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Contre l'exclusivisme

 

Des imprécateurs et de la nuance, de l'intimité et de la femme

A La Désirade, ce samedi 8 octobre. – Les montagnes de Savoie ont ce matin un extraordinaire relief , alors que l’oblique lumière d’automne éclaire chaque détail des deux rives, du port de Clarens à celui de Saint-Gingolph en face, avec une netteté qui cisèle aussi la fine dentelle des feuillages d’or rouillé et souligne les verts encore intenses du val suspendu que nous surplombons de notre balcon en lisière de forêt.
Or contemplant cette image tissée de temps et me rappelant ce que dit Michel Serres des multiples temps, justement, qui tissent un paysage, je me suis retrouvé dans un état de silencieuse songerie qui me remplit à la fois de reconnaissance et me conforte dans la conviction que ce tissage quotidien de tous les temps du Grand Récit de la nature ou de l’Histoire (le château médiéval de Chillon jouxtant là-bas le viaduc de l’autoroute), des vies singulières des braves gens qui vaquent alentour, et de nous aussi, de nos enfants qui s’en vont pour en amener peut-être d’autres au monde, du chien Fellow et de la mésange Zoé, enfin des dizaines de milliers de livres dont les voix bruissent autour de nous, constitue à la fois le livre du jour et le nuancier approprié à l’écriture ou à la peinture du jour.
En repensant aux intempestifs et aux péremptoires que j’ai lus (ou relus) ces derniers jours, de Houellebecq à Joseph de Maistre et de Dantec à Léon Bloy, je me suis dit que c’est cela qui me manquait chez ceux-là : le détail et la nuance, ou plus encore : l’intimité. Des imprécateurs que je connaisse, seul Vassily Rozanov allie, avec son génie de l’immédiateté saisie dans l’instant, l’Idée et le Sentiment ; la Passion et la Compassion - et la femme est toujours proche chez l’auteur de Feuilles tombées, incarnation même de l’intimité.
Dantec s’en prend souvent et violemment, dans Le théâtre des opérations, - dont le titre guerrier annonce la démarche, et qui me passionne sans me convaincre toujours -, au nombrilisme de la littérature française actuelle. Je partage en partie son point de vue, mais en partie seulement, car la réalité est mille fois plus riche et nuancée, autant que le paysage de ce matin, comme est plus riche et nuancée la littérature anglo-saxonne contemporaine, qu’il réduit à peu près au roman « pop » des Burroughs, Dick, DonDeLillo et Ballard.
J’aime que la littérature française oppose le fulminant Léon Bloy et les non moins tonitruants Tailhade ou Vallès, conformément au dualisme propre au pays de Descartes, mais j’aime aussi me rappeler une bonne conversation avec François Cheng qui me faisait l’éloge du regard tiers, et voici le paysan parisien Marcel Aymé ou le docteur Anton Pavlovitch Tchekhov, ou ce maître de toutes les nuances nettement dessinées que figure à mes yeux William Trevor, pour s’inscrire en faux contre tel esprit binaire et réducteur, tel froid de tels discours.
Dominique de Roux me disait un jour qu’une femme, ayant engendré, ne pouvait être dupe de certain langage exclusiviste et absolutiste, et il savait de quoi il parlait… De la même façon, Vladimir Volkoff me confia sa conviction qu’un bon roman était celui-là seul dont les femmes existent. Pathétique aveu, soit dit en passant, de la part d’un romancier super-mec dont aucun personnage féminin n’a de réelle épaisseur… Bref, je ne prône pas l’enjuponnement de la littérature, mais je me rappelle quelques vérités, ou ce que je tiens pour telles, apprise au fil de la vie et, depuis vingt ans et des poussières, auprès de ma bonne amie...

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