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La grâce incarnée

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Jacob Berger, présent aux Journées de Soleure pour y présenter son dernier film, 1 Journée, observe avec autant d’acuité que de tendresse les crises de la relation. Thème récurrent dans le cinéma des auteurs actuels.
Qu’est-ce qui « foire » dans tant de relations actuelles, et d’abord au sein de la famille ? Trop peu d’amour ? Trop d’égoïsme ? Pas assez d’attention ? Désirs frustrés ? Rôles imposés ? C’est de tout cela, et de bien plus encore, que parle 1 Journée de Jacob Berger, film aussi remarquable par sa densité émotionnelle que par son élaboration formelle (lire 24Heures du 23 janvier), qui revient plus précisément sur la relation de filiation abordée dans Aime ton père (2002), deuxième long métrage du réalisateur quadragénaire (fils de l’écrivain John Berger, il est né en Grande-Bretagne en 1963), après Les anges, très remarqué à sa sortie (1990).
- Qu’aviez-vous à cœur d’exprimer dans 1 Journée ?
- A l’origine, j’avais l’envie de continuer mon exploration de la vie familiale et de parler du couple. Je défends cette théorie qu’en temps de paix, dans nos contrées, nous passons l’essentiel de notre temps à en découdre avec les autres, qu’il s’agisse de sentiment ou de ressentiment, de colère, de jalousie, de désir, etc. Il y a là une réalité humaine très vibrante mais qu’on évoque le plus souvent par la bande, et que j’ai voulu aborder de façon frontale. Une figure nous intéressait particulièrement, Noémie Kocher (co-scénariste) et moi, c’était la femme absente à elle-même : l’épouse, la mère, la femme au travail qui joue son rôle sans incarner sa vie. Or j’avais envie de la montrer au moment où elle décide de prendre sa vie en mains, ne fût-ce que pour partir.
- Comment vous est venue l’idée de la triple narration ?
- La question du point de vue m’intéressait, que j’ai déjà traitée dans Aime ton père. Il me semble d’ailleurs que c’est la nature du cinéma de passer ainsi d’un regard à l’autre, et l’idée de raconter la même journée par trois personnages correspondait à mon désir, dans un cadre apparemment classique, de raconter une histoire de façon nouvelle. Or je crois que ce regard multiple est le plus adéquat à la saisie du monde à facettes dans lequel nous vivons, où ce que l’un appelle terrorisme est combat de survie pour l’autre. Ainsi ce qui nous semble d’abord lâcheté, chez le père de mon film, participe du caractère tragique de sa recherche d’une punition.
- Quel a été l’apport de Noémie Kocher dans le scénario ?
- Le film avait besoin d’un point de vue féminin. Si j’ai gardé la main sur la structure du scénario, Noémie l’a énormément nourri, également du côté de l’enfant, par exemple dans sa la poésie personnelle du gosse ou sa façon magique de compter.
- Avez-vous construit les personnages en pensant à des acteurs identifiés ?
- Oui et non, car le casting a pris du temps. Noémie a vite « vu » Natacha Régnier, qui a accepté dès que je lui ai montré Aime ton père. Pour l’homme, il me le fallait très masculin, avec une forte énergie érotique, en même temps que de la fragilité, ce qui ne court pas les rues en Suisse et en France, contrairement aux Etats-Unis. Bruno Todeschini m’a paru l’un des deux ou trois oiseaux rares. Quant à Noémie, je savais d’emblée qu’elle serait la maîtresse…
- Et l’enfant ?
- C’était le gros problème. Trouver un petit acteur capable de « tenir » un film entier n’est pas facile. Je voulais un enfant qui ait du plaisir et de la fierté à jouer : un môme qui exprime une forme un peu sauvage d’intelligence. Or Louis Dussol, qui n’a pas de père, a montré d’emblée le désir de répondre à mon attente. Très vite, il a trouvé une espèce de gravité, d’insolence dans le regard qui m’électrisait.
- Ses répliques ne sont-elles pas parfois celles d’un adulte ?
- En fait il parle très peu, et sa mère, neurasthénique, le pousse à jouer parfois un rôle « protecteur ». Cela étant, cette maturité grave fait partie du personnage, comme on la retrouve souvent chez des gosses angoissés ou en douleur.
- Qu’est-ce pour vous que le propre du cinéma ?
- On dirait autre chose à chaque film nouveau, mais je crois qu’il y dans le cinéma quelque chose qui défie l’intellect. L’intention ne s’y exprime jamais totalement, comme dans les autres arts. Je dirai qu’il y a une sorte de présence du saint esprit dans le cinéma : le souffle de la vie, la puissance du désir, la violence de l’attraction ou de la haine ne se commentent pas : ils sont incarnés. Le cinéma est à la fois une lourde machine qui vous demande un travail d’entrepreneur, mais il lui arrive d’être visité par ce miracle de l’incarnation. C’est ce qui fait sa grâce.

Photo: Pierre Abensur

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