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  • Une si douce oppression

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    A propos du Club des pantouflards de Christian Cottet-Emard
    Le double talent de poète et de conteur de Christian Cottet-Emard s’exerce ici dans le genre du polar politico-fantastique dont le climat rappelle à la fois le réalisme magique italien et certaines fables latino-américaines, notamment d’un Juan Carlos Onetti.
    Après le lyrisme diffus du Grand variable, déjà remarquable par sa vision autant que par la fine découpe de son écriture, l’auteur se fait ici plus mordant et plus inquiétant, dans une narration à la fois somnambulique et parfaitement filée où nous voyons le chômeur en fin de droit Effron Nuvem pris au piège d’un mécanisme étrange non moins qu’implacable, à relents totalitaires et jouant sur le consentement en douce des plus démunis. Sous des dehors pourtant placides, les membres du Club des pantouflards auprès desquels un notable apparemment bien disposé à son égard introduit le protagoniste et en fait son obligé, évoquent une société secrète aux occultes pouvoirs de contamination, que le sans-emploi candide va subir à son corps à vrai dire peu défendant. Mais n’est-ce pas ainsi que prolifère le soft goulag dans les têtes ? L’apparition d’un petit blindé noir, au tournant du récit, va d’ailleurs cristalliser une menace bientôt omniprésente, que le lecteur ressent presque physiquement. A préciser que cet engin fait office de distributeur de cartes de crédit dans un système verrouillé par l’informatique qui réduit l’existence du porteur à la validité de l’objet…
    Dans la lumière crépusculaire des Ames mortes de Gogol, que le protagoniste lit en dégustant sardines à l’huile et tartines, ce petit roman épate à la fois par sa verve caustique et son atmosphère, son délire très contrôlé, son discours politique implicite et son aura poétique.
    Christian Cottet-Emard. Le club des pantouflards. Editions Nykta. Coll. Petite Nuit, 85p.

  • Ceux qui rêvent éveillés

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    Celui qui pense que la chiennerie actuelle n’a plus de limites / Celle qui se demande si son devoir de mère n’est pas aussi d’aider son fils à réaliser ses fantasmes / Ceux qui vendent des enfants péruviens aux couples stériles de la Rive dorée / Celui qui se fait mordre par un vison en cambriolant un appart de luxe / Celle qui s’est fait implanter une amulette du Grand Serpent Apophis dans ce qu’elle appelle son feuillage / Ceux qui aspirent à faire de leurs enfants des bêtes à concours / Celui qui est favorable à l’électrification du carillon de Bourg-Saint-Pierre / Celle qui estime qu’une femme de quarante ans est limite morte / Ceux qui boutent le feu aux poubelles de leurs voisins noirs / Celui qui envoie une vipère à son chef de bureau / Celle qui répand des bruist à propos du tenancier du tear-room Les Bleuets / Ceux qui collectionnent les produits écolos y compris les cabas écologiques de Carrefour / Celui qui offre des glaces à l’eau à l’ours à lunettes / Celle qui se flatte de ne jamais regarder Les Experts / Ceux qui rêvent d’un petit chalet ou d’une fermette même sans confort / Celui qui estime qu’une femme au courant de la Bourse est un plus / Celle qui fait du gringue aux jeunes démarcheurs par téléphone / Ceux qui déplorent qu’aucune photo du baby de Tom Cruise n’ait paru depuis trois mois / Celui qui rêve de jouer dans un film belge / Celle qui dépose ses germes sataniques dans les blogs / Ceux qui vivent dans la douleur quotidienne de l’enfant mort / Celui qui prétend avoir dansé le fox-trot avec Liz Taylor / Celle qui entreprend l’étude de l’hébreu pour se rapprocher de Nathan le sioniste de son club de badminton / Ceux qui refusent désormais tout produit israélien / Celui qui se dit le Michael Moore de Wuppertal / Celle qui ne porte que des bas couleur chair / Ceux qui ont échappé à un attentat sans s’en douter, etc.

    A Sète, croisement de rues. Photo JLK.

  • Vélocipédie lyrique

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    (…) Cultivons la bicyclette davantage.
    Mais j’en reviens surtout à ceci qu’elle n’est pas indigne du poète. Elle lui est d’un très grand stimulant. D’abord c’est beau, c’est poétique, par soi-même, cet engin. A cause de ces poignées où on enroule du sparadrap sulfate à côté de sparadrap noir – luisant – et de sparadrap roux. Des gens qui ne font pas attention à cela ont beau s’agiter dès qu’on parle d’art, ils ne feront pas attention non plus aux plus hauts sommets de la tragédie grecque,
    Il faut aimer ses roues, aimer ses jantes, aimer l’acier et ses formes dans une authenticité qui exalte.
    C’est ça qui doit être la littérature, ainsi que le comprenait Jarry. Il disait : ce prolongement métallique de notre squelette. Je ne crois pas qu’on se soit mieux exprimé sur l’importance poétique - et ce qui est poétique prime tout – de la vélocipédie. Ils peuvent rire, les éternels messieurs de la civilisation du faux col qui font le ton des capitales. L’homme intégral est vélocipédiste : il est récupéré à ce prolongement qui était sien qui lui restitue l’acier, lui permettant de rouler, ce qui est bien plus dans notre nature, ailée à l’origine ou rampante, que de marcher.


    Charles Albert Cingria. L’Art vivant ; juin 1938

  • L'éclusière

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    Du bief aval, on surveillera l’écluse.

    J’avise un frêne, où l’ombre était si vaste
    que toute sieste y eût été propice
    à l’or natif d’un poème accouché sans effort.
    Mais il faudrait d’abord apprivoiser ce rythme lent,
    cette scansion sourde et sereine qu’on lit
    aux barres de mesure des arbres riverains.

    (Le monde était cohérent, dans le temps, et l’on savait
    qu’il y a des barres, entre molaires et crochets
    des chevaux de halage, où appuie le mors,
    qui écume, à l’effort, et bouillonne,
    à peine moins que le courant qu’une vanne libère.
    Eh oui ! Mais c’était autrefois ! Il n’y a plus
    de braves percherons sur le bord du canal.)

    Et puis, l’éclusière est comme apparue
    Sur l’ouvrage : on dirait, du frêne, un centaure,
    qui se cabre en poussant le levier.
    J’approche; elle ne voudra pas de mon aide,
    Attachée au royal privilège qu’elle a
    De prendre de très haut l’étrangère en bateau
    Qu’elle fera monter, d’un palier, vers le ciel.

     

    Ce poème inédit de Pierre-Alain Tâche est paru dans la dernière livraison du Passe-Muraille, no 70, juillet 2006.

    Leonor Fini, La fin de la terre, 1949.
  • La voix de l’autre Amérique


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    Joan Baez « live »
    D’une calamité à l’autre, entre la guerre du Vietnam et la réélection de George W. Bush, Joan Baez n’a cessé de faire entendre la voix de la résistance à l’intolérable, notamment par les concerts « live » qui ponctuent sa longue marche de véritables interventions publiques.
    Dans le droit fil des années 60, avec la double référence à Woodie Guthrie, dont elle reprend ici le fameux Deportee (Plane Wreck at Los Gatos), et à Bob Dylan, présent entre autres avec Farewell, Angelina et It’s all over now, baby blue, la grande dame du « protest song » n’a pas pris une ride dans sa voix, pas plus que dans son irradiante présence, aussi douce et délicate qu’inflexible dans son « message ».
    Avec un clin d’œil complice à Michael Moore à la reprise de Joe Hill, cette dense et belle série de quatorze chansons, qui s’achève sur le Jerusalem de Steve Earle, autre compère engagé dans le combat anti-Bush, a été captée à l’occasion de deux concerts donnés en 2004 au Bowery Ballroom de New York, où le « over now » de Dylan prend toute sa signification…
    Malgré le coup de blues lié aux événements, et certaine mélancolie perceptible, rien pour autant de désespéré et moins encore de ringard dans l’expression lyrique et véhémente de cette autre Amérique dont Joan Baez reste une des voix les plus pures.
    Joan Baez. Bowery Songs (live). Proper Records