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Ecce Homo


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Que dirait le Christ surgissant, aujourd'hui, dans le Big Bazar préludant à sa naissance, fêtée aujourd'hui comme une opération commerciale entre tant d'autres  ? Qui pourrait le dire, pontife  ou mendiant, mécréant ou fidèle de quelque confession que ce soit ? Voici ce que je me demande depuis tant d'années à vitupèrer les temples de la Consommation, n'oubliant rien des humbles Noëls de notre enfance. Et voilà ce qu'en quelques pauvres mots je confesse de mon Christ à moi... 

Mon Christ à moi est au milieu de nous jusqu’à la fin du monde. Ce matin il se trouvait peut-être à genoux au milieu d’un trottoir lausannois, sous les traits d'une mendiante au regard plein de ressentiment, à ce qu'il m'a semblé, qui m'a fait la maudire et me détourner - et je me le reproche encore à l'instant.
Ce Christ-là avait les mêmes longs cheveux sales que celui qui s’est jeté du pont aux suicidés, en plein Lausanne, il y a trente ans de ça, et dont la vision de la tête ensanglantée, dépassant de la couverture jetée sur son cadavre, me restera toujours présente comme l'icône de la désespérance.
Un autre Christ m’est apparu une autre nuit, à Paris, quand les nautoniers de la Seine ont relevé, des eaux huileuses, ce corps qui s’est défait de ses derniers vêtements au moment où il est apparu dans la lumière lunaire, blanc comme l’ivoire d'une autre vie.
Le Christ est en agonie jusqu’à la fin du monde, et pendant ce temps il ne faut pas dormir, disait à peu près Pascal le croyant, et après lui Chestov mon frère l'hésitant.
Je l’ai vu en agonie au service des soins intensifs d’une division de pédiatrie, crucifié dans le corps d’une petite fille dont les tortures furent exacerbées par l’incurie des supposés patrons, mais soignée tous les jours par des anges soignants. Mon Christ à moi est cette petite fille, mon église vivante est celle des compatissants qui se sont agenouillés autour de sa tombe, et tout le reste n’est qu’un bal de vampires.
Mon Christ est cette petite fille martyre à laquelle je pense en me levant dans la splendeur de chaque matin du monde, présente lorsque je ferme les yeux face à la mer ou lorsque des amants s'étreignent. Mon Christ est ce pauvre sourire au milieu des milliers de visages défilant aux murs des couloirs d’Auschwitz. Faute de croire en la divinité du Christ, je pense que le Christ est notre humanité en devenir, notre salut avant la mort, non pas la force du « Christ des nations » mais la faiblesse du plus humilié et du plus offensé - notre nullité transmuée en aura.


Ecce Homo. JLK. Gouache, 1997.

Commentaires

  • Merci Jean-Louis, c'est un beau texte, une belle vision grande et profonde, je la garderai en mémoire.
    Je t'embrasse. (si tu as renoncé à me couper les oreilles)

  • Merci de votre lecture, cher JLK.

  • Cher Max Dorra,
    Ce n'est pas du tout une lecture mais une modeste amorce. Je vous lis tous les jours avec un profond intérêt et je reviendrai sur votre très beau livre ici et ailleurs...

  • C'est effectivement une belle vision du Christ........
    Mais je préfère l'imaginer plus joyeux, bien que portant le poids des péchés du monde, ce qui n'est pas une tâche facile, loin s'en faut......Il l'a été, je pense, jusqu'au moment où il a eu à faire avec ceux qui ne savent pas ce qu'ils font.
    S'il surgissait aujourd'hui, il ne lui donnerait pas deux jours Dantec? Ca dépend où......Chez moi, sa marginalité ne choquerait personne, c'est bien là la principale beauté de ce pays, sa population et sa tolérance absolue.

    J'ai beaucoup aimé les entretiens avec François Cheng et Michel Serres.

  • Bonsoir Marie, ça me fait drôle de vous dire bonsoir alors que le jour se lève, enfin c'est moi qui me lève très tard ce matin, les montagnes ont un gris de vieux sabre et la lumière sur le lac est argentique comme le désert de Dantec. Nietzsche et Rozanov après lui ont reproché à un certain christianisme d'avoir envoûté le monde avec cette icône de douleurs, et c'est vrai que l'Humanité peut se représenter pieds nus et bienveillante. C'est en somme le concentré de nos lumières que le Christ que j'imagine, mais aussi le concentré de nos réels qui ne sont pas tous les jours de la jonquille. Je vous salue Marie du soir ce nouveau matin où l'abeille de Michaux fredonne:
    Le matin
    Quand on est abeille
    Pas d'histoire
    Faut aller travailler...

  • Salut Jean-Louis ! Je pensais justement à ce texte il y a quelques jours, j'avais envie de le relire, voilà, merci ! Toujours la brume là-haut ?

  • Gruetzi Lieber Raymond,

    Non, l'Office du Tourisme a fait balayer le brouillard et on voyait ce matin les glaciers et la crête blanche de la Blumlisalp, qui signifie Petite fleur de l'Alpe alors que c'est une majestueuse pyramide où divers vaillants jeunes gens ont déjà laissé leur vie précieuse - mais là c'est la tempête qui rapplique sous un vent terrible et charriant avec elle un froid de loup. Passez une belle journée au bord de la Grande Bleue.

  • Ici les nuages bousculent le ciel, branle-bas de combat dans les météores, vent rafraîchissant, mais heureusement ce soir Michel Bouquet joue "L'Avare" au printemps des comédiens !

  • Vous voulez bien faire un peu de place à mon ami ? Pedro Meca, Basque de nationalité espagnole, en France depuis 1952, Dominicain et travailleur social. Sa vie c'est d'être aux côtés des marginalisés... Les Compagnons de la nuit...La Moquette... Des sans-abri y viennent, jouent aux cartes, s'y assoupissent, boivent un café...la rue, la nuit...
    "Il n'y a plus de remède pour ceux qui vont mal. Le travail social n'a plus d'horizon....Croire qu'une vieille femme stérile peut enfanter, comme le raconte l'Evangile, est à peu près du même ordre que se persuader qu'un homme complètement démoli peut un jour se mettre debout.
    Il le fera si nous savons accueillir, voir plus loin que les apparences et contempler, au-delà de l'écorce, l'étincelle que chacun porte en soi.
    Comme le héros de Marcel pagnol, l'être humain est bossu. Mais sa bosse est tout simplement les ailes repliées d'un ange !
    Cette nuit-là, je suis resté allongé sur La Moquette.... Au matin, la femme de ménage m'a réveillé. Un autre jour commence.
    Si longue soit la nuit, elle finit toujours par une aurore."

    "Voilà".... les dernières lignes d'un livre de pauvre publié en 1997, réimprimé en 2003 - Contrebandiers de l'espoir de Pedro Meca - Grasset - 258 pages du cri-silence des sans-voix...édité par Grasset... ma rentrée littéraire de coeur...

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