ou la peinture du bonheur
Jamais il n’a représenté la douleur, d’aucuns lui reprochent d’avoir été le peintre du luxe et de la volupté, mais Aragon préfère Matisse qui embellit à ceux-là qui enlaidissent le monde, et qui lui donnerait tort en suivant la ligne de ce crayon dansant « à tâtons » avec la sûreté du génie ?
« Le dessin dit l’infinie complexité du trait pur », écrit Aragon, il est « écriture à chaque point de sa course », et c’est dans cette complexité limpide, dans cette écriture merveilleuse que nous immergent à la fois le verbe de l’écrivain, par la voix de Jacques Weber, et les images de la peinture et des photographies de l’artiste, de Nice en 1941 jusqu’à la fin des années 40 à Vence, et de fenêtres en jardins, d’objets en visages à n’en plus finir.
Comme il l’a fait plus récemment de Kafka, avec la même sensibilité et le même point de vue personnel qui l’orienta dans son portrait de Rimbaud (si peu conforme au cliché du poète que son film est bonnement maudit en France), Richard Dindo a monté, à partir du « roman » d’Aragon consacré à Matisse, un double hommage qui nous fait aller et venir entre le livre et ses lieux, l'artiste et ses objets, les portraits d’Aragon par Matisse et l’évocation de leurs rencontres par l’écrivain.
Surtout, avec le motif récurrent d’une mélodie cristalline et un peu mélancolique de César Franck, c’est dans la pure « musique » de deux styles, celui d’Aragon aux images et aux formules souvent magnifiques, et celui de Matisse qui se déploie sans autre commentaire sous nos yeux, dans l’art incomparable de sa ligne et de ses ellipses, ses inventions, son équilibre et sa folie, sa sensualité et ses efflorescences, son effusion de couleur enfin – son bonheur sans mélange.
Aragon, le roman de Matisse. Un film de Richard Dindo.
Commentaires
Cher Fellow, figure toi que j'étais justement en train de regarder le Rimbaud de Dindo. Au début, j'ai eu un peu peur, avec les acteurs, il y avait un certain artifice, et puis finalement pas mal du tout. Dans l'interview qui accompagne le dévédé, le compatriote de votre mâitre, Fellow, évoque justement cette interrogation qui fut la sienne sur le succès possible de ce parti-pris d'utiliser des acteurs. Egalement, il s'interroge sur l'intêret réel de ce genre d'approches biographiques, le réponse étant la quête de l'"émouvance", qui en effet, permet sans doute de capter un peu de l'âme profonde des choses, de rentrer en résonance avec elles, et qui trouve peut-être une certaine pertinence en s'appliquant à la poésie, et particulièrement à celle de Rimbaud.
Votre maître a-t-il vu cela, ici http://ruinescirculaires.free.fr/index.php?2007/02/01/343-babillage-et-recopiage#co, où l'on parle de lui parlant de Cingria?
Tchüss.
"Jamais il n’a représenté la douleur, d’aucuns lui reprochent d’avoir été le peintre du luxe et de la volupté" ; voilà déjà tout un roman, qui s'écrit !
Salut (et fraternité !) Jean-Louis !
Merci cher Hugues, ce sera transmis. Pour le moment JLK est plongé dans une rêverie de derviche tourneur. C'est la danse de Proust et de Kafka qui l'a mis dans cet état, à la lecture de Tumulte de François Bon et de Place des Pensées de Richard Millet, deux livres qu'il vit autant qu'il les lit. Ah mais il neige sur la Désirade. Faisons un peu d'ordre...