De la poésie
A La Désirade, ce vendredi 9 décembre. – Je lis ceci : « Pluie de printemps/toute chose en devient/plus belle. » Des mots calligraphiés par Chyo-ni, une noble Japonaise du XVIIIe siècle. Puis je lis cela. «Un matin glacé /sur mon vélo/ j’admire les champs ». Les mots de Catherine Sancet, de la classe 6e B du collège Gérard-Philipe de Carquefou. Je viens de me lever dans la nuit glaciale et je lis Le soleil de l’après-midi de Constantin Cavafy. C’est l’histoire du type qui se rappelle la chambre dans laquelle il a aimé quelqu’un « tant de fois ». C’est d’une banalité crasse et pourtant, en lisant ce qui suit, tout à coup je me sens plus réel :
« Sont-ils encore quelque part, ces pauvres meubles ?
A côté de la fenêtre était le lit.
Le soleil de l’après-midi arrivait à la moitié. Un après-midi, à quatre heures, nous nous sommes séparés,
Rien que pour une semaine… Hélas,
Cette semaine-là devait durer toujours ».
Ah mais, il fait ce matin un putain de froid, je ne suis personne et nulle part, et je lis juste maintenant :
« Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
A part ça, je porte en moi tous les rêves du monde.
Fenêtre de ma chambre,
Ma chambre où vit l’un des millions d’être au monde dont
Personne ne sait qui il est
(Et si on le savait, que saurait-on ?),
Vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient continuel,
Une rue inaccessible à toutes pensées,
Réelle au-delà du possible, certaine au-delà du secret, Avec le mystère des choses par-dessous les pierres et les êtres, Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes,
Avec le Destin qui mène la carriole de tout par la route de rien. »
Cela s’intitule Bureau de tabac et c’est de Fernando Pessoa, puis je lis ceci en me rappelant l’odeur de tout à l’heure de quelqu’un que j’aime et qui dort encore, sous la plume d’Anna Akhmatova :
«Les jours les plus sombres de l’année
Doivent s’éclairer
Je ne trouve pas de mots pour dire
La douceur de tes lèvres ».
C’est cela même : on ne trouve pas les mots du plus réel, mais la poésie est peut-être un peu de ça : plus de réel en peu de mots…
A lire ce matin : Henri Brunel, Sages ou fous les haïkus ? Calmann- Lévy, 2005.
D’autres astres, plus loin, épars ; poètes européens du XXe siècle choisis par Philippe Jaccottet. La Dogana, 2005.
L'évier est une peinture de Lucian Freud