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Pour l'amour de soi

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Des «Chants de l’amour de soi» à «Ceux qu’on oublie difficilement», le jeune poète japonais Takuboku (1886-1912) nous reste plus proche, en sa rage individualiste, que maints de nos contemporains confits de narcissisme insipide…
 
 
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Ishikawa Takuboku pleure beaucoup dans le cycle poétique de L’Amour de moi – titre choisi dans la traduction fort élégante de Tomoko Takahashi et Thierry Trubert-Ouvrard, auquel Yves Marie-Allioux, moins littéraire et probablement plus proche de l'original, préfère les Chants de l’amour de soi, constituant la première partie du recueil intitulé Une poignée de sable, désormais classique de la poésie japonaise au même titre que l’œuvre d’un Rimbaud.
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Un tanka résume le mélange très particulier de tristesse et de drôlerie qui caractérise le ton du jeune poète mal dans sa peau de citoyen révolté, de mari et de père: «Larmes larmes / Que c’est mystérieux ! / Comme je le lavais avec des larmes mon cœur a voulu faire le pitre»…
Dans la foulée, on peut rappeler que le tanka est un bref poème traditionnel, de forme un peu plus ample que le haïku, et passablement rénové par Takuboku qui l’accommode à tous les instants fugitifs ou transitoires de la vie quotidienne, entre autres «minutes heureuses» et cris ou chuchotements.
Larmes du fils: «En salivant sur un morceau de terre / j’ai modelé une effigie de ma mère en train de pleurer / Non mais quelle tristesse!» Ou encore : «Pour plaisanter j’ai pris ma mère sur mon dos / elle était si légère que j’en ai pleuré / avant d’avoir fait trois pas»…
Larmes ravalées. «Ressentant une angoisse profonde / je me fige / et finis par me masser doucement le nombril». Larmes de l’esseulé: «Seul face à l’immensité de la mer / sept huit jours / pour pleurer j’aurai quitté mon foyer». Larmes de crocodile métaphysique: «Oh la tristesse de ce sable sans vie! / Ce doux bruit / quand on le saisit avant qu’il ne tombe d’entre les doigts».
Ou cette lucidité sur soi qui est le contraire du narcissisme complaisant: «Lorsque j’entends des flatteries / de colère se soulève mon cœur / Trop se connaître soi-même quelle tristesse!».
Ou cette bonne rage contre ceux qui l’ont humilié: «Ah que ceux qui ne fût-ce qu’une fois m’ont fait baisser la tête / que tous ces gens crèvent! / m’est-il parfois arrivé de souhaiter».
Ou cette colère du jeune homme contre la société inégalitaire et matérialiste qu’il exècre: «Insupportables sont les visages serviles de mes compatriotes / tels qu’ils apparaissent à mes yeux aujourd’hui / je m’enferme chez moi»…
 
Unknown-1.jpegPhosphorescences quotidiennes
Les citations des Chants de l’amour de soi que je viens de recopier ici proviennent de la version d’Une poignée de sable signée Yves-Marie Allioux, qui a accompagné sa traduction d’une série de notes explicatives très précieuses et d’une postface non moins éclairante, intitulée Ishikawa Takuboku ou la phosphorescence de la vie courante, par allusion au discours prononcé à Stockholm par Patrick Modiano à la remise de son prix Nobel de littérature.
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Cet extrait en oriente le propos: «J’ai toujours cru que le poète ou le romancier donnaient du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales – et cela à force de les observer avec une attention soutenue et de façon presque hypnotique. Sous leur regard, la vie courante finit par s’envelopper de mystère et par prendre une sorte de phosphorescence qu’elle n’avait pas à première vue mais qui était caché en profondeur. C’est le rôle du poète et du romancier, et du peintre aussi, de dévoiler ce mystère et cette phosphorescence qui se trouvent au fond de chaque personne»…

Où la poésie transcende la méconnaissance

L’idée que la poésie ne soit qu’une sorte d’enjolivure du réel, ou qu’un rébus cérébral à usage d’élite, perdure aujourd’hui du plus basique (la pseudo-poésie déferlant sur les réseaux sociaux) au plus raffiné (la «poésie poétique» plus ou moins instituée), et c’est contre cela que réagissait Takuboku en affirmant que «la poésie ne doit pas être une soi-disant poésie» mais «doit être une relation rigoureuse des variations de la vie émotionnelle de l’être humain (il doit toutefois exister une expression plus adéquate), un journal tenu en toute honnêteté»...
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