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Du communisme réel

Deux livres communicants

  Les hasards de l’édition me font lire, en même temps, deux livres que relient un même thème : la faillite du communisme réel. Le premier, Staline, la cour du Tsar rouge,  est une somme de près de 800 pages, qui nous plonge dans la vie quotidienne du cercle des potentats staliniens, style clan militaro-clérical, fanatiques bâtisseurs prêts à fusiller leur mère pour la cause des Travailleurs, avec lesquels on s’enfonce dans une épouvantable spirale de répression de masse préludant aux procès fratricides et aux exécutions par milliers. L’autre, Loin des forêts rouges,  est un petit récit de Claude Duneton, fils de paysan du Limousin dont l'enfance a baigné dans les grandes espérances nourries par la glorieuse Union soviétique (son père, devenu magasinier chez Renault, voyait en la Russie le paradis sur terre), et qui se retrouve en 1991 à Pétersbourg, dans la cuisine de Tamara, solide blonde de son âge qui lui raconte sa vie de fille de plombier sous le socialisme réel, à cinq personnes dans la même pièces pendant vingt ans.
A lire ces deux livres, on éprouve un sentiment qui ne se retrouve jamais à la lecture de témoignages sur le nazisme: mélange d’accablement, de révolte et de compassion. Même décrits dans le déchaînement de leur paranoïa, les potentats staliniens (et Staline lui-même) conservent quelque chose qui ressemble à de la « bonne volonté ». On me dira que le mal est d'autant plus grave qu'il est commis pour la bonne cause, et que Staline et Hitler c'est du kif (Vassili Grossman l'a d'ailleurs illustré dans Vie et destin), mais je ne crois pas: ce n'est pas du kif, et si ce n'est pas mieux in fine c'est autrechose sur le moment...

Le tableau de La cour du Tsar rouge est extraordinairement détaillé et foisonne d’observations révélatrices. Par exemple celles-ci : que Staline tance Molotov sur son usage incertain du point virgule, en même temps qu’ils planifient la répresion de masse des campagnes ; que tous, bourreaux de travail, se soucient mutuellement de leur santé et de l’éducation des enfants ; que la plupart d'entre eux lisent beaucoup et sont convaincus de servir un Idéal chevaleresque… Nadia, la femme de Staline, ne bronche pas quand on lui annonce la déportation d’un million de paysans, mais ce n’est pas un monstre pour autant, d'ailleurs ces paysans sont des koulaks. Et koulak, dans le catéchisme communiste, signifie exploiteur, vampire. En réalité pour la plupart : petits paysans pauvres qu’on vient dépouiller de leurs biens... et les récoltes de se trouver confisquées et revendues pour doter l’industrie; et la famine organisée de ravager l’Ukraine, dont les habitants seront les victimes d’un massacre sans précédent. Cela non par racisme exterminateur mais au nom de la fraternité !
Et de même est-ce au nom de la fraternité que le père de Claude Duneton voit en Thorez un apôtre de l’Avenir Radieux, sans savoir que le grand Maurice ment aux travailleurs français pour asseoir son propre pouvoir, comme Aragon a menti pour consolider le sien.
A lire ces deux livres en parallèle, le plus curieux est qu’on ne se sent nullement conforté dans ce qu’on appelle l’anticommunisme. Il ne s’agit pas de ça mais de la (re)découverte des ravages de la foi aveugle en quelque idéologie que ce soit, fondamentaliste en religion, maoïste ou fasciste en politique. Mortifère à tout coup. Or il semble dérisoire de se situer pour ou contre, quand on est tellement en deça ou au-delà d'une alternative. La seule question reste de savoir si savoir tout ça nous rendra cynique ou plus lucide dans sa générosité, relativiste au point de se foutre de tout ou politiquement plus conscient et conséquent. Dans L'envie, Iouri Olécha avait déjà tout vu de la fascination des intellectuels pour la force brute, et j'ai vu de mes yeux de grands anticommunistes se tranformer en nationalistes sanguinaires, qui n'avaient pas l'excuse de ne pas savoir. Mais de quel savoir s'agit-il ? 
A ce propos, Claude Duneton observe que ses voisins paysans illettrés, dans le Limousin, résistaient mieux aux sirènes des lendemains qui chantent que son père lecteur. A l'inverse on se rappelle la décision de ne pas savoir du père Sartre à Cuba : mentons au nom de l’Avenir et pour ne pas désespérer Billancourt, ce genre de discours tenus par des bourgeois au nom de l’ouvrier et du paysan. Les plus grands intellectuels ont eu des naïvetés d'enfants de choeur...
Surtout ce qui m’enchante dans ces deux livres, c’est qu’ils sont purs de toute haine, sans ignorer le poison de celle-ci. Lorsque l’effrayant Beria (que Staline appellera « notre Himmler » ) entre dans le cercle des potentats staliniens, Nadejda Staline frémit d’horreur comme lorsque le démon Stavroguine entre dans une pièce, chez Dostoïevski. Elle voit illico « le salaud ». Il y a un diable parmi nous : et Staline le sait. Mais Staline sait aussi que ce démon va le servir mieux que certains de ses amis, que Beria torturera de fait avec un soin particulier. Claude Duneton a été communiste lui aussi, comme tant de jeunes gens de bonne foi - et tout ça me rappelle un premier voyage en Pologne, en 1967, alors que j’avais vingt ans et me croyais si progressiste que j’enjoignais nos hôtes, serrés à dix dans trois pièces, de croire à l’Avenir pour ne pas nous désespérer…
A relever enfin cela d’épatant dans Loin des forêts rouges : que Claude Duneton, qui ne parle pas russe, s’entretient avec Tamara, laquelle baragouine à peine l'anglais. Cela donne donc un échange plus mimé que parlé qui devient, de page en page, une véritable pièce de théâtre. Dans le langage célinien de l’écrivain, on se régale et d’autant plus que Duneton n’est pas du genre à se dorloter de mélancolie…
Simon Sebag Montefiore. Staline, la cour du Tsar rouge. Editions des Syrtes, 792p.
Claude Duneton Loin des forêts rouges. Denoël, 103p.       

 

 

Commentaires

  • Le communisme est un fléau qu'il convient de combattre à chaque instant !

  • Les koulaks "petits paysans pauvres qu’on vient dépouiller de leurs biens..."

    Voici deux autres définitions pour vous.

    "Terme appliqué en Russie à la fin du XIXe siècle à une minorité de paysans qui, amassant de l'argent et pratiquant l'usure, exploitaient et dominaient la masse des paysans pauvres..."
    http://www.universalis.fr/encyclopedie/T318122/KOULAK.htm

    koulak, mot russe signifiant « gros fermier » (1917), peut-être du turc kulak, « poing ». Avant la Révolution bolchevique de 1917, les koulaks, de riches paysans propriétaires, étaient réputés pour leur brutalité. Ils employaient des ouvriers agricoles, qu'ils utilisaient parfois pour brutaliser d'autres personnes (d'où, peut-être, l'emprunt à la langue turque).
    http://fr.encarta.msn.com/encyclopedia_741527019/koulak.html

    Je terminerais par cette citation "Tout écrit politique et historique est marqué par la position de classe de son auteur".

    Il ne fait nul doute que l'on connait celle des auteurs que vous défendez.

    Guillaume

  • Bah, vous définitions "pour moi" ne disent rien de la dérive des mots que leur a fait subir l'idéologie stalinienne, qui a affamé des populations entières de paysans pauvres en usant de la même terminologie, pour ne pas rappeler les "insectes nuisibles" et consorts. Quant à la position des auteurs que je "défends", selon vous, et qui n'ont certes pas besoin de l'être, elle n'a rien à voir avec ce qu'on appelle l'anticommunisme primaire que vous semblez pointer...

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