A La Désirade, ce vendredi 18 novembre. – Il fait nuit sur les monts tandis que l’hiver gagne. A la fenêtre là-bas scintillent, dans le noir où se distingue le contour du lac en ligne noire sur fond noir, le cliquetis-piquetis des lumières d’Evian. Et je lis sous la lampe ces mots d’Yves Leclair écrits de sa Chine pyrénéenne où la neige, dit-on, a déjà recouvert les hauteurs : « La table est vide sous le halo orange de l’ampoule. Profonde obscurité à l’entour : j’y vois plus clair ». Et comme je viens de m’éveiller et que le poète, lui, va se coucher, je lis ensuite ce qui suit comme un écho inverse : « Dernier éveil avant de plonger dans le sommeil : femme, un Dieu clair a laissé son sceau sur ta peau laiteuse comme un point final – un beau grain de beauté dans ta neige, tout près de ton geai bleu ».
Tout à l’heure, nous partirons pour Besançon où se déroulent les Petites Fugues, Rencontres littéraires itinérantes que je vais inaugurer, pour ma part, avec les enfants de Marie-Agnès Pinault, au collège Pergaud de Pierrefontaine-les-Varans. Je m’en réjouis d’autant plus que ma nouvelle qu’ils ont étudiée, L’enfant du Nil, évoque un petit pharaon rencontré dans un obscur caveau de la Vallée des Rois, dont l’œil peint sur son sarcophage continue de scruter notre pauvre monde.
Ce qu’attendant je relève encore ceci, dans le Manuel de contemplation en montagne d’Yves Leclair : « Cela fut pourtant un jour. Ce qui disparaît du langage disparaîtra aussi un jour. Mais c’est en coulant que l’eau retient le reflet des rives ».
Et cela enfin qui me remémore nos rêveries silencieuses au bord du Nil, cette année-là : « Pour quelques ombres perdues – nuées nocturnes dans la barque du vieux nautonier funèbre qui file sur le fleuve noir où la lune brille comme un nénuphar ».
Yves Leclair. Manuel de contemplation en montagne. La Table Ronde 2005, 121p.
Commentaires
Chaque matin, en me levant, j'ai pris l'habitude de consulter ce blog, un geste qui me vient comme un moment de méditation car tant de choses y sont dites. Alors quand il n'y a rien, comme ce matin, même s'il n'est pas encore six heures et demie et que c'est dimanche, je sens comme un vide et je me dis que tenir un blog de ce niveau est un lourd engagement...
Ce que vous notez là, Giovanna, me touche beaucoup, et me terrifie un peu, m'engage surtout. Voilà: j'étais en fugue, au double sens que vous découvrirez...
Que ma remarque ne vous terrifie point, surtout, mais voilà j'ai pris l'habitude, sur le vaste champ de paroles qui m'est offert, de glâner quelques mots qui m'accompagnent durant la journée et comme je lis avant le travail, cela se passe le matin, bien entendu. Quand il n'y a rien, je me sens privée de quelque chose un peu comme si, après avoir trouvé régulièrement derrière ma porte des croissants croustillants et encore tièdes pour mon petit déjeuner, on m'oubliant soudain. C'est finalement une habitude de société de consommation, on prend l'habitude de se faire servir plutôt que de réfléchir par soi-même, on s'en remet à ceux qui savent trouver les mots qui nous manquent...
Bisogna pensarci, me dis-je encore en écrivant cela.