Souvenir d'une rencontre. Walter Bonatti (1930-2011) fait actuellement l'objet d'une exposition au (magnifique) Musée de Zermatt, et le Festival du film alpin, aux Diablerets, lui a rendu hommage en projetant ses films.
Walter Bonatti représentait, à nos yeux de jeunes fous de montagne, le héros parfait comme on n’en voit plus aujourd’hui, et lui restait à part, solitaire comme il l’avait été dans ses plus grandes premières, et je l’avais maintenant en face de moi, plus court sur pattes que je ne me l’étais imaginé mais splendide en ses proportions, solide et net, inspirant aussitôt la confiance mais sans flatterie, aimable et bientôt fraternel quand je lui eus dit notre fascination pour la rectitude de ses itinéraires, aux Drus ou au Grand Capucin et à la face nord du Cervin, et la beauté de ses livres aussi.
Deux heures durant ainsi, dans son bivouac milanais de deux petites pièces sis à je ne sais plus quel étage perché d’un vilain immeuble que son ami Buzzati aurait pu représenter dans ses Enfers du XXe siècle, nous avons parlé de notre passion commune mais aussi des terres lointaines qu’il écumait désormais en reporter indépendant.
Une ombre cependant à passé sur son visage de vigoureux sexagénaire aux yeux d’un noir ardent, lorsque nous avons évoqué les attaques sordides dont il fut l’objet après l’expédition au K2, de la part de coéquipiers envieux. Or, trente ans après les faits, on sentait que cette vilenie lui avait laissé plus qu’une cicatrice: une rage tenace contre ceux qui ne jouent pas le jeu, et c’est ce qui le mobilisait encore dans ses reportages évoquant les beautés de la planète, mais aussi les déprédations de notre espèce.
En 1965, le grand Walter tirait sa révérence, au lendemain d’un ultime exploit solitaire en hivernale de la face nord du Cervin. “Je mettais ainsi fin à un alpinisme vécu pendant de nombreuses années à l’extrême marge des difficultés. En prenant congé de « mes » cimes, là-haut, je me garantissais avec cet adieu le souvenir le plus intense”, devait-il écrire plus tard dans son autobiographie. Désormais, il allait parcourir le monde en tant que reporter très soucieux des problèmes écologiques de notre chère planète, avec ce même esprit d’aventure et de liberté.
“Dino était un génie”, me dit-il après que je lui eus raconté ma découverte du Désert des Tartares sur le parcours de la Haute Route, un jour que nous étions immobilisés par le blizzard. “Dino Buzzati cachait, sous son air un peu glacé de Monsieur toujours tiré à quatre épingles, le chaos de tous les vrais artistes sensibles, avec des histoires de femmes très compliquées, des révoltes de jeune homme et des rires d’enfant. J’aimais beaucoup ses silences, lorsque nous étions ensemble en montagne...”
sa concision.
Commentaires
Tres bel article.