Voir et revoir Vitus de Fredi M. Murer
On est parfois tenté de désespérer, accablé par le poids du monde, et notamment devant les images affreuses de celui-ci que diffusent les médias, et voici qu’un beau geste ou qu’un bon regard, ou la seule lumière du jour, un arbre, la mer, un square, un air de musique, un tableau, un beau livre nous irradient et nous traversent comme d’un souffle vital et régénérateur – or tel est l’effet vitalisant de Vitus, les mots disent ce qu’ils ont à dire : tel est le bienfait de ce film de Fredi M. Murer qu’il faut voir et revoir.
Vitus est une sorte de conte heureux, dont l’esprit d’enfance est le fil rouge incandescent.
C’est l’histoire d’un garçon surdoué, dont la monstruosité du talent artistique et de l’intelligence font un être d’exception. Ses parents, la mère surtout, se mettent en quatre pour favoriser l’épanouissement de ces extraordinaires dispositions, qui ne tardent pas cependant à isoler le gosse, rêvant bientôt de redevenir normal et rusant, jusqu’à jouer, à la suite d’un accident, celui qui a perdu son don de pianiste prodige et de super-cerveau. Ce refus instinctif de la gloriole, ce besoin surtout d’être aimé pour autre chose que son QI, Vitus en trouve l’écho et le soutien chez son grand-père, veuf non conformiste avec lequel le garçon va manigancer divers bons plans.
Vitus pourrait se réduire, avec tous ses ingrédients propres à séduire le grand public, à une jolie fable flatteuse au happy end sirupeux, mais à cela Fredi M. Murer échappe avec la grâce de son art. Sans être idéalisés, tous ses personnages ont en eux un potentiel de bonté et de beauté, que les acteurs réunis modulent avec un égal bonheur. Le jeu des deux garçons (Fabrizio Borsani et Teo Gheorghiu), de six et douze ans, qui incarnent Vitus, est d’une justesse absolument sans faille, mélange de candeur et de gravité rebelle, d’ingénuité pure et de sensibilité à vif. Fredi M. Murer a beaucoup attendu avant de trouver le Vitus ideal, qu’il a finalement rencontré en la personne d’un jeune pianiste prodige. Dans le rôle du grand-père, Bruno Ganz est merveilleux de drôlerie bougonne et de tendresse, complice parfait du môme mais sans trace de mièvrerie. La parents aussi, la mère (Julika Jenkins) ambivalente (tentée de pousser la carrière de son petit génie mais non sans en voir les pièges) et le père (Urs Jucker), inventeur embarqué dans l’exploitation industrielle d’un appareil pour mal entendants, sont également impressionnants d’authenticité.
Voilà d’ailleurs ce qui fait, de ce grand film (à budget modeste, il faut le préciser) d’une substance émotionnelle richissime, et qui aborde de nombreux thèmes importants, une œuvre si belle et bonne : l’authenticité. Vitus parle de la passion de la musique, de l’amour vécu ou rêvé, du besoin de se dépasser, de la complicité tendre entre tout jeunes et tout vieux, du sens de la vie enfin, avec autant de légèreté que de malice, de sagesse souriante. Sa beauté formelle, jamais ennuyeuse, jamais ostentatoire, et la bonté du regard de Fredi M. Murer, font de ce film un poème de cinéma sans trace d’effets spéciaux, sauf celui de l’éternel bon génie humain.
Fredi M.Murer. Vitus. Ours de bronze à la Berlinale 2006. Prix du meilleur film suisse de fiction 2007. Prix du public aux Journées de Soleure. DVD Frenetic.
Sortie de Vitus dans les salles de Suisse romande et de France: le 28 février 2007.