompagne depuis le début de l’année et que je reprends souvent pour en revivre les observations méditatives. Le support de celles-ci se réduit à peu de chose : dix-sept piètres reproductions, et voulues médiocres, en noir et blanc, du genre des cartes postales que nous achetons à la sortie de telle exposition ou de tel musée pour avoir sous la main l’objet de LA rencontre, qui déclinent ici les noms illustres de Rembrandt et de Munch ou de Dürer et de Bonnard, mais également ceux moins connus de Barocci ou de Kupka, de Sima ou de Wols. Le prestige de la « marque » n’a aucune importance, et l’événement de chaque rencontre éclipse les vénérations convenues, souvent feintes, que Thomas Bernhard fustige dans ses Maîtres anciens. Il ne sera question ici que des transfusions vitales que la vie accorde au cœur et à l’esprit par le truchement de l’art, et dans toutes les nuances sombres ou claires de l’expérience et de l’émotion. Il y a aussi de l’autoportrait en son «atelier intérieur» dans ce livre intense et grave, mais aussi sensuel et joyeux, lesté de douleur secrète ou partagée, par exemple avec Wols « au camp des Mille », mais aussi riche de sensations et de saveurs, de désirs et de couleurs, enfin porté par cet « instinct de ciel » que cherchait Mallarmé et que trouvent ici Bonnard ou Kandinsky dans leurs « immensités heureuses ».
    Ascal3.jpgLa mère de Rembrandt est la première « rencontre » de Françoise Ascal, qui l’identifie aussitôt à la sienne avec ses « mains de lessive des matins froids au lavoir communal », et nos mères humbles s’y reconnaissent : «Ainsi luisent les femmes de l’ombre, comme des lampes ».
    Françoise Ascal vit la poésie de la peinture dans ses modulations les plus candides ou les plus lucides, des délicates violettes de Dürer à la fureur baudelairienne du Cygne enragé de Jan Asselyn. Saluant un « maître à voir profond en Joseph Sima », elle consacre des pages d’une émotion toute personnelle à une miniature indienne où elle trouve la représentation de sa « sœur du bout du monde », et conclut en deux pages inspirées face rouge incandescent de Rothko qu’elle apparie au soleil de Tabriz chanté par le poète Rumi. Et la question de vibrer à travers tout le livre : « Séjour de la lumière, comment te rejoindre ? »

    Françoise Ascal. Rouge Rothko. Apogée, 58p.

    Ce texte est à paraître dans la prochaine livraison du Passe-Muraille, No 78, disponible fin juin.

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  • Stasiuk le merle blanc

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    Par Bertrand Redonnet
    Il nous arrive – il nous est arrivé plutôt ou, encore mieux, il nous arrivait parfois - autour d’une table enfumée où refroidissaient les restes d’un repas abondamment mouillé d’un jaja rouge et noir, de refaire le monde, tard dans la nuit, sous des lunes incertaines et la chevelure en bataille.
    Tunnel à sens unique, sans embouchure ni sortie, que les espérances décousues de ces soirées ! Et maudit soit ce maudit temps qui passe sans nous laisser le temps de peaufiner nos rêvasseries !
    Le plaisir n’était pourtant pas de refaire le monde car il résidait dans l’idée même, substantielle, de le défaire. Comme un ravissement présexuel. Celui qu’on connaît avant d’aborder le fulgurant mystère de l’orgasme.
    Qu’aurions-nous fait , franchement, d’un monde à refaire? Nous étions de simples fainéants faiseurs de néant, des voyous en mal de philosophie et notre talent résidait exclusivement dans une espèce d’insatisfaction obstinée.
    A l’heure qu’il est dans ma vie, avec cet horizon de plus en plus prometteur de la fin des horizons, avec les priorités qui s’accélèrent aussi, je me dis qu’on a bien eu de la chance de n’avoir pas eu à faire ça, d’avoir laissé le monde s’accomplir tout seul, sur sa lancée, accompagné de nos seules diatribes.

    Je vis dans un pays où le monde n’a quasiment jamais cessé de se faire et de se défaire. Un pays où ça s’écroule aussi vite que ça s’élève, où l’éphémère a jusqu’alors tenu lieu de sempiternel. À tel point que les Polonais, parfois, semblent vouloir marcher sur la pointe des pieds, comme s’ils craignaient de provoquer une nouvelle avalanche, avec, encore, derrière elle, des montagnes et des vallées à remodeler.
    Leur monde, celui que nous appelions, nous, dans nos soirées anarchistes, le vieux monde, est tout neuf. L’ancien s’est écroulé de lui-même, tel un mur qu’aurait trop longtemps miné l’humidité d’une gouttière pourrie.
    Et un mur qui s’écroule, ça produit un grand nuage de poussière et une onde de choc qui frappe l’intérieur des cervelles. C’est physique. Peu importe alors si cet éboulement libère des espaces, élargit des horizons, ouvre de nouveaux champs et procure plus d’oxygène !
    Ça, c’est au mieux de la morale sociale, au pire, de la phraséologie politique.
    C’est l’onde de choc qu’il faut considérer, quand un monde défait demande imagination et énergie phénoménales pour déblayer les ruines et qu’on est encore tout éberlué, suffoqué par le souffle du cataclysme, celui-ci fût-il de bonne augure.
    On a déjà vu des prisonniers condamnés à de longues peines et ne plus savoir trop quoi faire de leur cœur et de leurs bras et de leur âme une fois remis à l’air libre, pourtant des années et des années convoité, sublimé, fantasmé ! Encombrés de la responsabilité de vivre et du devoir d’exister. Des prisonniers forgés, entièrement construits par l’enfermement, par les murs, le silence, la privation et les barreaux. Souvent même, de guerre lasse, on les a vus qui repassaient sous les fourches caudines pour aller s’endormir de nouveau dans le ventre hermétique d’une cellule, là où l’existence se nourrit du non-être, là où on devient, par définition, un vieillard sans devenir.
    Les espaces contraignants de la dictature sont tels. Il faut, quand le ciel s’éclaircit soudain, cligner des yeux et s’accommoder à la lumière. S’impose alors l’envie d’aller au bout de ce rien qu’on entrevoit devant soi.
    Le mur s’écroule. Le monde crie à la libération enfin.. Mais que font donc les ex-emmurés, compagnons de Stasiuk ?
    Ils ont trente ans, la gorge nouée par la fumée des cigarettes et le cerveau bousculé par les flots de la Vodka et de la bière.
    Qu’apporte ce nouveau monde qui naît au moment même où sombre leur jeunesse délabrée par l’enfermement ? Que donne t-il d’espérance ? L’espérance, c’est du temps qu’on a devant soi…Et devant, il n’y a rien…Que de la laideur. Le mot liberté se traîne comme un fantôme dans la grisaille de Varsovie, dans ses rues froides et désœuvrées et dans ses nuits de bohème absurde.
    Le leurre est encore plus pernicieux que l’autorité de la botte car, enfin, comment se plaindre d’être désormais libre ? À quelle calamité imputer son mal-être ?
    La liberté dont on ne sait par quel bout la prendre se mue souvent en allégorie de la liberté.
    Les ex-emmurés de Stasiuk rejoignent donc les montagnes et la neige et le froid du « Far East » polonais, à la recherche d’une vieille ferme vaguement entrevue par l’un d’entre eux, avant, dans le brouillard communiste.
    À la recherche d’une vision, d’une sublimation de leurs paniques d’exister.
    Tenter de faire reculer encore plus loin les murs. Voir s’il n’y aurait pas autre chose que ses ruines n’auraient pas dévoiler. Elargir ces murs à la grandeur des paysages de montagnes et de neige. Pour aller nulle part. Sinon au bout d’une indicible chimère , jusqu’à la folie et même jusqu’à la mort.

    Un corbeau blanc, Biały Kruk, oiseau étrange des solitudes montagnardes, est le témoin fortuit de cette escapade dont ne saura pas si elle est testamentaire ou initiatique. Détail insignifiant du récit, le corvidé albinos se pose par deux fois au sommet des arbres de la vallée.
    En polonais, Biały Kruk est une expression figée pour signifier un homme qui n’est pas à sa place, un décalé. Ou alors une chose rare, le rara avis latin, et plus spécialement un livre, un livre d’exception, un chef-d’œuvre introuvable.
    L’introuvable chef d’œuvre de vivre sa vie, peut-être, et à la recherche duquel s’épuisent les ex-emmurés de Stasiuk.
    Qui, avec Biały Kruk, offre peut-être à la littérature contemporaine un vrai Biały Kruk.

    B.R.

    Stasiuk3.jpgAndrzej Stasiuk. Le Corbeau blanc. Editions Noir sur Blanc, 2007.

    Ce texte de Bertrand Redonnet vient de paraître dans la livraison d'été du Passe-Muraille, No 78. À recommander aussi: le dernier livre de Bertrand Redonnet, paru récement à l’enseigne du Temps qu’il fait, sous le titre de Zozo, chômeur éperdu, d'une saveur immédiate et d'une belle langue rappelant à la fois Maupassant et Marcel Aymé, frottée d'humour et de mélancolie. Autre piste: l'ouvrage de Bertrand Redonnet accueilli chez Publie.net en 2008 sous le titre de Chez Bonclou et autres toponymes.  

    A signaler en outre, et qui feront l'objet d'autres commentaires, la parution de deux nouveaux livres de l'écrivain polonais, chez Christian Bourgois: un recueil de textes magnifiques, intitulés Fado, qui nous plonge au coeur de l'extrême Europe de l'Est, dans un monde non encore policé, voire oublié,  et qui nous interroge, et le roman Neuf brassant la nouvelle réalité urbaine et mafieuse.  


    A ne pas manquer enfin tous les jours que Zozo chôme: le blog de Bertrand Redonnet en son exil des marches polonaises: http://lexildesmots.hautetfort.com/

  • Ceux qui se défilent

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    Celui dont l’érudition sans pareille fait un imbécile incomparable / Celle qui prétend qu’il faut relire Pascal pour se situer une bonne fois entre les deux infinis / Ceux qui restent insouciants le long des falaises de marbre / Celui qui allait trouver sa voie quand il a été poignardé dans l’impasse de l’Avenir / Celle qui se laque les lèvres en noir pour accentuer son genre Garbo de la grande époque / Ceux qui font l’acquisition d’un hamster pour se rapprocher de la nature / Celui qui a entendu plus qu’il n’a vu le loir choir dans le dévaloir / Celle que le dégoût de la chair a poussée dans l’élevage du ver à soie / Ceux qui connaissent leurs limites en matière de performances morales / Celui qui recherche l’âme frère / Celle dont la peur de toute virilité fait craindre qu’une barbe ne pousse à son sac à main Vuitton de cuir blanc / Ceux qui se retrouvent à Lourdes pour des motifs inavoués / Celui qui a tout fait pour dissuader sa mère intégriste de toiletter leur chienne Lula dans le style Jeanne d’Arc / Celle qui ne sait à laquelle des Trois Personnes Divines s’adresser pour que lui revienne son cher Anatole / Ceux qui se perdent à se chercher / Celui qui se rappelle sa jeunesse en Silésie par le seul jeu des réminiscences olfactives / Celle qui a découvert (dit-elle) le point G de l’éternité en elle / Ceux qui se retrouvent enfin en rupture d’enfer, etc.

  • Vie intérieure

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    …J’t’avais dit, Cindy, qu’y te suffirait de gratter un peu pour trouver un autre mec sous ma gueule que j’ai, j’t’avais dit que j’étais plein de romans genre Marc Levy, j’t’avais dit qu’avec moi ça voyagerait, j’t’avais dit que j’te ferais découvrir des pays, j’t’avais promis que rien qu’à me gratter dehors tu découvrirais, finalement, ce que je suis dedans…
    Image : Philip Seelen

  • Salamalecs et souvenances

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    Ramallah, le 23 juin 2009.

    Cher JLs,

    Je me suis remis à l’arabe, je recopie laborieusement des aleph, des ba et des ta. Et des tha, des sâd et des dâd, des sin et des zin, des ghain. Des kaf tout en angles et des qaf tout en courbes, des h soufflés, aspirés, inhalés, et des hamze. Ta fille est passée par là, qui a étudié cette langue impossible, peut-être as-tu eu le plaisir de la voir, lors de ses premières heures d’études : couchée sur la feuille, langue pendante, traçant péniblement ces signes biscornus, comme quand elle était petite, quand les lettres étaient encore des images, quand le A avait deux pieds, le B un gros bide, le O la forme de la bouche quand la bouche fait oooo : et voilà le son qui arrive, ce lien magique entre les traits et les mots. Je me rappelle parfaitement que dans le livre Daniel et Valérie Valérie portait une salopette : sa-lo-pette. J’avais découvert avec un vrai bonheur (et un malin plaisir) comment graver cette dernière syllabe, avec le burin de mon crayon sur la pierre du papier… ma première création littéraire fut donc :
    Valérie pette.
    Je ne me rappelle pas quel accueil critique fut réservé à ce chef d’oeuvre, iconoclaste tant dans le fond que dans la forme, ni même si j’ai osé montrer à quiconque ce vers sulfureux. Les journaux de l’époque n’en portent pas trace, peut-être le directeur de l’école a-t-il étouffé l’affaire. Mme Berchtold, notre maîtresse, a quitté son poste peu de temps après. S’il y avait ici un lien de cause à effet, j’aimerais lui adresser aujourd’hui l’expression de mon plus profond repentir – en attendant, je la remercie de tout cœur, et avec le plus grand sérieux. On se couvre de dettes dès la naissance, la somme de ce qu’on doit aux gens qui nous poussent et nous épaulent défie le calcul, et l’on meurt toujours débiteur : Mme Berchtold m’aura permis de lire le journal tous les matins, et d’écrire ces lignes… c’est un don vertigineux, ça ne se rembourse pas. Certes elle était notre institutrice et c’était son boulot, point : pas de quoi en faire un fromage. Mais combien de temps, combien d’efforts , pour parvenir à nous faire lire le mot fromage ?
    Fromage : « jibnè », en arabe. Ca commence avec un jîm en forme de triangle, ensuite un ba, à ne pas confondre avec le noun qui suit. Et puis on parsème le tout de points et d'accents en dessous et au-dessus. A la troisième tentative, quand on a obtenu quelque chose de fluide, on recopie joliment dans son cahier à la page « cuisine » - parce qu’en langue étrangère le monde se divise très strictement en rubriques « cuisine », « maison et meubles », « politique », «électricité », avec une grosse partie « divers » (car où peut-on bien classer le verbe qui signifie « envoyer un sms » ?). Après on s’en va traîner ses guêtres dans la rue, le café et l’épicerie, afin de soumettre ce nouveau vocabulaire au dur jugement du locuteur natif, en espérant en trouver un qui ne parle pas anglais, et qui n’ait pas trop l’accent d’Hébron.
    Ramallah16.jpgLe chat s’est endormi sur le canapé. Avec lui les conversations se limitent vraiment au strict minimum… entre l'élaboration muette, toute intérieure encore, d’un livre à venir, et cette plongée dans les bases d'une autre grammaire, tracée en lettres maladroites, je côtoye souvent le silence. C’est sans doute le lot de l’expatriation, de retomber dans l’essentiel du langage - on gagne le mot « jibnè », on n’oublie pas le mot fromage, par contre on oublie un peu l’odeur du Saint-Marcelin et le vocabulaire pour la décrire. Ce n’est pas une perte irrémédiable, et cet appauvrissement consenti a peut-être ses vertus. Il décuple en tout cas le plaisir de lire tes mots, sur ce blog foisonnant… yatik ala’fie…

    Pascal

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    La Désirade, ce 24 juin 2009

     

    Cher,

    Nos lettre me manquaient. Si je me laissais aller, s’agissant des mots, je t’en ferais une fluviale, mais là je dois finir le nouveau roman de Marc Levy, et ça c’est du sérieux. Je lis en même temps un énorme essai biographique consacré à la vie de Walter Benjamin à travers ses textes, et le dernier Marc Levy. C’est un peu par défi que je me suis collé à cette lecture de plage, comme on dit, après avoir lancé à notre chef de rubrique que je m’y refusais absolument, éprouvant à ce genre de lecture la sensation de régresser à l’état d’amibe. J’étais de complète mauvaise foi, puisque des six ou sept romans de Marc Levy, je n’avais lu jusque-là que quelque pages de celui où il est question de son père, paraît-il le meilleur, mais que j’ai laissé tomber  je ne sais pourquoi…

    En attendant d’arriver au bout de ce roman de l’été, intitulé Le premier jour et marqué par la rencontre d’un astrophysicien en quête des origines de l’Univers (!), et d’une paléoanthropologue en quête du premier homme (!!), je rebondis juste sur le mot fromage que tu cites en arabe, à propos de mon grand-père maternel, notre Grossvater, qui enrichissait chaque soir de nos visites notre vocabulaire cosmopilite – il savait sept langues apprises en ses pérégrinations d’employé d’hôtellerie. Je me rappelle donc le mot «gibne», comme d’hier soir, et note la juste appellation que du précises ici, de jibnè.

    Et ceci aussi, à propos de ce Grossvater, qu’on disait pingre et qui n’était probablement près de ses sous que parce qu’il avait manqué dans sa jeunesse. Je te recopie donc ici un épisode de mon dernier livre, L’Enfant prodigue, que j’achève ces jours. Il y est question d’une excursion quasi mythique que notre mère nous a racontés maintes fois et que sa sœur, toute vieille dame perdant aujourd’hui la mémoire sauf de ces faits anciens,  me rappelle souvent lorsque je vais la voir à Lucerne, Berg am See dans le livre…

    Les petites boiteuses

    Si Grossvater était près de ses sous, selon l’expression, c’est  parce qu’il aura manqué, m’avait dit et répété Lena lors de nos colloques au Grand Hôtel où, sans doute, il eût trouvé que nous y faisions d’excessives dépenses, le prix de notre repas représentant à peu près le montant de son premier salaire à l’Hôtel Royal du Caire, alors qu’il était déjà l’employé qualifié que Grossmutter allait épouser en dépit de sa petite taille - et déjà je l’imaginais qui reprenait ses litanies : vous ne pouvez pas savoir, les enfants, ce que nous avons dû lutter, et de fait nous ne pouvions pas plus savoir qu’imaginer : cela nous dépassait, selon l’expression : nous arrivions dans un monde dont nous ne pouvions percevoir les ombres, tout étant prévu pour notre agrément – nous étions les seuls enfants des trois filles de la maison, nous étions le sel de la terre prochaine, en tant qu’enfants nous aurions pu nous sentir écrasés par ce monde austère, et pourtant non : tout tournait autour de nous dès que nous arrivions à Berg am See, la géographie et l’histoire se reconstituaient pour nous, de nouveaux chemins se traçaient pour nous, les enfants, toutes les fins d’après-midi nous ressortions les vélocipèdes et nos tantes chères s’évertuaient à nous ouvrir le monde de là-bas.

    Suisse420001.JPGLes frères de ma mère étaient tous des colosses, avait remarqué Lena en  revenant à la photo sépia, à côté desquels mon père a toujours eu l’air un peu emprunté, et j’avais noté l’expression en me rappelant qu’en effet mon grand-père maternel, en dépit des discours véhéments dont il nous abreuvait, les enfants, dès notre arrivée à Berg am See, s’était toujours trouvé quelque peu emprunté, et de même Grossvater, je l’avais appris plus tard, s’était-il trouvé emprunté devant ses propres frères.

    Les frères de mon père, à l’exception de Grossvater qu’ils appelaient le petit Monsieur, étaient également des colosses, m’avait dit Lena une autre fois, mais ceux-là ne savaient pas parler. Du côté de Grossmuter les frères et sœurs parlaient à tort et à travers, m’avait dit Lena à propos des silencieux de la photo sépia - peu de gens de la même famille auront autant discuté et se seront autant chamaillés, tandis que les frères de Grossvater se taisaient et le regardaient de travers, n’appréciant guère qu’il pensât seulement à fuir la terre alors que tous savaient qu’on y manquerait à y rester tous.

     Nos aïeux et bisaïeux de la photo sépia, du côté de Grossmutter, autant que nos aïeux peu photographiés de la ferme du père de  Grossvater, tôt disparu, revenaient de plus en plus souvent dans la conversation de ma chère Lena au Grand Hôtel de Berg am See, dont le vin italien que je commandais invariablement la grisait et l’égayait à chaque fois, alors même que le fil de sa mémoire se relâchait ou s’entortillait au point de lui faire répéter les mêmes histoires, d’une façon qui me ramenait à ces moments délicieux de nos enfances où nous aimions à entendre et réentendre cent et mille fois la même histoire.

    Les trois frères de Grossvater ont été Rois de la Lutte, me racontait Lena pour la énième fois, nous aimions les voir quand, petites filles, notre mère nous emmenait une fois l’an à la ferme, qui s’exerçaient en culottes de cuir sur une grand fleurier bleu, tantôt en plein air et tantôt dans la grange quand il pleuvait, nous nous tenions immobiles à les regarder, nous étions les Maïteli de la ville, autant dire : de petites dames qui n’y comprenaient rien, mais aux yeux desquelles il s’agissait de ne pas démériter, et Lena, bientôt nonagénaire, semblait revivre la scène comme du matin même, riant au souvenir des lutteurs en sueur puis se faisant plus grave au moment de revenir, pour la énième fois, à l’infortune des humble parents de Grossvater : le cancer fulgurant du père obligeant les quatre frères à se démener dès leur adolescence, plus tard le café périclitant du fils aîné, les enfants débiles du deuxième frère, et le cancer lancinant de celui-ci, le domaine repris avec vaillance par le troisième frère bientôt rattrapé lui aussi par le cancer, et Grossvater fuyant ces heurs et malheurs pour se retrouver dans un palace des hauts de la Riviera lémanique au titre de casserolier - et Lena de s’animer  une nouvelle fois à la remémoration de Grossvater au Ritz de Paris ou s’initiant à la langue russe dans le froid de Saint-Pétersbourg avant de rencontrer, à l’Hôtel Royal du Caire, cette jeune fille très douce, que la vie ferait plus sévère sans la durcir, portant un prénom de pierre précieuse et qui deviendrait notre très aimée Grossmutter.

    À force d’être répétés, autant que les histoires de nos enfances que notre mère nous relisait à n’en plus finir, les récits dont Lena n’en finissait pas non de nous régaler tous deux, au Grand Hôtel de Berg am See, se paraient d’une aura mythique, qui n’excluait ni l’antique facétie ni le sempiternel sanglot – comme l’illustraient deux épisodes promis à l’immortalité.

    L’histoire des petites filles boiteuses appartient, ainsi, à la chronique légendaire de la smala, côté maternel et dans le registre de la comédie.

    C’est un dimanche matin et le quintet, d’un bon pas, les bons parents et les trois allègres fillettes nattées, quittent à pied le domicile familial, pour se rendre dans le massif du Mont Pilate, au Lac Maudit où l’on mangera cinq pommes et boira l’eau da la gourde. Et l’on trotte et l’on chante, sans savoir encore, quand on est fillette, que ce joli tour représentera sept heures de marche  et que cela fatiguera de plus en plus ; et de fait, plus on marche et plus ça monte, plus  ça monte au flanc du Mont Pilate, et plus la fillette sue et soupire - et Grossmutter encourage, et Grossvater maugrée, Grossmutter dit qu’on sera bientôt au Lac Maudit et qu’on aura droit à sa pomme et à l’eau de la gourde, mais la pente se redresse une fois encore, puis il y a un méplat, la fillette croit qu’elle n’en peut plus et Grossvater lui objecte que de son temps on ne se plaignait pas, mais tout à coup le voilà : voici le Lac Maudit qu’agite, les nuits d’orages, l’âme damnée de Pilate qui s’est réfugiée là, et l’on s’arrête alors au bord de l’eau toute limpide pour le moment, chacun savoure sa pomme et l’eau désaltère les gosiers, puis le Midi tapant chasse le quintet vers l’ombre et ce sera bientôt le moment de penser au retour, et l’on boit une dernière lampée de la gourde et l’on prend le chemin du retour qui est encore plus long que celui de l’aller, plus on marche et plus le chemin s’allonge au point que la fillette peine de plus en plus, et bientôt on arrive au pied du Mont Pilate où la route aux automobiles se fait plate mais de plus en plus longue, les trois fillettes suent et soupirent et Grossmutter reprend son encouragement en murmurant qu’hélas Grossvater n’a pas envisagé le recours à l’automobile postale, par trop onéreux, et Grossvater alors, s’épongeant le front et se retournant vers se progéniture nattée et vannée, de lui lancer : «Mais boitez donc, demoiselles, boitez, boitez bas et peut-être quelque automobiliste compatissant aura pitié - c’est cela, demoiselles, boitez bas»…  

    T’ai-je fait sourire, cher Pascal ? Je le souhaite. Et vous embrasse fort, Serena et toi, et vous souhaite un été sans guerre.

    Jls

     

  • Ceux qui en resteront là

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    Celui qui opine du sous-chef / Celle qui vendrait son âme pour une place au paradis alors que le clergé local a établi que d’âme elle n’avait point / Ceux qui rugissent de jalousie en voyant passer des camions de viande conditionnée spécialement pour les habitants de Lyon et environs / Celui qui commence à se faire aux goûts de sa septième épouse légitime en matière de camisoles thermogènes / Celle qui se condamne elle-même par contumace / Ceux qui consacrent pas mal de temps au dressage des araignées ballerines / Celui qui essaie de reconnaître son genou droit qu’il appelle Gaston dans la figure spectrale de l’IRM / Celle qui fait cohabiter ses ex dans ses rêves torrides / Ceux qui deviennent de vrais chieurs dans leur pratique de la Voie de Sérénité de la thérapeute Verena Von Arx / Celui qui met un terme à ses relations avec son amie dite La Dévoreuse par les autres pensionnaires de l’établissement médico-social les Vieux Lutins / Celle qui répond du tac au tac à tout ce qu’on dit dans son dos / Ceux qui disent trouver l’inspiration dans la fréquentation des cactées / Celui qui s’est spécialisé dans le Baiser Datura / Celle qui rêve en 3D sous l’effet de ses infusions de pavots / Ceux qui imposent une irrigation colônique à leur fils Ewald-Hervé qui donne des signes de fatigue les lendemains d’hier / Celui dont le sourire est une lame ébréchée / Celle qui te tient sur ses chardons ardents / Ceux qui mâchent leurs mots pour en faire de la purée, etc.
    Image : Philips Seelen

  • Notes panoptiques (3)

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    En lisant WB à propos de Proust, et Gide à propos de Barrès. À propos du provincialisme parisien, de ce qui surgit, du premier livre de Pascal Janovjak, du provincialisme dans le temps et de Dantec.

    « Nul n’a jamais su comme lui nous montrer les choses. Son index est sans pareil », écrit Walter Benjamin de Proust dans un texte à lire et relire, daté de 1929 (révisé en 1934 pour la version française), intitulé L’image proustienne et constellé de formules d’une acuité rare, où le critique insiste finalement sur la relation physique entre l’écriture et le corps de l’écrivain malade mettant en scène sa maladie. « Cet asthme est entré dans son œuvre, à moins qu’il soit une création de son art. Sa syntaxe se modèle sur le rythme de ses crises d’angoisse et de ses étouffements. Et sa réflexion ironique, philosophique, didactique, est toujours sa manière de respirer de soulagement quand le poids des souvenirs est ôté de son cœur ».
    À propos des souvenirs de Proust, WB relève cet apparent paradoxe qui fait que La Recherche n’est pas tissée de souvenirs mais d’oubli, à l’enseigne d’une «présentification » qui n’a rien d’un ressassement de vieilleries mais tout d’une constante invention dont les objets sont source de bonheur, non pas regard en arrière mais en avant: « Les connaissances les plus précises, les plus évidentes de l’écrivain reposent sur leurs objets come des insectes sur des feuilles, des fleurs ou des branches, ne trahissant rien de leur présence jusqu’à ce qu’un saut, un battement d’aile, un bond révèle à l’observateur effrayé qu’une vie propre s’est inopinément et en sensiblement insinuée dans un monde étranger ».

    °°°

    Gide2.jpgJe me rappelle avoir jeté un froid, légèrement teinté de dédain, lorsque j’ai avoué, à vingt ans, dans un groupe d’étudiants, que je lisais André Gide avec beaucoup d’intérêt. C’est que, vers 1968, il n’était pas bien vu de lire Gide. Genet éventuellement, dont l’image sulfureuse en imposait, mais Gide : vieille noix, plus dans la course. Or relisant l’autre jour Paludes je me suis dit : pas une ride. Ou l’écoutant répondre à Jean Amrouche (on trouve ça en CD), ou parlant à Walter Benjamin : du gâteau. S’il est vrai que son plaidoyer de Corydon fait un peu vieille tenture, l’ouverture d’esprit du personnage, qui suscite évidemment la reconnaissance de WB dans sa passion multinationale pour toutes les littératures, émerveille toujours. Et voici plus précisément ce que dit Gide, venu à Berlin en 1928, à Walter Benjamin : « S’il est un point sur lequel j’ai influencé la génération qui me suit, c’est en ce que maintenant les Français commencent à montrer de l’intérêt pour les pays étrangers et pour les langues étrangères, alors que ne régnaient auparavant qu’indifférence, indolence. Lisez le Voyage de Sparte de Barrès, vous comprendrez ce que je veux dire. Ce que Barrès voit en Grèce, c’est la France, et là où il ne voit pas la France, il prétend n’avoir rien vu ». Et cela qui prend aujourd’hui un relief nouveau : « Avec Barrès, poursuit WB, nous touchons inopinément à l’un des thèmes favoris de Gide. Sa critique des Déracinés de Barrès, qui date maintenant de trente ans, était plus qu’un ferme refus de l’épopée de l’attachement à la terre. C’était la magistrale confession d’un homme qui rejette le nationalisme satisfait et ne reconnaît la nation française que là où elle inclut le champ de forces de l’histoire européenne et de la famille des peuples européens. »

    °°°

    Janovjak.jpgÀ propos de ce genre de brassage, l’arrivée tout à l’heure d’un colis contenant le premier roman de mon ami Pascal Janovjak, sujet à moitié slovaque de naissance, Français par sa mère et Suisse par son passeport (Pascal a quatre moitiés avec sa compagne Serena), accompagné d’un mot gentil de Raphaël Sorin son éditeur, m’a surcomblé de joie comme à recevoir, après l’avoir vue naître, La symphonie du loup de mon ami Marius Daniel Popescu. Qu’un Roumain mal léché, conducteur de bus à Lausanne, nous donne l’un des livre les plus toniques écrits en français ces dernières années, m’a fait autant plaisir que d’échanger, un an durant, une cent cinquantaine de lettres avec Pascal, en son exil de Ramallah, tout en découvrant le tapuscrit de son Homme invisible, devenu maintenant L’Invisible chez Buchet Chastel, à lire dès août prochain. On dit que la relève littéraire de la littérature en langue française est à peu près nulle. C’est à peu près vrai mais pas tout à fait : prenez donc et lisez, fossoyeurs…

    °°°

    Mercanton0001.JPGJacques Mercanton, romancier romand et grand essayiste européen dont nul ne connaît le nom dans la province germanopratine, écrivait qu’il y a un provincialisme dans le temps comme il y en a un dans les lieux. Jamais cela n’a été aussi vrai qu’aujourd’hui ou le djeune, avec ses tribus et tous ceux qui le flattent, arrête la culture à la province temporelle de la contre-culture et au conformisme suprême de l’anticonformisme, entre 1960 et les resucées avant-gardistes actuelles. Jusqu’aux limites du contre-exemple, la référence à tout passé non suspect de « passéisme » atteint au comique lorsqu’on voit les lecteurs branchés de Dantec, se référant à Joseph de Maistre ou à la patristique, acclimater ces valeurs rejetées par leurs parents comme purs produit de la réaction catho, avec le même esprit moutonnier… On voit d’ailleurs, dans le dernier roman de Dantec, que le côté BD-polar de son univers a repris le pas sur ses trouvailles de conteur réellement original et puissant. En attendant Armageddon, le naturel revient tout speedé...