Lecture d'Achever Clausewitz de René Girard (4)
Une religion guerrière
- De la loi de « double frénésie ».
- Relance du combat pressenti par Pascal, entre la violence et la vérité.
- Clausewitz comme antidote au progressisme : pour lever les illusions.
- « Achever ce qu’il n’a fait qu’entrevoir, c’est retrouver ce qu’il y a de plus profond dans le christianisme.
- Revient à Péguy et à sa façon de dépasser la notion de duel comme « lutte à mort ».
- « Clausewitz ferme tout de suite la porte qu’il a ouverte ».
- Trop mimétique et patriote pour tirer conséquence de ce qu’il pressent.
- Ne parvient pas au dépassement de la haine pour Napoléon.
- C’est même cette haine qui le fait théoriser, selon RG.
- Cite les exemples de Dostoïevski et de Proust qui vivent eux aussi la montée aux extrêmes mais la dépassent en l’exprimant.
- RG pense qu’il faut repenser le mimétisme de l’intérieur de celui-ci.
- Taxe la pensée de Raymond Aron sur Clausewitz d’ « irréalisme total ».
- Aron voudrait rester dans le seul politique, alors que cela se passe dans le religieux.
- BC passe à la question essentielle de l’héroïsme.
- Le ressentiment de Clausewitz contre la France va le faire s’inventer un modèle avec Frédéric II, piètre figure à cet égard.
- Joseph de Maistre, à la même époque, écrit que « toute guerre est divine », pressentant le caractère surnaturel de la montée aux extrêmes.
- Clausewitz, au principe mimétique, ne trouve qu’un frein temporaire.
- Clausewitz est plus du côté de Napoléon, malgré sa haine, que du côté de Frédéric II.
- RB souligne la modernité et la lucidité réaliste des pages de Clausewitz sur la réalité physique de la guerre, tout en pointant sa fascination pour la « mystique guerrière » de Napoléon.
- Pointe la « psychologie souterraine » de Clausewitz.
- Son ressentiment, plus fort que toutes les rationalisations, donne à son œuvre son tour tragique.
- Rappelle les relations entre Voltaire et Frédéric II, et l’humiliation de celui-ci par celui-là.
- L’humiliation de Versailles, en 1918, relancera le ressentiment mortel de l’Allemagne.
- Evoque Péguy, qui joue Polyeucte contre De la guerre.
- L’ « étonnante trinité de Clausewitz » établit la maîtrise du peuple par le commandant et la maîtrise du commandant par le gouvernement. Et, selon RG, démultiplie la violence plus qu’elle ne la contient.
- La violence, devenue automne, fait craquer la belle ordonnance du système glorifiant le « génie guerrier ».
- Cite le général de Gaulle comme incarnant la dernière geste d’une culture militaire avant la déroute en Indochine et l’impasse algérienne.
- « Il semble que toute culture militaire soit morte en Occident », dit RG après le constat des nouvelles formes de guerre, asymétrique ou « chirurgicales »
Le génie guerrier et le surhomme
- De la bataille , où la violence produit encore du sens à la nouvelle forme de violence de la guerre, stérile.
- Que la « bataille décisive » selon Clausewitz repose encore sur le duel, le corps à corps pour ainsi dire.
- Liddel Hart, un siècle plus tard, au temps des « escalades », conclut qu’il ne faut pas de combat.
- RG devant la nouvelle réalité : « Il n’y a rien à attendre de la violence ».
- Clausewitz identifie vérité et violence. Anti-Pascal à cet égard.
- Les thèses de Clausewitz absolutisent les intuitions de RG sur le mimétisme.
- Pour Clausewitz, « la guerre est le seul domaine où le métier et la mystique soient totalement unifiés, ceci dans les moments les plus intenses ». (p.172)
- L’homme ne deviendrait homme que dans la guerre.
- Une tentative de régénération «surhumaine» pour éviter de retomber dans les « sphères inférieures de la nature animale ».
- Cite alors l’aphorisme 125 du Gai Savoir de Nietzsche : « Ne faut-il pas devenir dieux nous-mêmes », etc.
- Nietzsche prend le relais de Clausewitz, tout en décelant le mécanisme du meurtre fondateur.
- RG estime que Nietzsche « va trop loin dans la révélation. Il détruit son propre fondement »
- « C’est tout le drame de Nietzsche que d’avoir vu et de ne pas avoir voulu comprendre cette sape opérée par le biblique ».
- En pariant sur Dionysos, Nietzsche redonne un sens à la violence.
- « Il y a là un drame terrible, un désir d’Absolu dont Nietzsche ne sortira pas ».
- Clausewitz est « protégé » par la réalité et l’exutoire de l’armée.
- Nietzsche n’a devant lui que « l’abîme d’une volonté de puissance ».
- RG estime toute valorisation de l’héroïsme surannée ou dangereuse.
Cet ennemi qui me fait face
- BC en revient à Totalité et Infini d’Emmanuel Levinas.
- Se demande après Levinas s’il n’est pas vrai que « seule l’expérience de la guerre peut nous permettre de penser la réconciliation ? »
- Levinas ne croit pas à une régénération par la guerre.
- Envisage une relation à l’Autre qui serait purifiée de toute réciprocité.
- « Levinas s’en prend à l’Etat et au totalitarisme. L’hégélianisme est visé frontalement, c’est clair ».
- BC relève que la relation éthique rendrait possible cette sortie de la totalité.
- RG précise alors sa position par rapport à Levinas (p.179)
- BC montre à RG que Levinas est au cœur de leur discussion, en pensant la transformation de l’héroïsme en sainteté.
- RG revient à l’exemple du Christ
- « Levinas est peut-être au coeur de cette mystérieuse similitude entre la violence et la réconciliation. Mais à condition de bien souligner que l’amour fait violence à la totalité, fait voler en éclats les Puissances et les principautés ».
- Reviennent à Péguy pour penser la dialectique de l’indifférencié et du différent, l’autre en tant qu’autre.
- BC : « C’est parce que les combattants ne veulent pas voir leur ressemblance croissante qu’ils provoquent une montée aux extrêmes ». Reconnaître l’autre ouvrirait à la réconciliation.
- RG trouve BC trop optimiste. Craint le caractère irréversible de la montée aux extrêmes, la réalité du mimétisme.
- BC relève le paradoxe de la tradition biblique et évangélique, qui propose à l’homme de se diviniser en renonçant à la violence, ce que Nietzsche considère comme la pire des choses qui pouvait arriver à l’humanité.
- « Le christianisme nous invite à imiter un Dieu parfaitement bon (…) Il n’y a aucune aucune autre solution au mimétisme qu’un bon modèle. Mais jamais les Grecs ne nous ont invité à imiter les dieux ? Ils disent toujours qu’il faut mettre Dionysos à distance, ne jamais s’en approcher. Seul le Christ est « approchable », de ce point de vue. Les Grecs n’ont pas de modèle imitable de la transcendance, c’est leur problème, c’est le problème de l’archaïque. La violence absolue n’est bonne pour eux que dans le souvenir cathartique, la reprise sacrificielle. Mais dans un monde où le meurtre fondateur a disparu, nous n’avons pas d’autre choix que d’imiter le Chrust, de l’imiter à la lettre, de faire tout ce qu’il dit de faire. La Passion révèle à la fois le mimétisme et la seule manière d’y remédier. Chercher à imiter Dionysos, à devenir un « Dionysos philosophe », comme l’a tenté Nietzsche, c’est adopter une attitude chrétienne pour faire l’exact contraire de ce qu’invite à faire le christianisme » (p.185).
- Passe au terrorisme contemporain comme nouveau modèle de guerre asymétrique.
- BC : observe que RG substitue au projet héroïque un projet de maîtrise.
- Là encore, RG rejoindrait Soljenitsyne dans son appel à l’auto-limitation.
Le tournant apocalyptique
- RG en revient à la structure de décomposition figurée par Satan.
- «La violence ne fonde plus rien, elle n’est plus qu’un ressentiment qui s’irrite de plus en plus, c’est-à-dire mimétiquement, devant la révélation de sa propre vérité.
- Que le Christ « irrite les rivalités mimétiques ».
- Que nous ne voulons pas les voir quand il nous les montre.
- Que chaque nation pense que c’est bon pour l’autre mais pas pour elle.
- Que le christianisme historique a échoué pour cela même.
- Affirme que les textes apocalyptiques « vont maintenant nous parler plus qu’ils n’ont jamais fait ».
- Le volontarisme de Clausewitz prépare le pangermanisme, le sacré dévoyé et la destruction du monde.
- Sa notion du « dieu de la guerre » est significative.
- Le chaos dionysiaque a encore un aspect « fondateur » selon RG, tandis que celui qui se prépare est absolument destructeur .
- Décrie l’héroïsme dévoyé où «la canaille s’est introduite depuis toujours, d’une certaine manière, et en particulier depuis Napoléon ».
- « Si les hommes se battent de plus en plus, c’est qu’une vérité s’approche contre laquelle réagit leur violence. Le Christ est cet Autre qui vient et qui, dans sa vulnérabilité même, provoque un affolement du système ». (p.191)
- La vulnérabilité du Christ : à l’opposé de la figure du dieu de la guerre…
- Que les hommes sont désormais capable de détruire l’univers.
- Mais que cela ne concerne que le monde abandonné à la violence mimétique.
- BC cherche à tempérer, à nuance la vision par trop « globale » de RG, invoquant « notre résistance toujours possible au cœur des choses ».
- RG invoque son côté « romantique refoulé ».
- Et s’excuse par son besoin d’une eschatologie.
- Evoque les diverses « atmosphères du christianisme », notamment au XVIIe où l’eschatologie est peu présente.
- RG estime « qu’il est urgent de prendre en compte la tradition prophétique, son implacable logique, qui échappe à notre rationalisme étriqué. »
- « C’est la fin de l’Europe qu’annonce Clausewitz. Nous le voyons annoncer Hitler, Staline et le suite de tout cela, qui n’est plus rien, qui est la non-pensée américaine dans l’Occident. Nous sommes aujourd’hui vraiment devant le néant. Sur le plan politique, sur le plan littéraire, sur tous les plans ». (p.195).
- Evoquent encore la question cruciale du droit, à propos d’un texte de Marc Bloch.
- RG se demande si l’on est encore dans un monde où la force peut céder au droit.
- Le droit cède de toutes parts.
- RG rappelle comment le droit surgit. Dans les tribus archaïques. Dans le Lévitique, etc.
- « La violence a produit du droit qui est toujours, comme le sacrifice, une moindre violence. Qui est peut-être la seule chose dont la société humaine soit capable. Jusqu’au jour où cette digue cède à son tour ».
- Et l’on va passer, du pessimisme radical (s’agissant du monde) de René Girard, à la tristesse de Hölderlin. Joyeux compères !
René Girard, Achever Clausewitz. Entretiens avec Benoît Chantre. CarnetsNord, 363p.