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Un démon très ordinaire

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En lisant Les Bienveillantes de Jonathan Littell (1)

Le diable du XXe siècle n’est pas un monstre cornu et fourchu mais un homme ordinaire soucieux de son devoir, comme le fut par exemple Adolf Eichmann, l’un des planificateurs de la Solution finale les plus zélés. Hannah Arendt provoqua la controverse en insistant sur la banalité de cet homme gris et froid, mais d’innombrables documents, depuis lors, dont par exemple le significatif Journal du Dr Göbbels, donnent raison à cette thèse, à laquelle on pense immédiatement en se lançant dans la lecture du premier roman de Jonathan Littell, écrit en français et intitulé Les Bienveillantes.
La première phrase de ce livre de 904 pages extrêmement serrées, mais qui nous prennent aussitôt par la gueule, annonce pour ainsi dire la couleur : « Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça c’est passé ».
D’emblée, d’un ton à la fois posé et tout objectif, sans chercher à séduire, commençant d’écrire dans son bureau directorial de l’usine de dentelles qu’il a remis sur pied avec un talent certain pour l’organisation, après être revenu en France déguisé en travailleur du STO (Service du Travail Obligatoire), Max Aue, moitié Allemand et moitié Français, nous explique donc « fraternellement » que ce qu’il a fait, nous aurions très bien pu le faire à supposer que nous eussions été pris dans l’engrenage qui l’a happé.
Va-t-il nous la jouer Günter Grass se battant les flancs ? Nullement. Plus que des remords, il a des renvois de mauvaise digestion et souffre de constipation, mais surtout il a besoin de s’occuper et c’est pour lui-même, pour voir plus clair sur la « rivière noire » de ses souvenirs, qu’il commence à se raconter.
Les trente premières pages de la Toccata qui ouvre le livre, dont tous les titres de chapitres relèvent de la nomenclature musicale, évoquent la Weltanschaung (vision du monde) de ce nihiliste minutieux qui dit avoir vu « plus de souffrance que la plupart » et déclare cependant : « Si jamais vous arriviez à me faire pleurer, mes larmes vous vitrioleraient le visage ».
Il ne bluffe pas : c’est le poison vivant que cet homme qui se rappelle la sentence de Sophocle, « Ce que tu dois préférer à tout, c’est de ne pas être né », avant d’invoquer Schopenhauer et de conclure que nous vivons dans le pire monde qui soit.
Contrairement à Eichmann, Max Aue ne s’excuse pas par l’argument de la soumission aux ordres : il assume en somme. Il pense même que l’homme ordinaire est plus dangereux, dans les circonstances qu’il a connues, que le monstre psychopathe ou la brute soumise. Lui-même n’a jamais demandé à devenir un assassin. Il n’a pu devenir pianiste faute de don, il aurait préféré faire carrière dans la littérature ou la philo que dans le droit, en outre cet homme sans qualité n’a jamais aimé ni sa mère ni les hommes avec lesquels il a couché avant de se marier bourgeoisement, lucide au point de dire qu’il eût préféré être une femme et que la seule qu’il ait aimé était sa sœur, ce qui complique un peu les choses.
Le piège se referme sur lui à l’instigation de son ami Thomas avec lequel, à la veille de l’invasion de la Pologne par l’Allemagne, il a fait à Paris un rapport secret sur les dispositions bellicistes de la France, rencontrant à cette occasion Brasillach et Rebatet, ledit Thomas lui faisant valoir que désormais, pour un officier SS (car c’est ça qu’il est devenu on ne sait encore comment), le front de Pologne est l’endroit où on va s’amuser, ce qui le fait rire et constater que « c’est ainsi que le Diable élargit son domaine ».
Sous le titre d’Allemandes I et II, le grand chapitre suivant nous plonge dans les premières opérations de nettoyage et de liquidation des obstacles humains à la progression de la Wehrmacht, par la division SS à laquelle il est rattaché.
C’est dans une confusion totale des commandements que cela commence, aux confins de l’Ukraine où les massacres du NKVD russe (Polonais et Ukrainiens exécutés en masse) sont attribués aux Juifs pour simplifier. A ce moment, on est encore loin d’avoir, même dans cette hiérarchie SS, une idée claire de l’extermination à venir. Même, lorsque les premières représailles de masse sont ordonnées contres les civils juifs, ça râle sec chez les chevaliers aryens, et Max n’est pas relax. Or la machine génocidaire est bel et bien en marche, mais là j’arrête parce que je fatigue, un max…

Jonathan Littell. Les Bienveillantes. Gallimard, 904p.

Commentaires

  • bonjour! Je découvre votre blog, il est magnifique! Des heures de lecture......
    J'ai commandé "Les Bienveillantes", évidemment et entre autres livres de la rentrée. Celui de Nancy Houston aussi.
    Amusant de lire, dans la somme de critiques au sujet de ce livre,la quasi unanimité. Sauf un, bien entendu. Rinaldi... Mais ai je déjà lu Rinaldi défendre un livre?

  • Merci pour votre excessive gentillesse. Je n'ai pas l'habitude de vomir sur mes confrères, mais la lecture du papier de Rinaldi sur Les bienveillantes, dans Marianne, m'a fait vraiment honte. Honte pour la profession. Tant de mépris, tant de suffisance arrogante et nulle, tant de fautes de lecture, tant de vilenie enfin ne sont que d'une vieille ganache envieuse et radoteuse, d'une complète futilité, qui ne mérite pas le nom de critique littéraire. Enfin ce n'est pas nouveau: il n'est que de relire certaines critiques du temps de Proust pour se le rappeler. Je vous salue Marie.

  • Je viens d'acheter ce livre et j'avance doucement. Les trente premiére pages déja ne me laisse pas indifférent.
    Il est trés clair que l'on arrive a se projeter vers ce Mr Aue, directeur ordianaire d'une usine de dentelle (c'est délicat la dentelle), le suite il me semble sera moins délicat. Le compte atroce des morts par seconde (passage que j'ai lu dans un centre commercial) est déja éclairant.
    Le thême de la banalité du mal n'est cependant pas nouveau, et même si Eichmann disait qu'il obéissait aux ordres, on ne peut s'empécher d'évoquer Annah Arendt en lisant ce livre. Ou encore de penser "aux bourrzeau volontaires de Hitler" de Goldhagen qui a declenché une vive polémique chez les historiens.

    Ce qu'il me semble, c'est que l'auteur tout tranquillement au milieu de la fureur, montre que lorsqu'il y a une guerre, tout se renverse et les activités des hommes se ré-oriente vers un but la mort ! Une phrase m'a marqué je cite de mémoire: Pour marx, l'ouvrier est aliéné par le produit de son travail, pendant la guerre l'éxécutant est aliéné par ses actions.

    Excuses ? Aucunement, car l'auteur dit clairement qu'il etait convaincu de l'utilité de ses actions, ce que d'ailleurs tout le systéme reconnaissait. Là ou le destin l'a placé, il a vécu et fait ce qui socialement était reconnu et valorisé.

    Un point qui différe avec les autres romans c'est que ce personnage est juste ce qu'il faut pour pouvoir s'identifier à lui. Le passage sur le piano que maman m'a offert et dont je ne me suis pas servi .. marque en fait le destin manqué, son instrument deviendra alors tout autres.
    Et cela peut nous arriver.

    J'ai hâte d'avencer dans ce livre. Mais ne nous trompons pas, il n'y a pas de révélation dans ce livre, je pense que j'en sortirais avec l'angoisse que cela ne m'arrive jamais, car je saurais alors que c'est possible.

    La leçon : PAS DE GUERRE, car c'est elle le démon qui place les hommes en bourreaux.

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