RÉCIT DE VIE Aimé Corbaz revient de l’enfer. Tout sourire, avec un témoignage d’une paradoxale pureté.
« Je suis pédé, alcoolo et je vous emmerde », écrit Aimé Corbaz à mi-parcours d’un récit qui horrifiera probablement maintes braves gens, comme sa mère lorsqu’il lui avoua son homosexualité : « On aurait préféré que tu sois balayeur mais normal ». Et son père, après avoir envisagé un suicide collectif, un soir de Noël à « traditionnel règlement de comptes » : « Je n’ai pas de conseil à recevoir d’une tarlouze »…
Or curieusement, et malgré la jaquette du livre un peu accrocheuse, c’est un récit qui touche à proportion de sa franchise crue, jusqu’au fond de l’abjection, et de son honnêteté sur fond de souffrance, que La peau du homard, dont le sous-titre, Confidences d’un alcoolo repenti, ne doit pas faire croire à une confession les yeux au ciel. Aimé Corbaz ne cesse d’être mordant jusqu’à la provocation (un « fichu cynisme » de défense), mais cette agressivité criseuse ne masque jamais vraiment les désarrois d’un tendre en manque d’amour. Le gentil Pascal (son prénom de naissance), quoique « choyé sans démesure », fils de flic et de femme au foyer, qui prend sa première cuite à la fanfare de Lausanne où il tient la trompette (la musique sera pour lui « un territoire ami et fidèle »), n’a rien au départ que d’ordinaire. S’il découvre le «bonheur indicible» de la jouissance homosexuelle à 17 ans, et se met bientôt à picoler, rien n’annonce l’enfer physique et psychique dans lequel il va se retrouver dans la quarantaine, parallèlement à son activité de journaliste. Sans rien épargner au lecteur des détails de sa déchéance, dans un milieu glauque ou défonce alcoolique et sexe vont de pair, Aimé Corbaz ne se complait pas pour autant dans le sordide. Son récit entremêle belles rencontres et déboires affectifs, et si sa première « croisade abstinente » ne dure que 4 mois, sa rechute vertigineuse sera ponctuée de beaux moments, jusqu’à la casse finale qui l’incitera au choix décisif « entre vivre et mourir », le 27 octobre 2003.
Cette seconde naissance a préludé, pour Aimé Corbaz, à une nouvelle vie, souvent difficile au demeurant, et notamment assombrie par la découverte de sa séropositivité. Mais avec pas mal d’appuis amicaux, dont le docteur lausannois Raymond Abrezol et son assistante sophrologue, avec lesquels il découvrira une nouvelle spiritualité, notre « homard » (animal-symbole dont la dure carapace a le même rouge que le psoriasis tenace de l’auteur) s’est fait une peau ne « craignant plus les caresses de l’existence».
Note optimiste finale: Aimé Corbaz, viré de son journal en 2007, y a vu l’occasion d’un rebond salutaire. Il est aujourd’hui thérapeute diplômé, offrant ses services à ceux qui en ont besoin. «Je me sens enfin vivant », écrit-il en conclusion. Chapeau bas…
Aimé Corbaz. La peau du homard. Favre, 108p. Site de l’auteur : WWW.soifdevivre.ch
Commentaires
Yves Navarre, que son père songeait à lobotomiser, s'est suicidé lui. Malgré son Goncourt.
On m'a dit que le Goncourt, avec ses retombées de jalousie crasse, en a plutôt rajouté à son désespoir...