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Un visionnaire apocalyptique


Cosmos incorporated de Maurice G. Dantec déploie une sombre fresque mêlant conjectures scientifiques et féerie poético-mystique

C’est un voyage extraordinaire, à la fois au sens où l’entendait Jules Verne, et pour la nouveauté des espaces imaginaires qu’il ouvre dans la tête du lecteur, que nous propose le dernier roman de l’écrivain français en exil (lire encadré) Maurice G. Dantec, brassant un savoir impressionnant dans un thriller d’anticipation qui joue à la fois sur les ressorts « naïfs » du genre, la vision géopolitique catastrophiste d’un futur proche (vers 2050) et une extravagante histoire de démons et d’anges « quantiques » puisant aux deux sources de la conjecture scientifique et du symbolisme mystique. Le cocktail molotov des références du romancier, imbibé de rock anglais des années 80, de contre-utopie littéraire (du côté de William Burroughs et Philip K. Dick) et citant saint Augustin, Nicolas de Cues ou Giordano Bruno, pourrait alimenter le pire kitsch post-punk ou cyber-new age, et pourtant il n’en est rien. Ce roman saisit en effet par le sentiment du tragique qui l’inspire, sa révolte fondamentale contre le suicide spirituel de l’humanité, et la poésie, la beauté novatrice de sa forme.
On entre dans Cosmos incorporated comme en un cauchemar éveillé. D’emblée on ressent la même oppression que dans 1984, à cela près que Big Brother contrôle ici la totalité de l’individu, scanné jusqu’à son ADN et manipulé du dedans par nano-contrôle. Le début du roman mime une Genèse dont l’Adam se nomme Plotkine, né en 2001 en Sibérie et en principe âgé de 56 ans mais rajeuni par deux cures transgéniques. Tout cela qu’il apprend en même temps que le lecteur : à savoir qu’il est mercenaire d’un certain Ordre, chargé de liquider le maire de la ville-champignon de Grande Jonction, en territoire mohawk, surgie après la destruction des principales métropoles américaines, au terme des « années noires » (500 millions de morts) marquées par le Grand Djihad, la Deuxième guerre de sécession américaine et l’instauration d’une paix provisoire à l’enseigne du consortium mafieux de l’UniMonde Humain (UMHU)
Grande Jonction, où se passe le roman, est à la fois un Vegas post-atomique bordélisé (« partout, sexe, drogue, musique, pognon, partout baise-moi, shoote-moi, bouge-moi, achète-moi ») et le tremplin vers une île possible du cosmos d’où s’envolent à tout moment d’étincelantes fusées. Un premier saut « quantique » est franchi par la narration lorsque, descendu à l’Hôtel Laïka pour y préparer sa mission, Plotkine y rencontre Vivian Mc Nellis, jeune fille tombée du ciel avec son frère Jordan, comme une paire d’anges. Mais Vivian n’est pas qu’un ange : elle est la mère virtuelle de Plotkine, puisque c’est elle qui écrit son histoire, qu’elle va l’enjoindre de vivre lui-même au titre d’homme libre - la fiction devenant réalité. Tueur de l’ancien monde, Plotkine assumera de fait, par la grâce de Vivian, le rôle sacrificiel du croisé chargé de « baiser la Métastructure », monstrueux système d’aliénation mondialisée, avant de se faire exécuter pour trahison de l’Ordre.
Sous le titre de Process, la troisième partie du roman introduit le personnage de l’Homme-Machine (un enfant doté de tous les sexes et de 99 noms virtuels, le 100e relevant du Secret), dont Plotkine va court-circuiter le programme mortifère. Quant à la fin de Cosmos incorporated, aboutissant à la fois à la fin du monde « réel » et à un mystique retournement («l’Amour tue la Mort, l’Amour est capable de vous rendre insensible, non à lui-même mais à son antimonde (…) seul l’Amour est réel…», elle consomme la réussite de ce livre inspiré, aux personnages spectraux mais aussi attachants que les héros de notre candide jeunesse. Jamais, depuis les polars « théologiques » d’un G.K. Chesterton, un auteur n’avait combiné ainsi la narration la plus « populaire » et une si profonde réflexion.
Sa dernière partie, malgré sa vision catastrophiste, est d’une poignante humanité, notamment lorsque Dantec parle de « la beauté intrinsèque que ne parvenaient pas à souiller les abominations de l’homme » ou, tout à la fin, quand il évoque une dernière voix sur Terre, « celle qui fait de chacun d’entre nous autre chose qu’une routine dans le programme, autre chose qu’une boîte dans un ensemble infini de boîtes, autre chose qu’une machine dans la mégamachine»…
Or cette voix, censée se taire au terme apocalyptique de Cosmos incorporated, est celle-là même du romancier, dont la parole nous semble à la fois « inouïe » et vivifiante.

Maurice G. Dantec. Cosmos incorporated. Albin Michel, 568p.

Le croisé sans église
Depuis son exil au Canada, en décembre 1998, la publication des deux volumes du Théâtre des opérations, son monumental journal « métaphysique et polémique », et diverses interventions médiatiques où il s’est (notamment) posé en défenseur de l’Occident favorable à l’intervention américaine en Irak, très virulent à l’encontre de l’intelligentsia « humanitaire »,  Maurice G. Dantec est devenu la cible de non moins violentes attaques, incriminant son « islamophobie », voire son « fascisme ».
Or s’il est vrai que sa vision géopolitique, assimilant le terrorisme islamiste à un déferlement apocalyptique de masse, peut faire conclure à un délire « islamophobe » comparable à celui de Céline prophétisant l’arrivée des Chinois à Meudon, la composante « fasciste » est inexistante chez lui, comme le prouvent les innombrables développements de son journal, absolument antinazis. Son « sionisme » récemment déclaré en fait-il alors un « fasciste » pro-israélien ? On en jugera à la lecture du troisième tome du Théâtre des opérations…
Ce qui est sûr, c’est que Dantec, nourri de Joseph de Maistre et de Léon Bloy, est idéologiquement un réactionnaire du feu de Dieu… mais  mille autres choses encore : un artiste, un romancier, donc un medium, un sismographe, un chaos vivant, aussi fulminant et contradictoire qu’un Bernanos, un croisé sans église à genoux dans les décombres…

Ces deux articles ont paru dans le quotidien 24 Heures, en date du 4 octobre. Le lecteur de ce blog qui a eu la patience de lire les notes de lecture qui précèdent appréciera (ou pas) le travail de laminage que représente un tel résumé de résumé, visant un journal à large diffusion... La photo, signée Richard Dumas, a été piquée par l'auteur de ces lignes dans le Magazine littéraire, qui consacre deux belles pages à Dantec dans sa dernière livraison.

 

Commentaires

  • Céline ne s'est point planté... les Chinois arrivent... et l'ONU a tout de même mis en tête de liste des problèmes à régler le Fascislamisme en tant que menace prioritaire sur les démocraties et le monde pour les 20 prochaines années... disons juste que...ce n'est pas rien...

    Bien à vous...

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