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L'espérance au coeur des ténèbres

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La Route de Cormac McCarthy évoque, sous un ciel d’apocalypse, la survie de l’homme dans le monde dénaturé de l’hiver nucléaire.

Il n’est pas de roman contemporain plus sombrement désolé que La Route de Cormac McCarthy, et il n’en est pas non plus qui laisse au cœur un tel sentiment de justification de la vie humaine restituée dans sa part sacrée. C’est le livre d’un visionnaire pascalien que cet extraordinaire voyage à travers une Amérique dévastée, dont les évocations de l’hiver nucléaire nous replongent dans les cercles inférieurs de L’Enfer de Dante. Comme celui-ci et son guide, un père et son petit garçon fuient à travers les territoires ravagés, les villes incendiées et pillées, avec pour espoir improbable d’atteindre les rivages de la mer, lesquels se révéleront aussi pourris que la nature contaminée.
Cela étant, chaque nouveau pas sur ce calvaire relance la flamme d’une rédemption possible, liée à un pacte passé entre les deux protagonistes, dont la vocation affirmée est d’être « porteurs de feu ». Formule « bateau » de récit de science fiction spiritualisant ? Et manichéisme de bande dessinée que la division de l’humanité survivante en « méchants » et en « gentils » ? On pourrait le croire à rester en surface de cette road story de fin du monde sans la lire vraiment, alors que chaque page de La Route saisit au contraire le lecteur par sa puissance d’incantation et d’évocation, la lugubre beauté de son lyrisme, sa terrifiante réalité (laquelle renvoie à tout moment aux guerres sectaires et autres misères de notre actualité) et la bouleversante humanité des deux figures de l’homme et de l’enfant.
Liés et livrés l’un à l’autre, le père et le fils se tiennent et se soutiennent au fil d’une relation constituant, dans le froid absolu et le mal régnant sous l’empire de hordes cannibales, une sorte de vestige de lumière et d’énergie vitale que seul le terme d’amour peut qualifier à vrai dire, au sens religieux autant que dans sa dimension affective. De fait, après la fuite de la mère, désespérée et refusant une telle existence de morts-vivants, le père a choisi de protéger coûte que coûte son enfant en lequel il reconnaît un « calice d’or, bon pour abriter un dieu ». A cette foi de révolté (le père demande aussi bien à Dieu s’il a une gorge, afin qu’il puisse l’étrangler, ou une âme, qui lui permette de le maudire) répond l’attente confiante et vigilante du petit, qui surveille son père comme une conscience en alerte, appelant en outre sa miséricorde à la rencontre de plus malheureux, alors que le père ne pense qu’à leur seul salut.
Au fil de leur fuite, les épisodes atroces alternent avec des moments de grâce liés à la survie du monde d’avant: quelques souvenirs de la vie avec « elle », une gorgée d’eau pure, une cannette de Coca retrouvée dans les ruines, l’onction d’un bain dans un torrent, le trésor inespéré de réserves serrées dans un abri souterrain, le son d’une flûte taillée dans un bout de jonc, les sublimes dernières lignes rappelant la nature encore vierge…
Une fable évangélique
Symboliquement, Cormac McCarthy figure en somme le passé et le futur de l’humanité qui cheminent sous le ciel devenu fou à proportion de la démence humaine, où tempêtes de feu et tornades de cendres tourbillonnent à la surface d’une planète dénaturée, dans le gris définitif du jour, la pluie omniprésente, la neige et le froid, la nuit sans fond. Sous l’aspect de personnages guenilleux à la Beckett, l’homme et le petit participent cependant d’une vision moins « plombée » que celle du professeur de désespoir irlandais, tant la théologie de Cormac McCarthy reste liée à l’eschatologie chrétienne. Sans rien de lénifiant, mais dans la pure tradition évangélique, l’amour, la charité et l’espérance filtrent en effet tout au long de La Route, qui se lit comme un récit d’anticipation apocalyptique, à cela prêt que le néant cendreux et la destruction hideuse qu’il figure participent, déjà, de la réalité que nous vivons, autant que l’espérance demeure.
Cormac McCarthy. La Route. Traduit de l’américain par François Hirsch. L’Olivier, 244p. En librairie le 5 janvier.

f58d48f8e8b52d00eae8dafa4ddb2d2e.jpgCet article a paru dans l'édition de 24 Heures du 4 janvier 2008.

Peinture au doigt: Louis Soutter, 1939

Commentaires

  • Le sujet de ce livre m'évoque celui d'un auteur belge, André-Marcel Adamek, La grande Nuit. Il s'agit aussi d'une forme de Road Book post-nucléaire en direction de la mer. Les personnages croisés forment une galerie tantôt réalistes, tantôt légendaires, comme ces femmes amazones, Mi et Fa....

    J'essayerai de lire ce livre de Cormac McCarthy, il se rajoute en tout cas à ma liste de livre à découvrir....

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