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Les mots à la source

Notes matinales 

Hervé Guibert post mortem et autres vivants.

On a besoin le matin de phrases limpides, on se lave à l’eau des mots, on boit à la source.
On lit par exemple : «Le samedi midi, c’est le jour du bifteck de cheval. Louise le mange cru, non haché mas recouvert d’une nappe de sucre en poudre ».
Ou bien on lit : «L’auteur revoyait dans une succession d’images presque arrêtées tout ce que son père lui avait apporté, au-delà des mots si rares, au-delà des gestes encore plus rares, ces attentions, cette tendresse informulée, ces soucis, ces espoirs pour l’avenir d’un fils, seul garçon de la famille ». Ou bien encore on lit : « Il cherche, une fois de plus, les mots du commencement, des mots, par exemple, capables de nommer ce qui fait le miracle du corps humain, son inexplicable animation, sitôt noué son dialogue muet avec les autres, le monde et lui-même – et aussi la fragilité de ce miracle ». Ou encore ceci tandis que le jour se lève sur les pentes givrées : «Donne à qui sait lire ton âme, fuis qui la déchire, car tu n’as pas le temps ».
Tous les dimanches, Hervé Guibert allait voir Suzanne et Louise, deux vieilles femmes, ses grand-tantes, qu’il photographiait et décrivait au milieu de leurs objets, deux vieilles petites filles qui ne se parlaient guère qu’en sa présence, et son écriture toute unie et pure raconte le Carmel de Louise et les jambes de Suzanne, les cheveux très longs de Louise jouant à se mettre la muselière du chien Whiskey et le corps de Suzanne jouant à être morte avant de se livrer à la Faculté de médecine. Tous les jours Jean-Jacques Nuel revenait à sa table pour y sacrifier au Rite de l’écriture, tous les jours Cézanne revenait au corps du monde, tous ces matins Giovanna s’en va dans le froid du monde avec en elle peut-être une petite phrase bouleversante qui lui revient en douceur de cette page d’un livre entrouvert : « Donne à qui sait lire ton âme »…

Hervé Guibert retrouvé ce matin, l’esprit d’Hervé que je retrouve au coin du feu, le corps d’Hervé libéré de sa torture, l’écriture sans rature d’Hervé Guibert décrit le Paradis de Louise : « Elle dit qu’elle ne l’imagine pas. Le corps, de toute façon, n’a plus d’existence, et elle me cite un passage de l’Evangile où un esprit naïf demande avec lequel de ses sept maris une femme qui s’est mariée sept fois entrera au Paradis». Et je lis du petit livre entrouvert de Hafid Aggoune: « Si les livres n’avaient pas été là, je serais mort dans cette forêt. Lire m’a sauvé la vie et le voyage a commencé. Les mots sont mon sang, mon fouet, mon feu ». Enfin je lis ces mots de Jean-Jacques Nuel : « Tout était à écrire. Un livre n’y suffirait pas ».

Widoff29.JPGHervé Guibert, Suzanne et Louise. Roman-photo. Gallimard, 2005 ; Jean-Jacques Nuel, Le nom. A Contrario, 2005 ; Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit. FolioEssais, 2005 ; Hafid Aggoune, Quelle nuit sommes-nous ?. Farrago, 2005.

Commentaires

  • étonnant

    le texte que j'ai terminé hier soir sur Sophie Calle évoque justement Hervé Guibert !

    merci pour tes "papiers", chaque jour bienvenus.

    Jean

  • Merci de cette lecture. Je suis heureux que vous y lisiez, au-delà du "tour de force" auquel on résume souvent mon roman, un hommage à mon père.

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