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Léon Bloy contre le Bourgeois

En relisant l’Exégèse des lieux communs


Avec la même sainte fureur que Pascal en mettait à vitupérer les athées, Léon Bloy s’en prend à celui qui lui semble incarner par excellence l’avatar contemporain du mort spirituel: ce Bourgeois représentant à ses yeux “l’homme qui ne fait aucun usage de la faculté de penser et qui vit ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit”.Encore l’athée de Pascal pensait-il. Tandis que le Bourgeois selon Bloy se contente de répéter quelques formules lui tenant lieu de sagessse.mLe langage de l’athée est sans équivoque. Je ne crois pas en votre Dieu, déclare ce contempteur de la foi et des cultes, ce ne sont là que fables et simagrées. Point n’est besoin de ruser avec lui, sinon par devoir de le convaincre “pour son bien”, et Pascal l’eût exhorté de la même charitable non moins qu’inflexible façon s’il s’était appelé Bertrand Russell ou Jean-Paul Sartre.Mais comment parler au Bourgeois ? Comment se faire seulement entendre de ce juste auquel son formulaire donne réponse à tout ? L’athée de Pascal était encore une individualité, et nous dénombrons autant de formes d’athéismes qu’il y a d’athées. En revanche, on dirait qu’il n’y a personne derrière l’écran que forme le langage du Bourgeois, où grouille cependant une multitude anonyme, confondue dans le même culte du stéréotype.L’athée de Pascal disait encore “je pense que...”, tandis que le Bourgeois selon Bloy se borne à répéter qu’”à ce qu’on dit...”

La lecture de Léon Bloy ne cesse de me partager. Tantôt je lui donne pleinement raison, passant sur son absolutisme et sa sainte fureur, tantôt aussi je me sens me cabrer contre sa façon de s’en prendre à la vie même. Je sais bien qu’il s’inscrit dans la lignée du christianisme le plus radical, mais celui-ci naboutit-il pas à une forme de nihihlisme  ? Et n’y aurait- pas du pharisaïsme dans cet acharnement de Pur, ainsi que le pensait le tranquille agnostique Léautaud, à vrai dire le contraire d'un Bourgeois ?

Bloy se justifie de tout porter à l’extrême au nom de l’Absolu: “Dans l’Absolu, il ne peut y avoir d’exagération”, écrit-il dans son “et, dans l’Art qui est la recherche de l’Absolu, il n’y en a pas davantage”. A l’inverse, le Bourgeois constate que “rien n’est absolu”, et tout est dit de sa philosophie à la petite semaine et de la délimitation de son royaume du relatif, à savoir qu’“on est ce qu’on est”. Or cette feinte humilité n’est que le voile trompeur d’une massive arrogance. De fait, cet accroupissement résigné camoufle le grand refus du Bourgeois de se poser la moindre question, et par exemple celle de son origine ou de ses fins. Par voie de conséquence, “toutes les identités succombent”, souligne Léon Bloy, étant entendu que le hasard seul nous a faits ce que nous sommes, et nullement uniques ou irremplaçables, mais fils de notaire ou de marchande de nouilles comme nous eussions pu naître pieuvre ou punaise.Dès lors, foin d’interrogations oiseuses et qu’on se borne, au lieu de “chercher midi à quatorze heures”, à “faire son trou”. Tel étant le fondement du credo du Bourgeois, dont le premier article recensé par Bloy est que “Dieu n’en demande pas tant”.

Vers les nouveaux lieux communs

Désormais tout un chacun vomit le Bourgeois: tel est le nouveau lieu commun qui annonce l’homme de la Modernité.Le Bourgeois du début du siècle incarnait par excellence le philistin. Même s’il se disait parfois “poète à ses heures”, il se moquait au fond des arts et de la littérature, à l’exclusion des feuilletons boursiers ou légers.En revanche, l’homme nouveau se déclare par avance tout acquis à la cause du poète maudit. Autant le Bourgeois regimbait devant toute forme de nouveauté, autant l’homme de la Modernité la renifle voluptueusement. Matérialiste à tout crin, le Bourgeois chantait des hymnes aux biens de ce monde, tandis que l’homme de la Modernité, quoique connaissant l’adresse des meilleurs traiteurs, se répand volontiers en lacérantes litanies contre le bien-être. Le Bourgeois ne rougissait pas de proclamer qu’on ne peut pas vivre sans argent”, tandis que l’homme de la Modernité se dit le frère des pauvres et le rappelle à tout moment en signant force manifestes surabondant en nouveaux lieux communs dont Jacques Ellul a relancé l’exégèse...

Léon Bloy, Exégèse des lieux communs. Rivages Poche. 

Jacques Ellul. Exégèse des nouveaux lieux communs. Calmann-Lévy.

Portrait de Léon Bloy, par Marc-Edouard Nabe.

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