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  • Une rencontre vivifiante

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    Notes sur le Kierkegaard de Jean Wahl

    - Préface de Vincent Delecroix. Qui commence par rappeler ce que Kierkegaard, « classé » ceci ou cela, n’est pas.
    - Ni (seulement) penseur romantique ni « père de l’existentialisme », ni l'adversaire irréductible de Hegel ni le séducteur du Journal, ni le frère d’Hamlet. Tout cela et tout autre chose...
    - Qu’il y a un malentendu avec K.
    - Qui échappe à tout coup aux classements, dont l’image « bouge » toujours.
    - Pseudonymes, changements de styles et de genres, polémiques font partie pour K de sa façon de vivre la philosophie.
    - Ils correspondent à un dessein général.
    - Qui suppose une lecture inventive.
    - K lui-même affirme « que c’est un art d’être un bon lecteur », via Constantius.
    - Que l’existence peut et doit se dire. Que l’auteur est un existant qui s’adresse à un autre existant et le convie à une rencontre.
    - Jean Wahl vécut celle-ci au plein sens du terme.
    - Lorsqu’il commence à en parler dans les années 30, K. est mal connu et mal copris. Il ne fait pas très sérieux comme philosophe.
    - JW le prend comme objet philosophique à part entière. Révèle l’élément irrationnel et affectif qu’il recherche lui-même.
    - Etablit la singularité de la démarche de K., comparable à celles de Montaigne ou de Pascal.
    - Introduit lui-même la notion de rencontre et de confrontation subjective, de lecture personnelle et d’appropriation d’une vérité dont l’effort pour y parvenir est plus important que la vérité elle-même.
    - Le recueil contient la totalité des articles et conférences donnés par JW de 1930 à 1960. Dans leur état premier.
    - Une approche « en miettes », mimant par sa multiplicité et son unité intime la multiplicité et le caractère organique des écrits de K.

    c49a06542c1a31644e17de3ca3de05ac.jpg- Note sur le Journal du Séducteur (NRF, 1930)
    - JW souligne le fait que K n’eût pas aimé être abordé par cette œuvre, surtout séparé de l’ensemble D’Où bien ou bien…
    - Premier malentendu possible : assimiler K au séducteur, alors que celui-ci n’incarne que le premier stade, esthétique, des catégories du philosophe.
    - C’est sa réponse à Régine Olsen.
    - K a vu qu’il était trop profondément religieux pour être compris par elle.
    - Découvre sa peur et le fait que la peur et l’amour vont de pair.
    - Edouard le séducteur, parangon du stade esthétique, est un premier avatar de la progression du philosophe qui aspire aux stades éthique et religieux.

    - Kierkegaard et le mysticisme (Revue Hermès, 1933)
    - JW va distinguer la pensée de K d’un pur illuminisme, pour éclairer le lien chez lui du sentiment religieux et d’une théorie de la subjectivité.
    - K rétablit les « concepts chrétiens » dans leurs caractères propres, fort d’une expérience personnelle dont le Séducteur porte des traces.
    - Notamment dans les manifestations de la joie, que K dit vivre de manière effusive, car « seul peut être inconditionnellement joyeux celui qui est la joie. Alors, même dans les plus grands soucis, nous sommes la joie ».
    - Cette joie marque la relation de l’existant avec Dieu, conjointement à un malaise profond.
    - « Kierkegaard a le sentiment de la cime, de la pointe de l’âme comme les mystiques ; mais il a aussi le sentiment du fond résistant de l’âme, comme Boehme ».
    - La théorie de la subjectivité de K. aboutit à une théologie négative de la béatitude.
    - La plus haute des fins reste indéterminée, alors que le chemin lui-même fait figure d’absolu, étant le chemin du « risque absolu ».
    - JW apparente la démarche de K à certains aspects du mysticisme, sans l’y réduire pour autant.
    - La pensée de K se développe aux confins du mysticisme, avec ses instants de joie irrationnelle, ses instants de douleur suffocante, « rencontre solitaire avec le Dieu caché, avec le Dieu de la théologie négative, mais qui n’est pas si profondément caché que nous ne puissions savoir qu’il est amour ». (A suivre…)
    WAHL Jean. Kierkegaard. Hachette, 320p.

  • Les Amaryllis

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    Une nouvelle de Claire Julier


    - Vous viendrez tous, a dit Sophie. Il faut qu'on en discute, qu’on prenne une décision. Définitive. Seule, je ne peux pas, je ne peux plus. Trop de fatigue, de responsabilités. Sans compter les risques ! Le dernier dimanche de mai. Juste avant l'été. Une jolie date pour des préparatifs de départ.
    Sophie coupe quelques branches de lilas, taille les tiges en biseau, les glisse dans un vase. Le parfum sucré du bouquet couvre l'odeur du café au lait qui stagnait encore. Vite, il faut faire vite. Que tout soit prêt avant midi !
    La table est mise avec des sets en paille, des serviettes en papier. Pour une fois, ils comprendront que je n’ai pas le temps. Plus de temps pour la lessive superflue. Un plat unique commandé chez le traiteur du village – pas si mauvais que ça – qui réchauffe doucement. Tant pis pour les recettes de grand-mère qu’ils adorent. Au moins, ils auront l’estomac rempli et ne m’en voudront pas d’être obligée de manquer aux lois de l’hospitalité. L’essentiel est de se retrouver autour de la table.
    Dans l'allée, le gravier crisse, les portes des voitures claquent. Des voix se rapprochent, puis s'éloignent vers le fond du jardin. Dans son fauteuil, à l'ombre de la glycine, Marc regarde le groupe avancer. Les femmes l'embrassent ; lorsqu'elles se baissent, il sent l'odeur de leur peau de fausses blondes, un mélange de maquillage rance et d’eau de toilette agressive. C'est un peu écoeurant ; il aimerait éviter ces odeurs qui se prolongent et le fond de teint qu'elles lui collent d'office sur la joue. Avec son frère et son beau-frère, c'est plus rapide. Ils se contentent de lui tapoter l'épaule et de lancer « Bonjour Marc. Content de te voir. Tu as l'air en pleine forme. » En réponse, Marc cligne simplement des yeux.
    - Venez boire l'apéritif, lance Sophie.
    Leurs pas s'éloignent. Ils marchent vite vers la maison, soulagés de se retrouver autour d’un verre et de petits amuse-gueule.
    Le soleil a glissé légèrement, tape Marc en plein front. Des gouttes de sueur s'infiltrent au coin de ses yeux. Tant pis ! Il sait que dans quelques minutes, il passera au-dessus des peupliers et ne le dérangera plus. Il ne va pas avertir pour si peu. Il préfère les regarder de loin, voir leurs lèvres qui remuent. Leurs yeux, de temps en temps, se tournent dans sa direction ; les voix baissent comme s'il pouvait entendre.
    Sophie les fait reculer vers le coin de la terrasse. Elle doit se plaindre, pense Marc, se plaindre comme elle aime le faire, jouer les grandes sacrifiées, la sœur dévouée qui n'a que deux mains, dire que son cœur est immense, qu'elle en mourra d'être obligée d'imposer silence à son cœur, qu'elle pleurera à s'en arracher les paupières, qu'elle en perdra le sommeil et la raison, « mon frère, mon si cher frère que j’adore, mais voyez-vous, c'est vous qui répétez sans arrêt que la situation devient intenable, que je ne peux plus y faire face, que c’est une tâche inhumaine ; c’est vous qui prendrez la décision parce que, seule, vraiment, je ne peux pas. Je sais que je m’en voudrai à mort. Vous m’y aurez forcée. »
    Marc ferme les yeux. Il ne veut plus voir leurs mains qui s'agitent pour accentuer les phrases, même de loin. L'odeur sucrée de la glycine éveille en lui l'envie d'être ailleurs, dans d'autres paysages, dans des jardins en espalier qui descendraient doucement en contrebas. La terre ocre, les murets de pierre, le vert des cyprès et l'argenté des oliviers. Une larme se mêle à sa sueur, brûle le coin des paupières. La douleur le réconforte. Surtout ne pas ouvrir les yeux, garder les paupières baissées sur ces images de couleurs florentines ou d'étendues bibliques. Il n'a jamais pu choisir tellement tant de beauté lui faisait oublier Sophie, les baisers dans le vide des deux autres, les tapotements anonymes des hommes. « A chacun ses paysages » dirait Sophie. Lui, il n'en peut plus de la glycine au-dessus de lui, dont d'ici quelques semaines les grappes de fleurs tomberont une à une, s'écraseront dans un bruit flasque et humide autour de son corps. Il déteste le treillis qui borde le jardin, le gravier ratissé qui crisse à chaque pas, les parterres fleuris – un, en forme de demi-lune, l'autre circulaire pour mettre en valeur les roses de sa sœur – et les voix atténuées qui discutent sur la terrasse.

    - Marco vieni !
    Il descendait en courant les gradins de pierre, rejoignait les voix qui l'appelaient à travers les cyprès. Dans ses oreilles, il entend encore les appels à la désobéissance, les mots chantants de l'adolescence. La course en avant. Plus vite, toujours plus vite, pour les rejoindre. Et à la fin de chaque été, les promesses, les échanges d'adresse, les baisers, de plus en plus précis, de moins en moins innocents, pour se donner de la patience pendant dix mois, pour prolonger le temps du soleil et de l'insouciance.

    Marc n'entend plus rien. Là-bas, ils ont dû rentrer, se mettre à l'ombre des murs qui rétrécissent sous l'entassement des tableaux. Et Sophie, le mouchoir dans la main, chiffonné par sa transpiration, joue probablement sa grande scène, celle qu'elle préfère.
    - Vous ne pouvez pas me forcer à l’abandonner, vous ne pouvez pas m’obliger à signer. Ce sera ma mort ! C’est l’enterrer vivant !
    - Regarde - toi. Tu n'en peux plus. Si ça continue, tu vas tomber malade, faire une dépression. Tu as déjà tellement maigri, perdu de forces. Il faut prendre une décision. Aujourd'hui.
    Elle se recroqueville dans son fauteuil, essuie deux larmes qui n'arrivent pas à couler. Ses lèvres tremblent, l'empêchent de parler, de décrire le lit mouillé qu'elle doit changer chaque matin, la purée qu'elle donne à la cuiller et qui dégouline sur le menton, glisse – si elle n'est pas assez attentive – entre le col de la chemise et le cou, le corps abandonné entre ses mains, si raide, si lourd, le corps qui refuse les massages à heures fixes pour empêcher les escarres, pour que le sang continue d’irriguer chaque partie même apparemment endormie, pour lui insuffler de la vie, une vie dont il ne veut pas, et les gémissements qui la réveillent la nuit ou les hurlements incompréhensibles qui lui glacent le sang.
    Et surtout – mais cela elle ne le dira pas – les yeux de Marc qui la dévisagent, qui n'arrêtent pas de la dévisager – sans aucun battement de cils, sans fermeture de paupière – et qu'elle ne peut supporter.
    Marc entend des pas approcher, s'arrêter. « Il dort » doit-elle penser. Il sait qu’elle est derrière lui. Immobile. Elle marque une pause, laissant imaginer à ceux qui sont là-bas qu’elle redresse son oreiller, tapote sa main, dit quelques mots d’affection. Elle si prévenante, si généreuse !
    Cinq minutes ont passé. Elle s'éloigne enfin, remonte vers la maison retrouver les autres qui sont dans la salle à manger. Marc ouvre les yeux. Ils ne peuvent plus le voir. Ils ont déjà oublié dans cette pièce qui donne sur les massifs en fleur qu’il faut baisser le ton, faire comme si ce n’était pas un dimanche ordinaire avec lui qui prend l’air à l’ombre des peupliers et eux qui se retrouvent pour le plaisir dominical. « Une si belle famille, toujours unie, toujours solidaire. Les parents seraient si contents de voir que les liens se prolongent, que le cercle se reforme régulièrement malgré la tragédie. »
    En guise de bénédicité, Sophie a dû entamer le repas avec son refrain habituel et des trémolos dans la voix. « Dommage que Marc… »

    - Marco vieni.
    La voix chante à ses oreilles, efface le pavillon Ile-de-France aligné sur les autres, les haies de buis taillées au cordeau, la toile de tente à rayures. « Le soleil mange tout » dit Sophie.
    A l'intérieur, c'est pire. La surabondance d'objets étouffe, brouille les yeux. « Des meubles de famille : une histoire, une légende. Jamais, je ne m’en séparerai ! » Les couleurs passées des rideaux, les bibelots envahis de poussière et les aquarelles de chats, souvenirs de quand elle avait le temps de peindre. Sophie omniprésente, pendue à ses basques qui ressemble aux deux poupées anciennes qu’elle garde jalousement dans la vitrine Napoléon lll, « les poupées de mon enfance ! », Sophie qui n'arrête pas de parler, de lui parler à la troisième personne comme s'il n'était déjà plus du monde ou comme s'il fallait l'en rayer. « Il sera bien Marc près de la fenêtre. Comme il a bonne mine aujourd'hui ! » Et parfois, dans une pulsion de vampire, elle se penche, l'embrasse, lui murmure des chapelets de mots tendres, mots obscènes de l’affection.

    - Marco vieni !
    Lui comme un fou, il courait, il répondait à l’appel de Manuela, la voix du dernier été. Manuela devenue l'unique, Manuela et ses yeux de châtaigne, ses seins si doux dans leur premier épanouissement. Il sautait par-dessus les murets, par-dessus les interdits, pour la rejoindre et en faire des gerbes de bonheur. Une folie saine qui grossissait son sac de souvenirs où les émois d'amour rimaient avec toujours. C'était si beau de se laisser porter par des instants de lumière, par des promesses chuchotées. Les oliviers cachaient le reste du monde, laissaient croire qu’ils étaient à l’abri des regards. Rien que toi et moi. Toutes les nuits étaient des nuits de la San Lorenzo. Les pluies d'étoiles formaient des rideaux de chambre nuptiale, balayés par l'air frais.
    - Marco vieni.
    A nouveau, il a quinze ans, Manuela à son cou ; ils dansent dans la chaleur de leurs deux corps. A cœur perdu. Toute la beauté du premier amour. L’unique. Sans rien qui les relie à la terre.

    Sophie s'ennuyait. « Marc, tu m'avais promis qu'on passerait l'été ensemble, que tu m'emmènerais partout avec toi. Les aînés déjà ailleurs, en absence de jeux. Tu m’avais promis ! Des vacances qui n’en finiraient pas, rien que pour nous deux, juste avant la rentrée. » Sophie le cherchait partout lui en voulant de s’ennuyer. Sophie qui écoutait aux portes, fouinait dans ses affaires, reniflait ses habits, fouillait dans ses poches, devinait des mystères dont elle était exclue. « Marc, tu avais juré ! » Sophie qui a joué les rapporteuses, les mouchardes. Sophie qui lui a coupé les ailes, qui a fait pleuvoir les punitions. Des journées entières derrière les volets fermés. Le dos tourné à la porte, la bouche murée dans le silence. Et elle qui ne le quittait plus, cherchait à provoquer ses confidences ; elle la petite dernière, montée en graine trop vite, elle la sournoise qui ajoutait mensonges sur mensonges pour que l’interdiction de sortir ne s’arrête pas.
    - Marco vieni !
    Ses quinze ans impatients et les trouvailles qui en naissaient, ses quinze ans qui ne supportaient pas les portes fermées, la chambre où son corps se desséchait. La voix de Manuela venait le chercher. Toutes les nuits, il partait, enjambait la fenêtre, descendait le long de l'échelle ; il courait pieds nus dans l’herbe, escaladait les murets de pierre ; il allait fêter son bel été, les nouveaux jeux qu'ils découvraient. « Marc, tu m'avais promis. » Il n'entendait rien, courait dans l'urgence des amours de quinze ans.
    Et une nuit, l'échelle qui soudain se détache du mur. Le corps de Marc qui tombe, tombe à n'en plus finir, s'écrase la colonne en premier, bien à plat, dans toute sa longueur. Un corps empalé sur les piquets de vigne, les yeux grands ouverts sur les étoiles.
    Il n'y a pas eu d'enquête. « Une si belle famille. Depuis tant d'années en vacances ici. Depuis si longtemps. Des gens si bien élevés, si discrets. La malchance ! » C'était un accident, un stupide accident. Comme il en arrive des milliers par année. Une mauvaise chute. Un accident de destinée !
    Des mois d'hôpital, des mois d'opérations, le corps cisaillé, recousu. Un corps qui ne lui appartient plus et qui s'oublie de partout, sauf de la souffrance.
    Des années clouées sur un lit, puis sur une chaise, la parole morte, la motricité perdue. Des années soigné par sa mère jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus le soulever, tourner ce corps devenu si lourd et qu'elle déserte. Maintenant, légué à Sophie, la petite dernière parce que « les aînés, tu comprends, leur vie tracée, leurs obligations de cadres, leur absence de temps. ! » Des heures de soins donnés par Sophie, des heures à se faire violer dans l'intimité de son corps, avec seulement ses yeux pour parler, ses yeux qu'elle ne regarde jamais.

    - Marco vieni.
    Ces deux notes comme un soleil, un souffle d'air frais qui brûle le cœur. Les murets de pierre entre les cyprès, la lumière qui éclabousse entre les branches, le jeune corps renversé et lui qui le prend comme on s'enivre à quinze ans.

    - Vous viendrez tous, a dit Sophie. Le dernier dimanche de mai, juste avant l'été. Le temps sera splendide. Le jardin dans une orgie de couleurs et d'odeurs sucrées.
    Ils sont tous là, les aînés, pour discuter avec la petite dernière, discuter de ce qui ne les concerne pas. Marc sait que dans une heure, Sophie, après s'être fait prier, supplier presque, aura sorti la feuille déjà prête. « Qu'ils signent, mais qu'ils signent donc, » pense Marc. Il n'a que l'impatience de leur signature, leurs paraphes qui le libéreront de Sophie. Echapper à ses mains rêches et froides qui, plusieurs fois par jour, lui hérissent la peau, tordent ses nerfs ; ses mains qui se posent sur lui avec voracité et dégoût, avec détestation et jubilation. Oublier ses yeux qui ne le regardent jamais mais qu’il devine gelés avec parfois une étincelle de plaisir « Marc, tu m’avais promis. »
    Aux Amaryllis, il sera bien, Pension pour tous les accidentés de la destinée, pour tous les cas qui n'ont pas de fin. Peut-on vivre à trente ans avec un corps absent ? Un corps qui se délite, tandis que la tête rêve, que le coeur voyage dans les étoiles.
    Le soleil est devenu moins chaud. L'un après l'autre, ils descendent vers les peupliers, sourient à Marc. Lui, il cligne simplement des yeux en les voyant avancer. Son beau-frère a préparé un discours. Il le récite, mais Marc n'écoute pas. Il sait déjà ce qu'il y a derrière les mots prononcés; il sait lire les voix. En quinze ans, il est devenu expert. Il ne voit que le papier signé, la route qui mène aux Amaryllis, la route interdite. Trop loin, trop risquée, trop difficile, surtout lorsqu’on est seul. Comme une impossibilité de visites.
    Il entend les battements de son cœur et deux notes comme un chant dans sa tête, un chant qui ne s'arrêtera plus.
    - Marco vieni !

    Claire Julier, qui vit à Sanary-sur-mer, collabore deuis des années au Passe-Muraille et a publié plusieurs recueils de nouvelles. Le dernier paru, à l'enseigne d'Edinter s'intitule Entre deux.

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  • Le Routard est sympa…

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    Sa présentation de la Suisse est à recommander, avec les bémols d'usage... 
    C’est entendu : d’aucuns, après Houellebecq, trouvent le Routard un peu barjo et par trop bobo, avec tous les défauts de notre génération de babas cools, et pourtant j’en défendrai pour ma part les qualités, allez, parce que comme notre génération il est curieux, il est généreux, et à le pratiquer comme je l’ai fait pendant un mois en Suisse que, tout de même, je crois un peu connaître déjà, je lui tire mon chapeau, au Routard, je lui tire ma révérence dans les grandes largeurs, pour la très large palette et la précision, la richesse, la justesse, l’originalité souvent de ses informations.
    J’écris cette note dans un hôtel tout de bois vêtu de la petite ville d’Appenzell, sur le conseil précis du Routard. Ce midi, je suis allé déguster des röstis aux fraises àl'auberge zur Sonne, à Winterthour, sur les mêmes indications du Routard, et j’ai découvert ensuite, à Saint-Gall, divers lieux que j’ignorais, bien repérés et bien décrits par le même Routard. C’est le Routard qui ma mis sur la piste du backpacker de Sent en Basse-Engadine, véritable découverte que je lui dois, et j’ai noté maintes curiosités naturelles ou culturelles qu’il signale, comme la cave à jazz jouxtant le Violon de Bâle, superbe vieil hôtel aménagé dans un ancien couvent d’abord reconverti en prison...
    Pour Appenzell, je mettrai tout de même un bémol à la description du Routard, qui en fait une espèce de village-exposition à nains de jardins et kitsch pour touristes, parangon de LA Suisse profonde, plus cliché tu meurs. Or ce n’est pas que ça. Car le cliché ne va pas sans clins d’yeux, dans un pays qui a plus d’humour que beaucoup ne le croient. L’incroyable paysage de hauts plateaux montueux, d’un vert irlandais mais à vrai dire incomparable, est à la fois le summum de la carte postale et un lieu où vivent des gens qui, contrairement à ce que dit le Routard, ne font pas que poser pour les visiteurs de passage. Les incroyables maisons peintes ne sont pas que du folklore ripoliné pour la galerie mais la survivance d'une culture paysanne que documente l'incroyable musée. Bien entendu, le mauvais goût est ici pareil à celui qui ravage les sites de Provence ou de Toscane, mais le pays n’en vit pas moins, avec le désarroi de ses paysans et le spleen de ses ados à jeans pendouillant comme partout, quitte à se ressembler pour la photo...

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  • Le parapluie vert

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    Des intersections mystérieuses et de la grâce d’une lecture de Sylviane Chatelain
    Il se passe parfois des choses étranges, dans nos vies, qui nous échappent ou qui nous rattrapent au contraire, qui nous font peut-être signe, qui voudraient nous révéler quelque chose ou qui nous révèlent nous-mêmes, savons-nous ?
    En tout cas hier, sur le quai de cette gare, un peu égaré d’avoir appris la mort d’une amie, chère quoique plus revue depuis des années, me demandant si j’allais repartir au sud ou au nord, à telle ou telle extrémité du pays, comme une impulsion soudaine me fit me ressouvenir que ce soir-là, précisément, une soirée de lecture se donnait à Rolle, au bord du Léman, chez une autre de ces personnes lumineuses qui rayonnent et chaque dernier mardi du mois, depuis des années, convie un écrivain à lire de ses pages, et ce soir-là ce serait la romancière Sylviane Chatelain.
    Les mardis de Rosmarie Burri, à Rolle, n’ayant rien de la pose ou de l’affectation que j’exècre, typique d’un certain milieu littéraire, et cette soirée étant la dernière qu’elle donnerait avant de passer la main, je m’en fus donc avec mes bagages, direction Genève et jusqu’à Nyon, le direct ne faisant pas la halte de Rolle, à Nyon où je planquai mon barda dans un casier de fer avant de prendre l’omnibus de Rolle et là que vis-je soudain : je vis le parapluie vert, le vert parapluie je vis qui m'attendait.
    Le vert est la couleur de mon encre et donc de mon sang, et tout de suite je compris, alors que la pluie menaçait, que ce parapluie vert m’était destiné et qu’il allait me porter chance. Donc je m’en emparai. Or dès ce moment, certaine magie poétique qui m’avait conduit depuis un mois aux quatre coins du pays se densifia plus encore, pour atteindre toute sa plénitude durant la lecture d’Une main sur votre épaule, le dernier livre de Sylviane Chatelain.
    Je sais que d’estimables personnes considèrent Sylviane Chatelain comme un auteur romand de première importance, mais je l’avoue, j’en ai un peu honte : jamais je n’avais vraiment entendu ses mots jusque-là, jamais comme ça. Or hier soir, et la voix, la présence, la justesse de chaque mot habité physiquement par l’auteur y étant pour beaucoup, ce flux se déployant comme en vagues rappelant la prose de Virginia Woolf, avec un pouvoir suggestif relevant de la vraie fiction et du véritable exorcisme psychique, tels qu’on les trouve chez Henry James, je fus sous le charme et bien plus: convaincu d'entendre soudain de la belle, de la grande littérature. Autant dire que je me suis promis de revenir à cette suite de variations sur quelques thèmes, où il est question d’une maison et des personnages qui s’y succèdent, d’une maison-refuge qui est la fois une maison-menace, et de peinture et d’angoisse, de musique et d’angoisse, d’amour et d’angoisse.
    Enfin très tard hier soir, ayant quitté mes amis plein de reconnaissance et regagné mes pénates en renonçant pour la nuit aux quatre vents du pays, j’eus encore à recevoir, du parapluie vert, cette dernière indication: tu vas lire ce livre, m’ordonnait-on, et je le pris au hasard sur le rayon et je le vis : c’était le Kierkegaard de Jean Wahl dont j’ignorais que je le possédasse (du verbe possédasser), et dans lequel aussitôt je me plongeai pour y retrouver l’angoisse à l'état pur, l'angoisse comme une maison d'os et d'âme, l'angoisse et la joie, l'angoisse et l'amour...
    Sylviane Chatelain. Une main sur votre épaule. Campiche éditeur, 2006.

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  • Retour à nos sources

    6d5d597aed07633ac9ef0c3bd5a8467b.jpgLecture de Comment je suis redevenu chrétien de Jean-Claude Guillebaud 

    OUVERTURE

    - On lui demande souvent s’il est chrétien ou non.
    - Et jusque-là il ne savait trop quoi répondre.
    - La question gêne d’ailleurs.
    - Etre chrétien, aujourd’hui, n’est en effet pas très bien vu, en tout cas en France. Cela fait ringard.
    - On peut dire qu’on est homosexuel ou échangiste sans problème.
    - Se dire chrétien, surtout dans le milieu intello, ça craint.
    - Longtemps il a campé dans le flou.
    - Il a refusé de « lâcher prise ».
    - Mais une colère l’a fait réagir : l’intolérance envers les chrétiens, justement.
    - Au temps des persécutions, dans les décennies précédant la conversion de Constantin, il était de bon ton de se dire chrétien.
    - Michel Henry et Frédéric Boyer, qui se sont dits chrétiens, ont été snobés par la critique après en avoir été respectés.
    - La charge antichrétienne fait l’impasse sur le trésor du judéo-christianisme.
    - La phrase de Tertullien, credibile est quia ineptum, citée à tout-va, n’est pas un argument anti-rationaliste mais une définition de la croyance.
    - Par ailleurs, on ne dit plus rien des combats juridiques de l’Eglise pour adoucir la violence médiévale.
    - Rien de l’œuvre éducative et hospitalière de l’Eglise.
    - Les chrétiens n’osent plus se montrer.
    - « Je ne suis pas sûr d’avoir intimement la foi, mais je crois profondément que le message évangélique garde une valeur fondatrice pour les hommes de ce temps. Y compris pour ceux qui ne croient pas en Dieu. Ce qui m’attire vers lui, ce n’est pas une émotivité vague, c’est la conscience d’une fondamentale pertinence ».
    - Il récuse alors la rétractation de cette conviction dans l’enclos de l’intimité. Récuse à la fois le silence précautionneux et la crispation dogmatique.
    - Veut dire comment il a vécu tout ça.
    - Rappelle qu’il a été journaliste pendant vingt ans, sur tous les fronts, du Vietnam à la guerre du Kippour en passant par la guerre du Liban.
    - Il a couvert les drames de la planète.
    - En témoin. Assistant aux catastrophes du monde par « zapping tragique ».
    - A éprouvé la honte de voir des gens condamnés à mort alors qu’il se sauvait.
    - A souffert de s’endurcir. Mais a appris à percevoir les mutations du monde.
    - La question du Mal lui est apparue de plus en plus clairement. Accentuée avec les génocides du Rwanda et d’ex-Yougoslavie.
    - Vers le milieu des années 70, il a senti venir des transformations profondes de notre monde. Avec l’intégrisme des ayatollahs iraniens. Avec la sauvagerie du passage à l’acte au Liban, puis dans les Balkans.
    - A constaté les grandes bifurcations anthropologiques liées à la chute du communisme et aux révolutions informatique et biologique.
    - Conscient de se limiter à une observation « horizontale », il a éprouvé le besoin de prendre du champ et de réfléchir.
    - Et c’est pourquoi il s’est retiré du journalisme.
    - Evoque les temps apocalyptiques annoncés par Karl Jaspers.
    - Des temps non pas de fin du monde catastrophique mais de « révélation », de « surgissement ».
    - A écrit six livres pour mieux comprendre. Ce qu’il appelle des « reportages d’idées » : La Trahison des Lumières, La Tyrannie du plaisir, La Refondation du monde, Le Principe d’humanité, Le Goût de l’avenir et La Force de conviction.
    - Il a voulu comprendre les 3 révolutions en cours : économique, numérique et génétique.
    - Convaincu que nous devons penser cette époque.
    - Une époque de « grande inquiétude ».
    - Après avoir quitté Le Monde, il est devenu directeur littéraire au Seuil où il a collaboré avec de grands intellectuels de ce temps en France : Henri Atlan, Louis Dumont, Jean-Pierre Dupuy, Cornelius Castoriadis, René Girard, Michel Serres, Edgar Morin, notamment.
    - A tenté de lutter contre la parcellisation du savoir.
    - Cite l’Enquête sur les idées contemporaines menée par Jean-Marie Domenach dès 1981 pour L’Expansion.
    - Lui-même est redevenu étudiant, très marqué aussi par Jacques Ellul.
    - A l’époque, le christianisme l’indifférait plutôt, et notamment les débats sur l’existence de Dieu.
    - Est d’abord revenu au christianisme pour des raisons anthropologiques.
    - Rappelle sa trajectoire de petit catho de province venu à mai 68 chroniquer la révolution.
    - Marqué par les interprétations de Maurice Clavel et Michel de Certeau.
    - De plus en plus intéressé par le « trésor » du judéo-christianisme.

    - PREMIER CERCLE : LES SOURCES DE LA MODERNITE
    - Parle de trois cercles concentriques.
    - Achoppe aux sources de la modernité
    - Se rappelle une remarque de René Girard : « C’est ce qui reste de chrétien en elles qui empêche les sociétés modernes d’exploser ».
    - Estime que le message chrétien a été largement intégré, mais qu’il est coupé de ses sources.
    - La plupart de nos valeurs sont issues de la Bible, c’est un fait.
    - Mais en France, ce constat est occulté depuis les Lumières.
    - L’attachement de la gauche aux anti-chrétiens historiques (de Voltaire à Nietzsche) est plus accusé qu’ailleurs.
    - La France occulte sa double filiation avec la Bible et les Lumières.
    - Mais il est vrai que l’Eglise ya aidé.
    - Notamment avec l’encyclique Quanta cura de Pie IX contre les idées modernes.
    - Hors de France, on a accepté ce continuum sans rupture.
    - Cite Benedetto Croce : « Nous ne pouvons pas ne pas nous dire chrétiens », qui date de 1942.
    - Croce souligne la révolution morale et spirituelle représentée par le christianisme. (Cf. Commentaire No 1001, printemps 2003).
    - Croce évoque par ailleurs les « chrétiens du dehors ».
    c5502c574b8036f2d05c2010f13fed21.jpg- En travaillant à La Refondation du monde, Guillebaud a mis au jour six valeurs héritées du judéo-christianisme , à commencer par l’individualisme, en tant qu’autonomie de la personne.
    - Rappelle les textes de Louis Dumont sur les origines chrétiennes de l’individualisme. Cite aussi Les sources du moi (Seuil, 1998) du philosophe canadien Charles Taylor.
    - Montre comment l’individualisme d’inspiration chrétienne se distingue des conceptions bouddhiste ou confucéenne, autant que du « sujet » en tradition islamique, ainsi que l’illustre Le sujet en islam de Malek Chebel.
    - Montre aussi comment l’Eglise instituée a combattu la liberté individuelle propre au christianisme…
    - Mais cite également l’effort de l’Eglise, contre la royauté, à favoriser le mariage par consentement mutuel, contre les mariages arrangés (cf. Duby et le Goff).
    - Distingue enfin l’individualisme narcissique voire autiste de notre temps du concept de personne-en-relation.
    - Deuxième valeur issue du christianisme : l’aspiration égalitaire. Une idée qui n’existait pas vraiment dans la pensée grecque.
    - Les Grecs ne pensaient pas que les hommes appartenaient tous à la même « essence ».
    - Aristote : « Les barbares n’ont de l’homme que les pieds ».
    - Influence décisive de l’épître aux Galates de Paul.
    - Rappelle ensuite la fameuse controverses de Valladolid, sur l’humanité ou la non-humanité des Indiens, opposant deux chrétiens : Juan Ginès de Sepulveda, historiographe de Charles Quint, et Bartolomé de Las Casas.
    - Un débat fondateur préludant aux futures controverses entre colonialistes et anti-colonialistes.
    - Rappelle que Las Casas excluait les Noirs de son plaidoyer, ce dont il se repentit ultérieurement.
    - La controverse illustre l’opposition d’un christianisme subversif et de son « adaptation » par l’Eglise.
    - Cite ensuite les concepts d’universalité, d’espérance (contraire à la circularité du temps selon les Grecs et à l’amor fati de Nietzsche).
    - Rappelle la téléologie du prophétisme juif, illustrée dans le Pentateuque par la formule : « Souviens-toi du futur ».
    - Cite le concept de progrès lié à l’espérance, à quoi s’oppose l’hégémonie du présent « consommé » par nos sociétés hédonistes.
    - Prône le retour au « goût de l’avenir » célébré par Max Weber.
    - Cite enfin notre rapport à la science, en s’opposant à l’idée reçue selon laquelle le religieux s’oppose forcément à la science, comme le font croire les exemples de Giordano Bruno ou de Galilée.
    - Rappelle le rôle fondamental des ordres religieux, et notamment des jésuites, dans les avancées du savoir ; et que les plus grands astronomes ont souvent été des religieux, et que ceux-ci ont donné des fournées de savants dans tous les domaines.
    - Rappelle que le monothéisme a aussi favorisé l’émergence de la science expérimentale. Cite le concept intéressant d’ « étincelle théologique », qui ouvre littéralement l’exploration de la terre jusque-là sacralisée par le polythéisme.
    - Tel est le repérage de ce que Guillebaud appelle le « premier cercle », consistant à reconnaître les « traces » de nos divers héritages greco-latins et judéo-chrétiens.
    - Relève alors que ce premier cercle n’est qu’une approche périphérique.
    - « Le christianisme, c’est autre chose qu’une simple collection de valeurs humanistes. Avoir la foi, ce n’est pas adhérer simplement à un catalogue de principes normatifs, qui serait comparable au programme d’un parti politique. Oublier cela, ce serait confondre la « religiosité » avec la croyance.

       DEUXIEME CERCLE : LA SUBVERSION EVANGELIQUE
    - Un cercle plus proche du feu central.
    - Important du point de vue anthropologique.
    - Rappelle qu’il a été l’élève de Jacques Ellul avant de devenir son éditeur.
    - De La subversion du christianisme, livre majeur selon lui.
    - Un essai proche de la téologie de la libération catholique.
    - Egalement influenc par le phénoménologue Michel Henry.
    - Dans C’est moi la Vérité, L’Incarnation et Paroles du Christ.
    - Rappelle une autre dette envers Maurice Bellet et Le Dieu pervers.
    - Qui décriait le Dieu jaloux aux chantages affectifs intolérables.
    - Egalement très redevable à René Girard.
    - Décrié par les intellectuels comme l’a été un Camus.
    - Pense que l’œuvre de Girard est une bombe à retardement qu’n n’a pas encore comprise.
    - Ces auteurs lui ont appris à voir comment le Christ avaiut fendu l’histoire en deux.
    - Ne pense pas qu’il y a filiation avec le Talmud et le code babylonien, contrairement à Régis Debray.
    - Pas une religion « de plus ».
    - Pense que le christianisme marque une rupture définitive.
    - En inversant le sens du sacrifice, il devient une « religion de la sortie du religieux ».
    - Dénonce la persécution sacrificielle et proclame l’innocence des victimes.
    - Paul dénonçait déjà le « trop » de religion devant les philosophes grecs.
    - La folie de la Croix balaise tout autre religion.
    - Le message évangélique inverse les perspectives.
    - Les Grecs pratiquent le sacrifice sous le signe de l’unanimité persécutrice.
    - Le mimétisme y est essentiel, qui survit aujourd’hui dans nombre de phénomènes médiatiques, équivalents de la lapidation.
    - La résurrection ruine le sens du sacrifice.
    - La résurrection est une objection qui enraie le mécanisme de tout sacrifice.
    - C’est pourquoi le consentement à la résurrection est le cœur de la foi chrétienne.
    - Chrétiens ou non, nous avons désormais intégré le message qui nous fait déceler le mensonge sacrificiel, la ruse de la persécution.
    - Notre souci des victimes n’a pas d’autre origine.
    - Le point de vue de la victime est devenu référentiel à cause du judéo-christianisme.
    - La surenchère victimaire en découle, ruse fréquente aujourd’hui.
    - Mais l’interprétation progresse lentement.
    - Jean XXIII : « Nos textes ne sont pas des dépôts sacrés mais une fontaine de village ».
    - Relève l’intérêt des contradictions entre les quatre évangiles.
    - Les chrétiens sont les héritiers d’un récit.
    - La parole « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font » lui paraît d’une « intelligence anthropologique stupéfiante ».
    - De fait, les persécuteurs son en pleine méconnaissance de leurs actes.
    - Nietzsche avait vu cette fondamentale nouveauté, pour la combattre.
    - Souligne l’intérêt d’une lecture attentive de Nietzsche.
    - Dont l’imprécation rend hommage à la subversion du christianisme.
    - L’entrée dans ce deuxième cercle a poussé Guillebaud vers la gauche. « Je me suis senti plus chrétien que catholique ».
    - Se sent peu attiré par le Dieu tout-puissant et punitif .
    - Pour le Romain, la vénération d’un crucifié est une obscénité.
    - Cette élection d’un vaincu a été stigmatisée maintes fois.
    - Lui-même est de plus en plus attiré par la métaphore de la Croix et par la kénose : la relative faiblesse de Dieu qui laisse l’homme aux prises avec sa propre liberté.
    - Revient aux idées de tsimtsoum et de kénose.
    - Rappelle la colère de Bernanos dans Les Grands Cimetières sous la lune.
    - Mauriac fustigeant les défenseurs du franquisme.
    - Intègre une vision assez protestante du christianisme.
    - Pas fasciné par la « réussite » de l’Eglise, comme l’est Régis Debray.
    - Pense que cette vision reconduit au maurassisme « athée mais catholique ».
    - Guillebaud lui-même se sent aux antipodes du catholicisme conservateur.
    - Estime que beaucoup d’antichrétiens, visant cette cible, sont injuste avec le christianisme fonamental.
    - Signale les résurgences de cette pensée chez un Julius Evola ou un Carl Schmitt.
    - Son christianisme le pousse au contraire vers la théologie de la libération et les nouveaux mouvements.
    - Devient chroniqueur à La Vie pour cette raison.
    - En réaction contre le cynisme du néo-libéralisme.
    - Dénonce la gauche française qui a perdu tout contact avec les humiliés et les offensés.
    - Assiste à la banalisation de l’injustice sociale.
    - Dénonce la dérive consumériste et hédoniste.
    - Constate que les chrétiens ont fait les frais de ce cynisme.
    - Se dit motivé par la colère et non le romantisme compassionnel.
    - Ne se sent cependant ni libéral ni libertaire.
    - Dans un premier temps, participe à la critique de l’institution catholique.
    - Décrie le césaro-papisme.
    - Puis il a évolué.
    - En fréquentant les croyants. Découvre des communautés vivantes et ferventes.
    - Découvre des religieux humbles et héroïques.
    - Une Eglise très affaiblie. Mais dont la faiblesse même est peut-être riche d’un possible rajeunissement.
    - La minorité n’est pas forcément catastrophique selon lui.
    - Rappelle le rôle des premiers chrétiens face à l’abjection du pouvoir romain.
    - Les chrétiens pourraient retrouver une fonction protestataire.
    - Y compris contre le délire transgressif.
    - Evoque la dimension de joie de cette réaction, au sens où l’entendait Bernanos.
    - La colère joyeuse que prônait Emmanuel Mounier.
    - Souligne l’importance du lien communautaire.
    - Affirme que la croyance passe par la relation.
    - A cet égard, dit son souhait que l’Eglise redevienne un foyer vivant.
    - Toute l’histoire chrétienne a été marquée par l’opposition, difficile mais féconde, entre la pesanteur de l’institution et la fulgurance du message.
    - Rappelle les composantes humaines du Journal d’un curé de campagne.
    - Rappelle que l’histoire du christianisme est fondée sur les trois figures de la puissance, de la protestation et de la sainteté.
    - Rappelle que des gestes « saints » n’ont cessé de vivifier l’Eglise. Cite Maurice Zundel le mystique suisse, Christian Chergé le trappiste de Tibhérine assassiné, et de l’abbé Jean Flory défiant les Allemands à Noël 1942 en rappelant l’origine juive des figures de la crèche, auxquelles il colla des étoiles jaunes devant les officiers boches…

    TROISIEME CERCLE : LA FOI COMME DECISION

    - Reste le problème de la foi.
    - Dont le troisième cercle est le lieu central.
    - Claude Dagens, évêque d’Angoulême, l’a surnommé « prophète de l’extérieur », non sans ironie.
    - Se demande alors « où il en est »…
    - Il dit hésiter, marmonner, tricher.
    - Retourne un peu à la messe. Dont la phraséologie le fait regimber.
    - S’intéresse à de nouvelles approches des textes, au phénomène de l’ennui.
    - Lit et rencontre Timothy Radcliffe.
    14baf266cee3130f4096e87f44ca3174.jpg- En travaillant à La Force de conviction, découvre chez Leibovitz, philosophe israélien, que c’est le caractère volontaire de la croyance qui le distingue de la connaissance.
    - « On croit aussi parce qu’on l’a choisi ».
    - Affirme que la croyance n’est pas conclusive mais inaugurale, semblable en cela à l’amour.
    - Analyse, par contraste, les phénomènes de la décroyance, et leur impact psychologique dévastateur.
    - Souligne aussi bien la dimension affective de l’assentiment à la foi.
    - Se demande enfin si cette foi n’a pas toujours persisté en lui.
    - Se dit incapable de répondre.
    - Cite Kierkegaard : « Il arrive que la foi voyage incognito ».
    - Et se souhaite de rester joyeux…
    - Tout cela très intéressant, impressionnant de sincérité et de netteté, largement ouvert à la discussion et à l’expérience personnelle de chacun.
    - Me sens très proche de cette pensée en constante relation, jamais dogmatique ni crispée. JCB représente le type à mes yeux de l’homme de bonne volonté. Me ravit qu'il cite Kierkegaard en fin de course, mon pote de ces jours...

    GUILLEBAUD Jean-Claude. Comment je suis redevenu chrétien. Albin Michel, 182p.