UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Une écriture à venir

A propos du style de Dantec et d'Houellebecq


A La Désirade, ce mercredi 5 octobre. – Maurice G. Dantec est-il encore un écrivain français ? Je me le suis demandé, en lisant Cosmos Incorporated, alors que je ne cesse de compulser le Dictionnaire égoïste de la littérature française de Charles Dantzig, qui rend compte d’un certain goût, correspondant à une certaine société, laquelle ne me semble pas concevoir que la littérature française puisse, par exemple, recourir à un genre tel que la science fiction. Preuve en est l’article fameux qu’a consacré M. Angelo Rinaldi, académicien et ponte du Figaro littéraire, à La possibilité d'une île de Michel Houellebecq, pour lequel « le recours à la science-fiction est déjà un signe de faillite chez un romancier »...
Jules Verne, de son vivant, fut plus que snobé selon les mêmes critères de la « bonne » et de la « mauvaise » littérature, et le genre, comme le policier, continue d’être ostracisé en France, où un Simenon reste « classé polar» alors qu’il est lu dans le monde entier comme un romancier à part entière. Mais à propos : Dantec est-il un auteur de science fiction ?
Il l’est par ses curiosités et ses hantises physiques et métaphysiques, comme Dick ou Spinrad, Bradbury ou Orwell le sont, exclusivement ou incidemment, mais ce qui échappe évidemment à M. Rinaldi est que la matière traitée par Dantec, autant que celle que transfigure Proust, suppose une transmutation qui ne se limite en rien, dans Cosmos incorporated, à un bon roman de SF tel que le représente Forteresse de mon excellent compatriote Georges Panchard. Dantec use de la SF pour une cause plus profonde et plus folle, qui tient à la fois à une révolte et à un pari de langage. Ce que fait Dantec, dans Cosmos incorporated, avec tout le matériau recueilli et l'effort d'interprétation qui transforment notre rapport à la « création » et au « langage », à l’intrigue romanesque et à ses personnages, est sans équivalent…
A la décharge de M. Rinaldi de l’Académie et du Figaro, je dois avouer que je n'ai découvert que peu de vrais grands auteurs, en SF, si l’on excepte les visionnaires médiévaux à la Lovecraft, les contre-utopistes à la Orwell/Zamiatine/Huxley, les chamans déjantés à la Burroughs/Dick ou les ingénieurs futuribles à la Frank Herbert/Greg Egan. Dans notre langue, c’est à vrai dire bien pire : non seulement les vrais créateurs de SF sont rares, mais les sourciers de langage, style Rabelais/Flaubert/Proust/Céline y sont positivement inexistants, tant dans le roman policier que dans la science fiction ou le fantastique. Houellebecq, pas plus que Dantec, ne font exception dans cette lignée française.
Pourtant Houellebecq et Dantec sont de vrais écrivains, me semble-t-il, qui annoncent quelque chose de nouveau. Tous deux rompent avec la société littéraire française que prolonge Charles Dantzig avec son brio, mais qui me semble en fin de course. L’Académie Goncourt existera-t-elle encore dans vingt ans ? J’en doute fort. Et la confortable référence française qu’incarnent encore François Nourisson ou Jean d’Ormessier tiendra-t-elle  dans dix ans ? Hélas la chair flageole, tandis que nos deux intempestifs  sont en phase de rajeunissement : Houellebecq commence d’en prendre conscience, qui parle maintenant de style tout en se défendant d’être un story-teller , et Dantec mène sa guerre en chevalier solitaire du Sens retrouvé.
Il faut lire Le théâtre des opérations de Dantec pour évaluer la formidable santé de cet écrivain. Dans ce journal d’une densité sans pareille, l'exilé quadragénaire shooté au Temesta et lisant vingt nuit d’affilée pour en tirer d’incroyables synthèses de lecture, se révèle un classique-réaliste d’une netteté parfaite, dont le style est un sabre, sans exclure de lyriques visions du ciel de Montréal ou des femmes à bicyclettes, de sa fille ou de tout ce qui reste son jardin privé, qu’il évoque avec autant de cœur que de pudeur. Ce qu’il observe de la guerre balkanique ou de la faiblesse de l’Europe, est d'un Défenseur, selon la terminologie de Chesterton: un homme de bonne volonté.  Dans ses romans, c’est autre chose : mais comme chez Houellebecq, on sent chez Dantec une énergie et une rapidité qui échappent aux normes de cette « bonne littérature » que nous apprécions assurément tous tant que nous sommes, qui va de Pierre Quignon à Pascal Michard…
La question que je pose n’est en rien périphérique : plutôt elle interroge toutes les périphéries. Dantec stigmatise superbement la faillite de l’Europe des cultures et des visions additionnées, mais aussi de la force affirmée (en 1999) et d’un projet fondé sur des siècles d’expérience. Or, en 1999, Mitterrand pensait attribuer une chaire d’astrologie à Elisabeth Teyssier…
Dantec, dans Cosmos incorporated, parle une langue apparemmen inaccessible à M. Rinaldi de l’Académie et du Figaro, campant sur une conception référentielle et centraliste, hautaine voire exclusive de la littérature de langue française, et pourtant cette écriture cristallise une nouvelle vision de la réalité, dont il émane sens et beauté. Il y a là quelque chose qui va au-delà du « beau style », mais comment ne pas voir qu'une écriture sans frontières se fait jour ?

Commentaires

  • Il semble que vous soyez, heureusement, un peu moins enthousiaste au sujet du "Dictionnaire" de Dantzig que dans votre article de "24 heures" en date du 26 septembre... Il n'y a sans doute pas que du "bonheur" dans ces "mille pages", mais aussi — et surtout — beaucoup de forfanterie, de pseudo-originalité et de jugements parfaitement gratuits...
    C.C.

  • Non et non. je ne suis pas d'accord avec vous, pas plus qu'avec moi. Disons que ça dépend des jours, de ce que je lis de Dantzig et de mon humeur de Gémeaux - je suis du 14 juin, Dantec du 13. Disons que Dantzig est d'avant, et que j'aime cet avant, et que Dantec est d'après, qui m'intéresse à vrai dire plus. Lorsque Tolstoï se passionne pour le Journal d'Amiel, il ne voit pas que celui-ci est "un Suisse", tandis que Dantzig ne voit que cela, comme il réduit beaucoup de ce qu'il approche à son étroitesse aiguë. Mais celle-ci est rare aujourd'hui et me touche, comme un goût partagé de jeunesse. C'est pourquoi je lui passe ce que vous dites de la forfanterie, que j'avais observé chez Dominique de Roux et chez Marc-Edouard Nabe, ces grands garçons agités au style voyant. Quant aux 1000 pages de bonheur, vous avez raison de me les reprocher. L'enthousiasme aveugle souvent, mais j'assume comme on dit: je préfère ce genre de nigauderie à l'indifférence ou au blasement. Cela étant je m'en étais fait le reproche avant que vous ne la rameniez, fâcheux Constantin que vous êtes...

  • Vous avez écrit qu'il n'y a pas en France surtout de grands auteurs de Sf ni de grands maîtres de la langue. Je ne peux donc que vous encouragez à aller lire "Dreamericana" de Fabrice Colin, roman de Sf brilliant et formidablement écrit qui s'interroge avec une rare lucidité sur la notion de réalité. De même, "Délius, une chanson d'été" et surtout "Acide Organique" de David Calvo font tout deux preuves d'une maîtrise du style peu commune. Il y a encore bien d'autres grands auteurs de Sf français malheureusement moins connus que Dantec.

  • Merci pour ces diverses pistes...

Écrire un commentaire

Optionnel