Au Festival de Locarno, la poésie du 7e art se retrouve dans Le dernier des fous de Laurent Achard et dans Les lumières du faubourg d’Aki Kaurismäki.
« Le cinéma américain est en chute libre », déclarait Marthe Keller à Locarno, « il n’y en a plus que pour les effets spéciaux visant une masse d’ados énervés ». Constat sévère, que recoupe celui du grand réalisateur finlandais Aki Kaurismäki, à l’honneur avec la rétrospective de son œuvre, un livre de Peter Von Bagh et, jeudi soir, la projection sur la Piazza Grande de son dernier film, Les lumières du faubourg, saisissant à la fois par l’âpre beauté de ses images crépusculaires et par la profonde humanité de son regard sur un monde de salauds.
Voyage au bout de la nuit du genre « humiliés et offensés » à la Dostoïevski, ce film d’une ligne très pure, à tous égards, où s’opposent les figures du « minable » veilleur de nuit Koistinen, et d’une femme fatale que l’auteur dit « la plus cruelle depuis All about Eve de Mankiewicz », est ponctué de quelques éclaircies de compassion, et sa dernière image de deux mains réunies pallie son pessimisme radical.
Tant pour la coloration désespérée de sa « lecture du monde » que pour la beauté hiératique de ses images et l’extraordinaire figure d’enfant (Jules Cochelin) qui l’irradie de son énigmatique présence, Le dernier des fous de Laurent Achard, en compétition internationale, s’apparente à Kaurismäki dans une forme très dépouillée et une intensité expressive rappelant le premier Bunuel ou le Dreyer d’Ordet.
Adapté du roman éponyme de Timothy Findley, ce film oppose également la figure « interdite » d’un innocent rappelant la Douce de Dostoïevski ou Mouchette de Bernanos, et l’univers désastreux d’une famille de paysans de France profonde ruinés sur lesquels toutes les mauvaises fées s’acharnent. Entre un grand frère (Pascal Cervo, d’une sensibilité exacerbée) crevant de mal-vivre homosexuel, une mère cloîtrée et délirante (Dominique Reymond, d’une folle acuité), une grand-mère dominatrice (Annie Cordy, elle aussi magnifique) et un père (Jean-Yves Chatelais) dépassé par les événements, le petit garçon suit son chemin halluciné, en complicité avec la servante marocaine Malika (Fettouma Bouamari). Admirablement tenu de bout en bout, ce film sans concessions pâtit un peu d’un dénouement moins crédible que celui du roman de Findley, tout en signalant un auteur de grand avenir.
Si le festival de Locarno ne va pas sans petite chronique mondaine, reflétée tous les jours par l’excellent PardoNews (indispensable quotidien de la manifestation qu’on trouve partout dès la veille au soir avec le programme détaillé), les « stars » présentes ne font pas dans l’esbroufe, comme l’illustrent trois d’entre elles qui ont participé à des films d’auteurs.
Mémorable moment de cette 59e édition : la rencontre avec Marthe Keller, interprète combien sensible (et discrète) de Fragile, du jeune Genevois Laurent Nègre, qui a évoqué ses souvenirs et son travail avec autant de simplicité que de faconde. De Billy Wilder au Metropolitan Opera, la trajectoire de cette grande actrice si peu « diva » fait aussi bien figure de symbole anti-mythe…
De la même façon, Béatrice Dalle a expliqué que, dans sa « carrière », terme qu’elle trouve prétentieux voire ridicule, ce qu’elle a vécu avec les détenus du pénitencier de Ploemeur, pour la réalisation de Tête d’or de Gilles Blanchard, sur le texte de Claudel, a été l’expérience humaine la plus riche qu’elle ait jamais vécu au cinéma.
Tout cela très loin, évidemment, de la parade à la manière de Cannes, mais d’autant plus près de ce qui fait la vraie vie du cinéma survivant…