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  • La famille coco-facho

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    Après un immense succès en Italie, Mon frère est fils unique de Daniele Luchetti prélude aux coups de rétroviseurs du 40e anniversaire de mai 68.
    Ceux qui ont aimé Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, chronique attachante des années 1966 à 2003 en Italie, devraient être également touché par Mon frère est fils unique, qui brasse une matière sociale et politique proche en s’attachant à une situation particulière intéressante: à savoir la cohabitation, dans une même famille, de deux frères aux positions politiques diamétralement opposées.
    Sur la base d’un roman d’Antonio Pennacchi qui avait 18 ans en 1968 et a lui-même adhéré très jeune au parti néofasciste MSI, dont il a été expulsé avant de passer par diverses factions d’extrême-gauche, le film scénarisé par Daniele Luchetti assisté de Sandro Petraglia et Stefano Rulli (cosignataires de Nos meilleures années) nous transporte dans une famille populaire de Latina désespérant d’être relogée dans un immeuble moins insalubre. Le fils aîné, Manrico (Riccardo Scamarcio), est un beau jeune homme qui fait craquer les nanas et s’impose en leader syndicaliste du PCI avant de dériver vers l’action violente. Brillant et charmeur, le révolutionnaire ne manque d’agacer son frère cadet, le teigneux et boutonneux Accio, qui a renoncé au séminaire avant de se laisser entraîner par un marchand ambulant fort en gueule dans les réunions et les opérations de commando des néofascistes. Du genre rebelle « au carré », impatient de s’opposer aux brimades des siens, Accio n’est « fasciste » que par esprit de contradiction, et son évolution témoignera d’une ouverture généreuse dont son frère aîné terroriste sera le premier bénéficiaire.
    Les dogmes et la vie
    Du personnage à la fois gouailleur et attachant du roman picaresque de Pennacchi, contrastant pour le moins avec le cliché du « facho » bas de plafond, Daniele Luchetti a fixé le portait cinématographique en choisissant un acteur vif à souhait en la personne d’Elio Germano. Entre les deux frères oscille en outre la belle et incisive Francesca (Diane Fleri) dont l’évolution marquera elle aussi une distance croissante par rapport aux dogmes idéologiques.
    Déclaré pompeusement « d’intérêt culturel national » par les instances officielles de la péninsule, Mon frère est fils unique a certes valeur de témoignage substantiel et souvent truculent « à l’italienne », sur une époque souvent réduite à des clichés enjolivés ou dramatisés à outrance. La charge portée sur les débats où tout le monde pérore en même temps, ou la caricature du chœur de camarades chantant un Hymne à la joie aux paroles révisées style agit-prop, n’en font pas pour autant une satire « révisionniste » trop complaisante. Si la forme du film reste finalement assez sage, dans le genre du feuilleton sensible et intelligent à la manière de Nos meilleures années, nul doute qu’il « sonne » juste et rend bien, sans démagogie, le climat d’une époque où souvent, entre familles à l’ancienne et tribus hirsutes, la jeunesse ne faisait que se chercher un lien ou une communauté.
    • Sur les écrans romands
    • Antonio Pennacchi. Mon frère est fils unique ou la vie déréglée d’Accio Benassi. Traduit de l’italien par Jean Baisnée. Le Dilettante 2007,448p.

    878f575ac7957974f92760702916ea9d.jpgUn quarantième rugissant ?

    De quoi sera faite la vague annoncée de publications, romans, essais, films et autres documents qui devrait déferler en 2008 pour commémorer le quarantième anniversaire de mai 68 ? Les « anciens combattants » vont-ils y aller de leur air de la nostalgie désenchantée, ou verra-t-on se développer de nouveaux récits sur une époque qui a diffusé, presque en temps réel, ses mythes plus ou moins narcissiques et ses légendes, par « icônes » et autres figures « cultes », voire « cultissimes », interposées ?

    Le film de Daniele Luchetti, à l’image du livre d’Antonio Pennacchi dont il s’inspire, séduit par la distance prise par rapport à la terrible rhétorique d’époque, masquant souvent la volonté de puissance ou le ressentiment des contestataires des deux bords sous de beaux discours. Mais verra-t-on jamais une nouvelle Education sentimentale, en littérature ou au cinéma, cristalliser la « substantifique moelle » de ces années ?

    58efa2747451c00f7607cb136f686a8d.jpgCe qui semble à l’heure qu’il est, et notamment au vu des agréables et non moins excellents « feuilletons » que représentant Nos meilleures années ou Mon frère est fils unique, c’est qu’on en reste à une vision certes plus nuancée que naguère mais jamais en rupture avec certain consensus, qu’un Pasolini (notamment dans ses Lettres luthériennes)  fut des seuls à rompre dans l’Italie des années de plomb.

    Le quarantième sera-t-il rugissant ou ronronnant ?

     

     

  • Une amitié salvatrice

    3b93e7b8a20243e84fa826f5e7677e4e.jpg Serge Merlin porte Le neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard avec une intensité sensible prodigieuse.
    L’extraordinaire émotion théâtrale que nous vaut ces jours la représentation du Neveu de Wittgenstein de Thomas Bernhard dans l’interprétation tantôt désopilante et tantôt bouleversante de Serge Merlin, touche, à partir de la perception tragi-comique de notre chère et putain de condition humaine, à tous les registres de l’expression, de la douceur délicate à l’invective explosive, en passant par les nuances pathétiques ou grotesques d’un récit que la pudeur de l’écrivain fait avancer masqué.
    On réduit souvent Thomas Bernhard à sa posture (indéniable) d’imprécateur, alors que c’est aussi un inégalable chroniqueur de sa vie et de son époque fracassées, dont les récits « autobiographiques » récemment réunis en un volume (notamment L’Origine, La Cave, Le Souffle, Le Froid, Un Enfant *) cristallisent la substance douloureusement compulsive et la formidable musique.
    Le neveu de Wittgenstein, sous-intitulé Une amitié, se rattache à cette confession d’un enfant du XXe siècle marquée par les relents du nazisme et le désastre de l’après-guerre autrichien, la tuberculose et la rage folle d’échapper à la mouise et à le crétinerie récurrente des philistins ; surtout : par l’émotion partagée avec quelques «êtres vitaux » dont le grand-père, une femme jamais nommée et, ici, un rejeton rejeté de la milliardaire clique des Wittgenstein, passionné de musique et de littérature, d’art et de philosophie. Si ce récit, publié en 1982 et dont le déclencheur remonte à 1967 dans un hôpital viennois où l’auteur séjournait pour l’ablation d’une tumeur au thorax, n’est pas explicitement destiné au théâtre, sa tournure de monologue à vrilles plus ou moins frénétiques en fait un objet vocal et dramatique aux ressources exceptionnelles, ainsi que le prouve Serge Merlin de toute l’âme de son corps dans la version scénique que lui ont finement retaillée Bernard Levy, par ailleurs metteur en scène, et Jean-Luc Vincent, dans une scénographie et des lumières magnifiquement accordées de Giulio Lichtner et Jean-Luc Chanonat.
    abdb0e5e1bb6bdfda8f7bc65bb41d244.jpgDès la première évocation des retrouvailles de Thomas Bernhard et de son ami Paul Wittgenstein, respectivement encagés au Pavillon Hermann du service de pneumo-phtisiologie de la Baumgartnerhöhe, et dans le Pavillon Ludwig de l’asile psychiatrique du Steinhof, séparés par un grillage plein de trous, le rire se mêle à l’effroi et à l’émotion plus tendre. De la même façon, le comique, parfois énorme (la charge contre les promenades à la campagne et la nature en général, ou le morceau d’anthologie sur les prix littéraires qui sont autant d’occasion pour les philistins de « chier » sur la tête des artistes), l’effroi (la solitude de Paul le paria, ou le désespoir de Thomas le suicidaire) et l’émotion (la fin déchirante où Thomas se reproche sa lâcheté devant la mort annoncée de Paul) se fondent en unité dans la musique de cet hymne joyeusement funèbre à l’amitié et à ce qui nous sauve de tout ce qui pèse sur le corps de nos âmes...
    Lausanne, Théâtre de Vidy, Le neveu de Wittgenstein. Coproduction Chaillot/Vidy. Salle de répétition, jusqu’au 18 novembre.Tlj à 19h30, dimanche à 18h30. Lundi relâche. Durée 1h3o. Loc : Payot librairie et 021 619 45 45
    (*) Thomas Bernhard. Gallimard, coll. Biblos, 505p.

    2169e3f05b6ec2af29fdeab7e41e5a80.jpgImages: Mario del Curto

  • Nostalgie omnibus

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    A propos du Canapé rouge de Michèle Lesbre

    Les livres que nous emportons en voyage nous en font faire d’autres et à n’en plus finir, et c’est ainsi qu’en me baladant récemment de Delft aux confins de la Frise je n’ai cessé de multiplier les horizons en alternant la lecture de Vertiges de W.G. Sebald, qui nous replonge dans l’Italie de Stendhal ou l’Allgaü de l’écrivain lui-même, et celle du Canapé rouge de Michèle Lesbre dont la protagoniste se remémore un voyage en Sibérie, à la recherche d’un homme qu’elle a aimé, en alternance avec les stations auprès d’une vieille dame à laquelle elle raconte des vies de femmes hors du commun, de la rebelle bretonne Marion du Faouët à Milena Jesenska, laquelle nous fait retrouver le docteur K. de Sebald…
    Le canapé rouge est un beau livre de tendresse rêveuse et de nostalgie, évoquant ce sentiment de détresse vécu par toute une génération frustrée des lendemains qui chantent. Vieille chanson déjà que celle de la « déprime des militants », et l’on pourrait craindre la scie convenue en suivant Anne sur les traces de Gyl, son amant de jeunesse refusant d’obtempérer et parti sur les bords du lac Baïkal vivre selon son utopie persistante. Mais la musique des âmes et d’une écriture suffit à nous toucher , de vague en vague et de cercle en cercle, au fil d’une remémoration en douces spirale amorcée par la phrase délicatement proustienne relançant le voyage en omnibus à travers l’immensité russe : « La plupart du temps je m’éveillais très tôt, à l’aube naissante. Pins et bouleaux émergeaient à peine d’un océan de brume dans lequel le train courait en aveugle, où flottaient quelques essaims d’isbas grises dont le bois usé par le gel et le brutal soleil d’été ressemblait à du papier mâché. Une lumière mate s’éclaircissait peu à peu, jusqu’à découvrir un ciel vertigineux que je poursuivais du regard et qui se réfugiait à l’horizon. Quel horizon ? Tout semblait lointain, inaccessible, trop grand ».
    La lecture elle-même est au cœur de ce livre oscillant entre un canapé rouge, où la femme encore jeune lit des récits de vie à la vieille Clémence ci-devant modiste, et le bord de Seine et les lointains russes où se croisent, tous plus ou moins spectraux, divers hommes des divers temps vécus par la narratrice, laquelle nous renvoie, la lisant, à nos divers temps et amours, comme dans les reflets de reflets d’un miroir en mouvement…
    8adf22c1092851e5aaedaa64df676ec7.jpgMichèle Lesbre. Le canapé rouge. Sabine Wespieser, 148p.

    Nota bene: Le Canapé rouge figure sur la dernière liste des ouvrages candidats au Prix Goncourt. 



  • Le Dyable de la rhétorique

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    Du style de François Meyronnis, De l’extermination considérée comme un des beaux-arts et de la pensée mamour...

    François Meyronnis se voudrait un styliste stylé. Cela lui fait vomir à la fois Michel Houellebecq et Jonathan Littell qu’il rassemble sous la bannière d’Andy Warhol qui écrivait que « le style n’est pas vraiment important ». Le style de Michel Houellebecq et le style de Jonathan Littell sont-ils vraiment importants ? Peut-être pas autant que les styles de Flaubert Gustave ou de Morand Paul, mais la question est-elle là ? Il faudra y revenir avant Noël.
    Dans l’immédiat ce qu’il faut, c’est citer le styliste stylé en son ouvrage récemment paru, intitulé De l'extermination considérée comme un des beaux-arts. C’est la fin du livre, nous sommes un peu flagadas, mais déchiffrons encore cette dernière sentence : « La noblesse de l’événement est le seul milieu de l’amour ». Pour éclairer cette chute admirable, il faut pourtant, en bons talmudistes, revenir aux deux phrases qui précèdent: « Sous la seule forme d’un sentiment, l’amour n’est qu’une amorce. On aurait tort de la prendre pour la chose. D’autant qu’ainsi elle tourne vite à son contraire ».
    Vertiginieux, n’est-il pas ? Mais ceci est encore éclairé par ce qui précède immédiatement trois phrases plus haut : «La singularité exclut le tassement sur un Moi-je. Non seulement elle n’empêche pas l’amour; mais encore lui donne-t-elle toute son ampleur. La noblesse d’une autre singularité oblige la mienne. Je ne cherche pas ailleurs une morale, ce qui fait de moi un monstre. En un éclair, trois mots s’interchangent et illuminent sans fin leur intrication : amour-noblesse-pensée ».
    Dans Le Général Dourakine dont nous avons tous nourri notre philosophie, la Comtesse de Ségur annonce en somme le styliste stylé, en plus limpide, prônant elle aussi l'amour, la noblesse et les jolies pensées de l'heure du goûter. Cependant le défaut de la Comtesse est de ne s’être point mêlée plus gravement de littérature et de n’avoir point justement taxé de Diable son compatriote le littérateur Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, dont la perversité des Démons ne fait pourtant aucun doute aux yeux des petite chanteurs à la croix de bois que nous sommes tous restés « au fond ».
    Blague à part, le procès qu’intente le styliste stylé François Meyronnis aux littérateurs sans style (enfin, attendons Noël) que sont selon lui Michel Houellebecq et Jonathan Littell équivaut bel et bien, en somme, à celui qui a été fait à Dostoïevski pour cause de Stavroguine, dont la perversité intrinsèque menace aujourd'hui encore de contaminer notre amour, notre noblesse et notre pensée.
    En exergue de l’essai stylé intitulé De l’extermination considérée comme un des beaux-arts, qui postule en gros que La possibilité d’une île de Michel Houellebecq et que Les Bienveillantes de Jonathan Littell participent de l’action perverse du Diable contemporain que nul ne voit avancer masqué à la seule exception stylée de François Meyronnis himself, on lit cet exergue saisissant : « Plus le Diable a, plus il veut avoir ». La profondeur de cette pensée nous fait vaciller sur nos échasses d’hommes-creux. Nous recopions derechef sur le marbre durable: « Plus le Diable a, plus il veut avoir. » L’oncle Picsou n’a qu’à bien se tenir et nous autres, avatars multitudinaires du «dernier homme» conduits à l’abattoir par les mauvais bergers Michel et Jonathan, nous allons y penser avant Noël...
    François Meyronnis. De l’extermination considérée comme un des beaux-arts. Gallimard, coll. L’Infini, 190p.

    Image ci-dessus: Dadò.

  • Ce cher fou de Platonov


    A la Grange de Dorigny, Gianni Schneider signe sa meilleure mise en scène avec un Platonov merveilleusement servi par Roland Vouilloz et ses camarades.
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    Un cliché tenace assimile l’œuvre d’Anton Pavlovitch Tchekhov, et notamment son théâtre, à une suite de tableaux doux-acides de la province russe pré-révolutionnaire où des personnages plus ou moins ratés ou revenus de tout, entourés de femmes plus ou moins mélancoliques, distillent leurs velléités et leurs regrets sur fond de mélancolie et d’ennui. Cette image éclate à la découverte des premiers récits virulemment satiriques du jeune écrivain, et Platonov, sa première pièce jetée sur le papier au tournant de sa vingtième année, révèle également un observateur cinglant de la société et des comportements humains, dont un humour irrésistible pimente des dialogues merveilleusement vifs, témoignant d’une incroyable maturité chez le jeune auteur. Il est vrai que celui-ci avait « vu du pays », comme on dit, dès son enfance de prolétaire évoquant celle des gosses de Dickens, et que son œil de clinicien (il finira sa médecine en 1884) s’exerce déjà avec une absolue netteté, laquelle n’empêche aucunement la plus amicale compréhension.
    L’ondoyant Platonov, évoqué à un moment donné comme l’incarnation de la jeunesse russe indécise et jouisseuse, est ainsi le plus fieffé tombeur, et se dit lui-même la dernière des crapules, mais on ne l’en aime pas moins en dépit de ses frasques et des dégâts qu’il fait sur son passage, jusqu’au (presque) suicide de sa propre épouse, qu’il se réjouit surtout de n’avoir pas le souci d’enterrer…
    Si Platonov n’a pas, et de loin, la perfection formelle des Trois sœurs (déjà montée par le metteur en scène lausannois) ou de La cerisaie, le « matériau » psychologique (plus que la chancelante trame dramatique) qu’il propose à l’homme de théâtre n’en est pas moins riche, et particulièrement dans le jeu des relations entre Platonov et les femmes, qui constitue d’ailleurs l’axe majeur de l’adaptation d’Olivier Zuchuat travaillée par Gianni Schneider.
    dcbc83ca1530deff35e10ba9ea763ed9.jpgUn pari casse-cou
    Celui-ci a choisi de servir Platonov à ses acteurs « tout nus », si l’on peut dire, en les faisant jouer sans le moindre accessoire sur un damier de jeu d’échecs. Celui-ci correspond d’ailleurs à la première scène de la pièce, et toute celle-ci se déroulera en fonction de ce choix scénographique parfaitement adapté, comme un ballet de figures en confrontation.
    De ce parti pris relevant du défi, le metteur en scène tire une relecture de Platonov certes partielle, mais tout à fait cohérente, qui doit beaucoup à l’équipe de comédiens réunie par Schneider, à commencer par Roland Vouilloz dans le rôle-titre, dont le crescendo de l’interprétation vaut à elle seule le déplacement. Or ce formidable comédien n’est pas seul : il y a ensuite Juliana Samarine en générale encore jeune (veuve de général plus exactement), dont le jeu époustoufle également par sa netteté cinglante et sa malice pince-sans-rire. Et Juliana Samarine non plus n’est pas seule, car Shin Iglesias étincèle non moins, de même que les grands « pros » Edond Vuilloud et Jacques Probst, en vieux ciselés à la fine gouge, et l’équipe entière, à savoir encore Sandra Gaudin et Jean-Paul Favre, Mathieu Loth, Geneviève Pasquier et Julien Schmutz.
    Bel « objet » théâtral, cette réalisation est également très maîtrisée du point de vue visuel, autant par sa scénographie (signée Eleni Kaplani et Gianni Schneider), ses lumières (Laurent Junod) et ses éléments musicaux (Jean Rochat), ses costumes (Lara Voggensperger) et ses incrustations vidéo (Eugene Dyson). Enfin, comme le public « marche » à fond, notre conseil final suivra le mouvement : marche !
    Lausanne, Grange de Dorigny, jusqu’au 11 novembre. Loc : 021 692 21 24

  • Une maison du cinéma à Lausanne

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    Vinzenz Hediger, le nouveau patron de la Cinémathèque suisse, est attendu en septembre 2008 à Lausanne.

    L’annonce de la nomination de Vinzenz Hediger a été fort bien accueillie par l’actuel directeur Hervé Dumont, mais ne laisse de poser maintes questions. Quelle sera l’orientation de sa politique en matière de gestion de ce fabuleux patrimoine ou dans l’animation publique de la maison de Montbenon, considérée comme un lieu trop peu attractif? Premier éclairage.
    – Quelle image, à l’heure d’en devenir le directeur, avez-vous de la Cinémathèque suisse?
    – La Cinémathèque suisse possède une des plus grandes collections au monde, aussi et particulièrement en ce qui concerne les fonds «non-film» (ndlr: affiches et photos), assemblés en grande partie par André Chevalier. L’institution est une ressource culturelle de tout premier ordre, avec un énorme potentiel de rayonnement. Mais elle est, hélas, trop peu connue en Suisse. Une perception qu’il faudra changer…
    D’aucuns reprochent à l’institution de n’être pas un lieu suffisamment ouvert au public, aux échanges, aux débats, tout comme à la production suisse et romande. Envisagez-vous de l'animer de façon plus significative et de donner plus de visibilité à la production helvétique ? Et de quelle façon?
    – Il ne fait aucun doute que j’envisage la Cinémathèque comme lieu d’échange et de débats publics sur le cinéma, sur l’audiovisuel et ses liens avec les autres domaines de la culture. Ceci concerne aussi bien le cinéma romand que le cinéma mondial. L’instrument principal de cette ouverture sera une «Maison du cinéma» au cœur de Lausanne, un lieu ouvert où l’on montre des films, où le public se rencontre pour en discuter (mais aussi pour bien manger et boire), où l’on présente des expositions mettant en valeur les riches collections d’affiches et de documents. Un bel endroit où les spécialistes tiendraient leurs colloques et mèneraient leurs recherches, un lieu, enfin, comme il en existe déjà à Copenhague et bientôt à Amsterdam.
    – Les réalisateurs de nos régions, qui trouvaient le meilleur écho auprès d’un Freddy Buache, se sont parfois plaints du manque d’écoute et d’accueil de l’actuel directeur. Pensez-vous offrir une meilleure visibilité au cinéma suisse et romand?
    – J’ai été profondément marqué par les films suisses des années?70, que mes parents m’ont emmené voir. Plus tard, comme critique de cinéma, j’ai toujours porté une attention vive aux cinéastes suisses, et je continuerai de le faire dans mon futur travail.
    – Lausanne est le siège de «foyers» culturels vivants. On se rappelle aussi la collaboration significative d’un Freddy Buache aux Editions L’Age d’Homme, de rayonnement international. Pensez-vous associer la Cinémathèque à d’autres institutions par des échanges?
    – Vu que le cinéma est de plus en plus présent dans les autres domaines de la culture, soit dans le théâtre, ou l’on adapte des films de Lars Von Trier et d’autres plutôt que de cultiver le répertoire classique, soit dans les arts plastiques où des artistes comme Douglas Gordon empruntent leur inspiration au cinéma, alors que des cinéastes comme Chantal Akerman ou Harun Farocki se réinventent à travers des installations vidéo, il me paraît tout à fait naturel que la Cinémathèque cherche la proximité et la coopération avec d’autres institutions culturelles.
    - Fernand Melgar a qualifié Hervé Dumont, d’«homme de l’ombre», en reconnaissant son grand travail sur le fonds et sa préservation, tout en appelant de ses vœux un «homme de la lumière» qui redonne envie au public de fréquenter la Cinémathèque…
    – Il est facile de sous-estimer le travail qu’Hervé Dumont a fait pour la Cinémathèque. Avec un lobbying discret mais efficace, il a jeté les bases politiques pour tout le futur développement de la maison. Le nouveau directeur en hérite, et s’il sera en position de devenir «homme de la lumière», c’est sans doute aussi grâce au travail préparatoire d’Hervé Dumont…

    Budget à revoir urgemment
    Le jour même où il annonçait la nomination de Vinzenz Hediger, Olivier Verrey, président du conseil de fondation de la Cinémathèque suisse, reconnaissait que le budget de fonctionnement de celle-ci (5 millions de francs par année) reste largement insuffisant pour son fonctionnement. Qu’en pense le nouveau directeur?
    «Je suis tout à fait d’accord avec Olivier Verrey. Avec une collection de plus de 70 000 titres, la Cinémathèque suisse dispose d’un budget qui ne représente qu’un tiers de celui du Nederlands Filmmuseum, dont la collection compte 45 000 titres. L’institution souffre donc d’un sous-financement dramatique par rapport à la valeur de ses collections, mais aussi par rapport à ce qui est de rigueur dans d’autres archives de films européens. Ceci concerne surtout les travaux de restauration. La Cinémathèque suisse ne dispose que des moyens financiers pour quatre restaurations de film par an, et ceci grâce à Memoriav. Elle ne peut donc, actuellement, pas financer de restaurations avec son budget annuel. La Cinémathèque française, par contre, restaure 200 films par an, et elle dispose d’un budget de 23 millions d’euros (plus de 32 millions de francs suisses). C’est un écart qu’il faudra combler, au moins en partie…»


    Né en 1969 à Menziken, dans le canton d’Argovie, Vinzenz Hediger enseigne actuellement à l’Université de la Ruhr à Bochum. Il est l’auteur de deux ouvrages importants sur le cinéma, dont un sur le documentaire en Suisse, et de maintes contributions dans des revues étrangères. Egalement critique de cinéma du quotidien Neue Zürcher Zeitung , il a siégé au conseil de fondation de Pro Helvetia ainsi qu’au sein de la Commission fédérale du cinéma. Vinzenz Hediger est marié et père d’un petit garçon.

    Cet entretien a paru dans l'édition de 24 Heures du 29 octobre 2007