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Le temps foudroyé de Celan

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En lisant Rosebud de Pierre Assouline (4)
Un choc indicible se produit au cœur de Vie et destin de Vassili Grossman à l’instant où, par l’œilleton d’une chambre à gaz, l’œil d’un bourreau croise celui d’une victime. Ce regard échangé peut-il être dit par un écrivain ? On se rappelle l’injonction d’Adorno dans Critique de la culture et société : « Ecrire un poème après Auschwitz est barbare, et ceci ronge aussi le diagnostic qui dit pourquoi il est devenu impossible d’écrire des poèmes aujourd’hui ». A quoi Paul Celan ajoute dans ses notes par manière de réponse : « Quelle est la conception du poème qu’on insinue ici ? L’outrecuidance de celui qui a la front de faire état d’Auschwitz depuis la perspective du rossignol ou de la grive musicienne ». Et Pierre Assouline : « Tout Celan est une réponse à l’injonction d’Adorno : on peut écrire après, en écrivant depuis. C’est le cœur de son défi, celui auquel il se tient. On ne peut même pénétrer l’énigme d’Auschwitz qu’en allemand, de l’intérieur même de la langue qui a donné la mort ».
Dans le seul poème qu’il ait écrit en français, pour son fils unique, dont le nom forme l’anagramme phonétique d’ « écris », Paul Celan écrit à Eric :

Ô le hâbleurs
N’en sois pas.
Ô les câbleurs,
n’en sois pas,
l’heure, minutée, te seconde,
Eric. Il faut gravir ce temps.
Ton père
t’épaule.


Un saut hors du temps scelle pourtant cette destinée, lorsque, dépouillé de sa montre et de son alliance, Celan se jette dans la Seine, enjambant le parapet du pont Mirabeau d’Apollinaire qu’il avait traduit, sous les fenêtres de la dernière chambre parisienne de Marina Tsvetaeva qu’il avait traduite elle aussi, tous trois réunis dans le temps sans aiguilles de la poésie, de l'obscurité de laquelle participent les mystérieux câbleurs. 

Le Rosebud de Paul Celan, dans ce très dense et beau chapitre consacré à « l’homme qui creuse », est donc cette montre arrêtée, probablement à l’heure de la mort de ses parents (« Que peut signifier le bonheur après cela »), cette montre morte qui montre au fils vivant, par dela les eaux sombres du malheur et du chagrin (qui se dit Schmerz en allemand), le temps à gravir encore même si l’épaule du père n’est plus qu’un poème (« l’heure, minutée, te seconde »), et toujours cet œil est là dans la tombe que notre regard croise…

Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont je demeure...

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