A propos de Congo River
C’est en somme le fleuve Humanité qu’on remonte dans Congo River, le film somptueusement déchirant de Thierry Michel dont les images restituent d’abord la splendeur des paysages que traverse le cours d’eau en serpentant (le dieu qu’il incarne est d’ailleurs un serpent) au milieu des immensités de savane et de brousse. Au cours de la lente et cependant très vivante première partie, correspondant à l’aval des rapides en direction desquels on remonte, l’on suit la progression d’un inénarrable train de barges sur lesquelles s’entasse la population d’un véritable village flottant, chèvres et cochons compris ; et tout aussitôt cela sent bon l’Afrique à plein nez.
En contrepoint à ces images de navigation sous la vigilante garde d’un Commandant incessamment attentif au travail des sondeurs, crainte du fatal ensablement, des fragments de trépidants documentaires de l’époque coloniale rappellent ce que fut celle-ci, avec son mélange de développement et de pillage organisé, sur fond de paternalisme bon teint à la Tintin au Congo…
Au terme de la première partie de cette remontée, marquée par telle tragédie « ordinaire » (plus de deux cents noyés imputables à l’incompétence d’une compagnie) ou telle manifestation d’évangélisation de masse durant laquelle un prêcheur en costume chic fait cracher le dollar aux ouailles classées selon leurs ressources financières (plus tu allonges, plus tes péchés seront allégés, ma sœur mon frère…), le film change de tonalité avec l’apparition, à la hauteur des cataractes, des premiers militaires égrenant leurs chants guerriers. Et c’est alors, en crescendo, la progression vers le cœur des ténèbres, de champs de croix en villages abandonnés où rôde encore le spectre de la terreur, jusqu’à ce dispensaire où se retrouvent des milliers de femmes violées dont les tribulations se trouvent détaillées par un médecin colossal au parler délicat qui rend plus affreux encore ses insoutenables constats.
Rien pourtant d’accusateur ou de sentencieux, ni même de très explicatif dans ce voyage au bout de l’horreur dont tout est supposé connu, qu’on redécouvre ici par l’image, la hantise des choses qui sont là et des traces des êtres qui n’y sont plus - l’émotion nous prenant au ventre et à la gorge sans qu’aucun commentaire ne soit porté par l’emphase, la fin du film s'ouvrant d'ailleurs à un regain d'espérance, par la voix de l'archevêque de Kisangani.
Congo River s’achève enfin sur l'évocation d'un paradis terrestre avéré, avec la vision édénique d’une pièce d’eau dont les moires scintillent sous le feuillage lustral et poudroyant de lumière. Telle est la source du Congo. Tels sont les eaux et forêts. Tels sont les hommes. Telle est la vie...
Commentaires
Ce fleuve majestueux a bercé mon enfance et mon adolescence.
Salut à toi, Helvète!
Bonjour Bona du matin qui brasse les couleurs, je ne sais rien encore de ton fleuve mais j'en rêve, comme d'Afrique et de bonnes gens de là-bas, enfin je te remercie de parler aussi de notre cher Cendrars de toutes les latitudes, qui a fait craquer les entournures suissaudes et ne nous quitte pas...
Oh cher ami, l'Afrique t'ensorcelerait par sa magie et le paroxysme de ses couleurs. A coup sûr, ton écriture déjà riche, s'étourdirait, aidée par le magnétisme de cette terre violente, de la sève qui monte des vies souterraines. Il y a une lumière puissante, qui viole. Une terre cosmique, faite de contrastes telluriques et habitée par l'abîme, certes, mais ô combien riche de toutes ses humanités accueillantes. Tu l'aimeras. Elle t'attend. Vas-y. N'hésite pas. La lumière ressort du noir, tu verras.
Bonne journée à toi et merci pour l'ami Blaise que j'aime, qui nous manque, qui nous toise...de son oeil malicieux.