A la cour du Tsar rouge
On est pris, dès qu’on entame cette chronique fascinante du règne de Staline et de sa clique, dans un drame grandiose et crapuleux dont le Prologue annonce le mélange d’incroyable brutalité et de non moins inextricable complexité, à croire qu’on est à la fois chez les Atrides et dans l’arrière-cour conchiée de la tribu Deschiens. Dès son avant-propos, l’auteur annonce son intention de couper court à la légende d’un monstre réduit à une « énigme » aussi peu explicable que celle d’Hitler, ou à un « génie satanique », pour lui opposer la réalité d’un « homme de son temps », personnalité certes hypocondriaque et grossière mais exceptionnelle à tous égards, aux multiples visages, à la fois politicien supérieurement intelligent et bourreau de travail sans coeur, jardinier sentimental et potentat ne visant qu’à l’affirmation de son rôle historique, d’un égotisme messianique exacerbé et parlant de lui a la troisième personne comme d’une entité de sa fabrication. Ainsi repondit-il à son fils Vassili, qui prétendait être lui aussi « un Staline », que Staline était le pouvoir soviétique incarné : « Staline est ce qu’il est dans les journaux et ses portraits, pas toi ni même moi »...
Or dès les premières pages, Montefiore rend le personnage extraordinairement présent, autant que sa femme Nadia, qui va se suicider au terme du Prologue, dont la durée recouvre la réunion annuelle et le banquet des pontes du régime fêtant l’anniversaire de la révolution, plus précisément le 8 novembre 1932. En une trentaine de pages denses et formidablement documentées, qui s’achèvent sur une scène de ménage sauvage et pathétique à la fois (Staline jetant pelures d’oranges et mégots à la tête de sa femme pour l’humilier, alors qu'elle-même, inflexible ambitieuse et maladivement jalouse, est en train de basculer dans la dépression), l’auteur rend en outre le climat très particulier régnant alors au Kremlin. La tragédie scellant la fin de cette nuit, dont les circonstances exactes restent encore obscures, coïncide en effet avec un tournant décisif dans l’histoire du régime : c’est le début de la grande famine planifiée (à laquelle Nadia Allilouïeva s’opposait d’ailleurs) et la fin d’une période certes déjà cruelle pour la Russie mais plutôt heureuse pour Staline et les siens. La réaction de Staline lui-même, à la mort de sa femme (qui lui aurait laissé une lettre terrible), oscille entre le désespoir et la rage, la fureur d’être « trahi » et la tentation de se supprimer à son tour – bref tout est en place pour le récit de plus de 700 pages qui va suivre…
Simon Sebag Montefiore. Staline, la cour du Tsar rouge. Editions des Syrtes, 2005.
Commentaires
je trouve que le texte ne répond pas corectement au sujet