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Sonate pour un homme seul

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 La vie des autres de Florian Henckel von Donnersmarck

Il y avait beaucoup d’émotion l’été avant-dernier sur la Piazza Grande du Festival de Locarno, lorsque La vie des autres a été projetée pour la première fois devant cinq ou six mille spectateurs, et depuis lors, ce premier film d’un jeune Allemand né à Cologne mais de parents originaires d’Allemagne de l’Est, n’a cessé de passionner et d’émouvoir tous les publics, jusqu’aux States où il a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger. 

medium_Viedesautres3.jpgC’est une histoire à pleurer que celle de cet écrivain passant pour l'enfant chéri du régime, lié à une actrice non moins adulée, qui subissent d’un jour à l’autre (notamment parce que le ministre de l’intérieur a des visées sur la jeune femme) la surveillance la plus étroite de la Stasi, par le truchement d’un officier pur et dur de celle-ci, Wiesler de son nom. Usant des procédés techniques les plus au point, celui-ci se greffe pour ainsi dire sur la vie du couple. Parce qu’il défend un metteur en scène proscrit, et qui se suicidera en cours de route, l’auteur dramatique Georg Dreymann est soupçonné de duplicité, mais l’observation quotidienne à laquelle se livre Wiesler depuis le galetas de la maison, avec écrans et micros lui transmettant les moindres faits et gestes des amants, va l’amener à un revirement progressif alors qu’il voit les hauts responsables du Parti, auquel il obéit comme un véritable croisé de la Bonne Cause, se comporter comme des opportunistes de bas étage et des profiteurs carriéristes, de vrais porcs en ce qui concerne les ministres de l’intérieur et de la culture.

medium_Viedesautres.jpgLa vie des autres est un film admirablement construit, dans une sorte de hiératisme crépusculaire où la menace de ne cesse de flotter, dont tous les interprètes sont impressionnants de vérité, à commencer par Ulrich Mühe dans le rôle de Wiesler et Sebastian Koch dans celui de l’écrivain. Si le rôle de la Stasi est bien illustré (qui mobilisa jusqu’à 91.000 agents et 180.000 informateurs pour une population de 17 millions d’habitants, soit le plus fort taux d’encadrement du bloc de l’Est), le réalisateur ne se contente pas de « dénoncer » vertueusement pour la satisfaction de notre bonne conscience, mais expose bel et bien  le dilemme tragique que beaucoup de socialistes sincères, entre autres artistes plus ou moins naïfs,  ont vécu, les uns cédant par fragilité (ainsi de l’actrice qui finit par trahir son amant après avoir été humiliée et abusée par l’abject ministre de l’intérieur) et les autres fuyant à l’Ouest ou se suicidant comme le metteur en scène ami de Dreymann, après la mort duquel celui-ci prendra sur lui de publier, à l’Ouest, un article éloquent sur le taux de suicide en RDA au mitan des années 80.

Du film se dégage, finalement, le portrait d’un juste, auquel Georg Dreyman consacrera un roman après la chute du Mur lorsque, en possession des archives de la Stasi, lui qui se croyait épargné de toute surveillance, il découvre que c’est celui-là même chargé de sa filature et de la mise en fiches de ses faits et gestes qui lui a valu la vie sauve. Conclusion lénifiante que celle de La vie des autres, qui finit sur la vision de l’ancien agent de haut vol devenu petit employé postal anonyme  ? Nullement, car tout le film joue sur cette frontière imperceptible qui ne sépare pas d’office bons et méchants, héros ou salauds, mais évalue bel et bien, comme avec la plus fine balance, les sentiments et les actes de chacun. Qu’auriez-vous  fait à la place de chacun de ces personnages, dans telle ou telle  situation précise ? C’est le genre de  questions que pose implicitement, et très honnêtement, ce premier film magistral d'un jeune Allemand, à voir absolument.  

 

Commentaires

  • Le mur est tombé... une fiction sur le passé...
    Pourtant un air de vécu et de revécu!
    Même à l'ouest, même dans la république des républiques... où quelques fois je m'attends a voir pousser des bananes sur les Champs Elysées!
    Alors imaginez ce que c'est ailleurs et presque partout dans le meilleur des mondes...

  • Oui ici aucun trait grossier du manichéisme attendu sur un pareil thème. Magnifique film "historique", excellente prise de conscience du bien et du mal et ..du flou entre les deux. J'ai apprécié qu'il s'agisse aussi d'une (juste) histoire de (justes) relations humaines: très subtils sentiments à mi-chemin de ..bah Dieu sait quoi! J'allais écrire amour, amitié, sympathie, empathie et tout ça me semble hors-sujet. Que relie Wiesler à Dreyman et Christa? et Dreymann à son ami le metteur en scène? ça n'a pas forcément de nom, d'étiquette mais ça existe on a éprouvé dans la "vraie vie" et c'est très fort oui. Pour moi, c'est là que réside l'originalité du film et c'est pourquoi il nous émeut tous tant. La Vie des Autres, c'est intimement la nôtre...

  • hello,

    merci de tous ces textes. Continue !

    sur cette minime différence entre bon et salaud, je conseille la lecture du bouquin de sociologie de Michel Terestchenko, un si fragile vernis d'humanité.
    http://www.revuedumauss.com.fr/Pages/TER.html

    c'est édifiant sur soi et les zôtres et va encore plus loin dans l'examen que les travaux d'Anna Arendt sur la banalité du mal.



    jean

  • Bonjour, très belle critique pour un film qui en vaut la peine: scénario, interprétation, réalisation, tout est une réussite. C'est un film intelligent. Bonne fin d'après-midi.

  • un des des films que l'on n'oublie pas... Ah, son sourire à la fin du film !

  • Bonjour,
    Bien d'accord avec vous. Si remarquable précision des interprètes qui n'étouffe pas le sens mais n'en finit pas de l'ouvrir. Vertige des questionnements. Inconfort et attachement... Quelle maîtrise, évitant le didactisme comme les coups d'éclat, particulièrement remarquable pour un premier long... Grand plaisir de relire sur ce film...

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