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Rilke ou la force fragile (2)

La vie déchirée de Rilke, vue par Tzvetan Todorov. Le poète est né à Prague le 4 décembre 1875.

Il est peu d’êtres qui, autant que Rainer Maria Rilke, donnent, et simultanément, l’impression d’une telle fragilité et d’une telle détermination, d’une telle évanescence et d’une telle concentration, d’une telle propenson à la fuite et d’une telle présence. L’être qui avait le plus besoin d’être aimé est à la fois celui qui esquive toute relation durable, comme si l’amour ne pouvait jamais réellement s’incarner, jamais composer avec ce qu’on appelle le quotidien. Comme Clara, épouse momentanée et amie d’une vie, artiste elle aussi et aussi peu faite pour s’occuper de leur enfant, Rilke pourrait sembler le parangon de l’égocentrisme artiste, et d’ailleurs il est le premier à se taxer de monstre, mais on aurait tort de réduire ses arrangements avec la matérielle, où mécènes et riches protectrices se succèdent de lieu en lieu, à une sorte d’élégant parasitisme dans lequel il se dorlote et se pourlèche. Cette manière d’exil, loin de la vie ordinaire, qu’il a choisi et qui lui rend pénible la seule présence même de ses amies, ou du moindre chien, le rend à vrai dire malheureux, autant que la solitude qu’il revendique et qui le déprime, mais tel est l’absolu auquel il a bel et bien résolu de consacrer sa vie, et « la création exclut la vie ».
La vie n’en rattrape pas moins Rilke, et pas plus que chez Wilde la beauté ne se confine dans les sublimités épurées de son œuvre. Certes le poète est l’un des plus grands du XXe siècle, mais le propos de Tzvetan Todorov ne vise pas une célébration convenue de plus : c’est ainsi dans les contradictions douloureuses, le mieux exprimées dans la correspondace du poète, qu’il va chercher un autre aspect de la grandeur émouvante de Rilke.
D’aucuns lui ont reproché, comme plus tôt à Tchekhov ou à Philippe Jaccottet plus tard, de se détourner du monde actuel pour se confiner dans sa tour d’ivoire. En passant, Todorov rappelle que ses élans « politiques », pour la Guerre rassemblant les énergies en 1914, la Révolution russe en 1917 où le Duce dont le fascine l’action dans l’Italie des années 30, en disent assez sur sa candeur en la matière. Or lui chercher noise à ce propos semble décidément mal venu...
Ses liens avec la réalité ne sont pas moins réels et puissants, comme ceux qui attachent Cézanne au monde et aux objets qu’il transforme. Le pur cristal de l’œuvre poétique de Rilke semble justifier aussi bien son exil, mais le mérite de Tzvetan Todorov est d’éclairer une partie moins « pure » de son œuvre: ses lettres surabondantes et combien éclairantes sur le drame personnel qu’il vit bel et bien. « Et le paradoxe est là, conclut Todorov : ces lettres, qui pour une grande part disent son incapacité de créer et sa douleur de vivre, sont une œuvre pleinement réussie, à travers laquelle vie et création cessent de s’opposer pour, enfin, se nourrir et se protéger l’une l‘autre ».

Tzvetan Todorov. Les Aventuriers de l'absolu. Robert Laffont.

Commentaires

  • J'ai entendu Todorov sur France-Inter dans Cosmopolitan et j'attends le chapitre (3) consacré à l'idole de ma copine Marie-Laure. J'espère que sa pièce, adaptée de Véronique Olmi, réussira à être montée ailleurs qu'à Ferney...

    http://perinet.blogspirit.com/archive/2005/11/13/marina-tsvetaieva.html

  • jlk, vie et création ne peuvent s'opposer; peut-être oubliez-vous ceci: "les morts sont les vivants et les vivants sont les morts"?
    (existe-t-il des vers de todorov pour pouvoir évaluer ses compétences en matière poétique?^^)

  • Cher GMC,
    c'est exactement ce à quoi je pensais hier, lisant Tolstoï, et je vous donne à moitié raison, puisque Todorov ramène Rilke du côté de la seule vie, tout en vous donnant à moitié tort, si vous le ramenez aux seuls vers. Bien entendu, vie et création ne s'opposent pas, ou disons plus précisément: ne s'excluent pas ni ne s'excusent l'une l'autre, mais se combattent avec non moins d'acharnement, et les vers émanent de tout ça comme une haleine "éternelle", même topo avec Dante qu'il ne faut jamais oublier de psalmodier en douce en tâchant de démêler les embrouilles de la vie et des vies et de l'oeuvre et des oeuvres formant le socle mouvant du chant...

  • montrez-moi un poème de todorov digne de ce nom, et je commencerai peut-être à prêter attention à son opinion

  • Cet argument est bien court. Cela reviendrait à dire que nul ne peut formuler un jugement sur la poésie (ce que Todorov ne fait même pas en l'occurrence) sans être soi-même poète, ni sur la musique sans être musicien, ni sur la peinture sans être peintre...

  • ce n'est pas un argument, jlk, il n'y a aucune volonté de débattre; vous savez très bien ce qu'est todorov, un théoricien dont on peut compter les changements d'opinion au fil du vent et des modes, pas vraiment un amoureux^^; donc, quelque part, il est toujours bon de poser la question de la crédibilité de certains poseurs intellectuels qui n'amènent rien à l'espace poétique, rien de plus, mais rien de moins non plus
    les jugements de valeur n'affectent pas la production artistique, du moins pas plus que le vent dans les branches, ce qui revient à rien, en fait^^

  • Il est complètememt réducteur de parler de poseur intellectuel à propos de Tzvetan Todorov, et partucilièrement pour Les Aventuriers de l'absolu où il exprime son admiration avec une ferveur qui n'a rien de snob ou d'opportuniste - mais vous n'avez visiblement pas lu ce livre. Quant à l'évolution de TT du structuralisme "dur" à un humanisme plus ouvert, je ne vois pas en quoi il est répréhensible. J'ai dit que je trouvais son essai sur la littérature en danger un peu mince, mais il a au moins le mérite de résister à la déliqeuscence de l'enseignement en la matière et aux déconstructeurs débiles qui eux méritent votre opprobre...

  • je ne lis plus depuis un certain temps, jlk, mais je n'ai aucun élément me permettant de voir en todorov autre chose qu'un poseur intello, ce qu'il écrit n'est pas fait pour valoriser l'oeuvre ou l'artiste en question, mais pour valoriser todorov lui-même, c'est de la récup' indirecte; je n'ai aucun opprobre envers qui que ce soit, soit dit en passant, mais pour être franc, les trucs qu'écri(vai)t todorov sont bons pour figurer dans des versions réactualisées des "femmes savantes" ou des "précieuses ridicules", au choix selon votre bon plaisir....le bon plaisir est ce qui fait qu'on prend Aqaba....ou troie^^...ou Ys...ou Jéricho....aso

  • j'ajouterai juste que l'activité principale du poète, c'est de transformer du plomb, alors j'ignore quel intérêt présente le processus inverse.
    si todorov mettait la notoriété de todorov au service d'oeuvres et d'artistes tels qu'andré laude, pour citer un exemple de tentative d'exhumation récente (mort en 1995), alors pourquoi pas, mais rilke et wilde, ça ne mérite même pas un sourire ou une once de tolérance, désolé^^

  • En effet, vous êtes incapable de la moindre once de tolérance, et vous jugez sans même chercher à comprendre, ramenant tout à votre clos. Donc le débat est vain.

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