William Burroughs et le Chant du Vieux Marin de Coleridge
Qu’est-ce qui est plus fort que la défonce pour échapper au poids du monde ? Qu’est-ce qui libère de la médiocrité et de l’ennui ? Qu’est-ce qui survit à la maladie et à la mort ? Un vieux camé pédé pété le proclame : le Poème ! Et de nous proposer l’embarquement immédiat : tous au Poème ! Le vieillard déjanté n'est autre que William Burroughs, prophète catastrophiste de la beat generation dont les écrits dévastateurs sont portés par une quête radicale de pureté. Le poème est le chef-d’œuvre du poète romantique anglais Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), ce Chant du Vieux Marin qui évoque les tribulations de l’homme confronté à sa nature mauvaise et cherchant au bout du monde un sens à sa vie. Le navire a l’air d’une ruine de station d’essence (ainsi que le conçoit le scénographe Denis Tisseraud) dont ne subsiste qu’un distributeur de Coca-Cola et, pendu à l’un des montants, le squelette du poète aux poches pleine de substances dopantes pour la route. Pour l’accompagner, le capitaine Burroughs a invité quatre losers-émules de sa trempe de junkie artiste: le peintre new yorkais Jean-Michel Basquiat (mort d’overdose) aux flamboyantes enluminures urbaines, le guitariste Johnny Thunders, autre figure déjanté de Brooklyn (et autre victime de la drogue), ainsi que Kathy Acker, considérée comme une héritière de Burroughs et qui tiendra le journal de bord de ce drôle d’équipage.
Ce périple sort de l’imagination du dramaturge-compositeur-chanteur anglais Johny Brown qui entremêle, avec autant de souffle lyrique que d’humour, les étapes du poème et celles d’un voyage initiatique nous conduisant très loin des paradis artificiels : vers la redécouverte de la beauté des choses et des êtres, de l’imagination poétique faisant soudain surgir « mille sirènes hypercanons » des immensités océanes, avec les étoiles d’un texte pour se guider vers d’autres rivages, et la (re) découverte de l’amitié et de l’amour.
Dans une mise en scène qui joue essentiellement sur l’intensité de l’interprétation, dominée par un Denis Lavant bonnement prodigieux dans le rôle de Burroughs, Dan Jemmett nous fait vivre ce périple imaginaire en modulant, dans un langage actuel (musiques endiablées et lumières à l’appui) le lyrisme éclatant de Coleridge et les imprécations de Burroughs, avec le même élan nuancé d’humour. Le télescopage du thème de l’albatros tué par le capitaine de Coleridge, et de l’éloge grinçant du pacifisme armé par Burroughs, rappelant ensuite l’épisode du meurtre accidentel de sa femme (la seule qu’il ait aimée) par l’écrivain se prenant pour Guillaume Tell, ou les grandes scènes de la tempête, du vaisseau fantôme ou du réveil de l’équipage mort, revivent ici de façon très prenante. Si l’on excepte certains relents un peu lénifiants dans la « leçon » de la pièce, celle-ci vit et vibre, une fois encore, grâce à l’engagement des quatre comédiens. Pascal Oyong-Oly est un Basquiat dégageant une sorte de force tendre, Carine Barbey campe une Kathy Acker très attachante elle aussi par son mélange de vivacité et d’indépendance, et Sébastien Martel donne à Johnny Thunders une aura romantique dont la nostalgie de New York se trouve relancée à la fin par la superbe profération de Burroughs au-dessus des toits de Manhattan. Prophète de malheur, le poète est à la fois révélateur de beauté et de sens. « Tous au poème ! »
Théâtre Vidy-Lausane. « William Burroughs surpris en possession du Chant du Vieux Marin de Samuel Taylor Coleridge ». Salle Apothéloz, jusqu’au 22 décembre. Ma-me-je, 19h. Ve, 20h.30. Di, 17h.30. Lu, relâche. Location : 021 619 45 45. WWW.vidy.ch
Durée : 1h.45
Photos: Mario del Curto
Commentaires
Fascinée par la pièce, pouvez-vous m'envoyez le texte du poème de Coleridge.
Avec mes remerciements.