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  • Chemin faisant (57)

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    Alchimie des noms. - L'idée d'aller au hasard, sans but précis, après avoir quitté ce coeur présumé de la Suisse mythique, avec l'envie tout de même de retrouver certains lieux d'élection personnelle, du côté de l'Engadine où la lumière est si limpide, là-bas où le Nord le cède au Sud,  entre Sils-Maria et Soglio dans le val Bregaglia - cette idée, ou plus exactement ce sentiment ne pouvait pas ne pas céder à l'appel des noms, et le premier fut celui de Maderanertal, signalé à l'échappée de la funeste autoroute du Gothard où je m'étais engagé très imprudemment.

    J'écris bien: la funeste autoroute du Gothard pour ce que cette voie de l'actuel grégarisme impose: pare-chocs contre pare-chocs, camions de brutes et tunnels asphyxiants, et cette évidence odieuse que le consentement est obligatoire à l'exclusion de toute alternative. De quoi se flinguer s'il n'y avait pas sur l'autoradio les voix en alternance de Rossini et de Michael Lonsdale lisant La Recherche, ou de Billie Holiday ou de Lightning Hopkins - et tout soudain la tangente ouverte par le nom de WASSEN et cette autre promesse éventuelle du MADERANERTAL...  

     

    Balades03.jpgAu val farouche.- Il y avait de quoi s'étonner, sans doute, de ce que, parallèlement à la funeste autoroute du Gothard dont l'encombrement vaudrait des heures d'attente à ceux qui s'y agglutinaient, sinuait la plus aimable route nationale, fluide comme une onde, où je me lançai donc  avec allégresse jusqu'au pied des roides premières pentes où zigzaguait, presque à la verticale, la route latérale du fameux Maderanertal annoncé. J'écris fameux non sans ironie, sachant le val farouche absolument ignoré de la horde autoroutière, accessible en circulation alternée tant sa route vertigineuse est étroite, défiant tout croisement et entrecoupée de minces galeries donnant sur le vide, mais accédant finalement à la merveille d'un val suspendu largement ouvert à l'azur.

    Or progressant le long de cette corniche taillée en pleine roche, je me rappelai les mots du bailli Gessler, au début du Guillaume Tell de mon compère René Zahd, maudissant "cette nature sauvage faite pour les ours". Et je me  dis alors  que l'étranger, pas plus que le bailli autrichien, ne comprendrait jamais vraiment la Suisse profonde  sans être monté, loin des banques et des kiosques à chocolat, jusqu'au cirque solaire de Derborence par la sombre faille qui y conduit, ou sans entrevoir au moins une fois, comme l'a déploré le vilain Gessler, "ces montagnes qui tombent à pic dans des lacs sournois, ces brumes qui cachent les dangers", mais aussi ces hauts gazons où l'on se sent mieux "capable du ciel"...

     

    Vernet11.JPGCrépuscule sur Olivone. - Le jour déclinant, quelques heures plus tard, deux autres noms m'ont détourné de la route des Grisons que j'avais rejointe par le col de l'Oberalp, du LUKMANIER et d'OLIVONE. Et là, c'était le souvenir des deux autres amis, le peintre Thierry Vernet et sa conjointe Floristella, qui m'a fait aller plutôt vers ce col accédant au Tessin, et cette fois encore, comme à chaque fois que mon regard se tourne vers leurs tableaux, il me sembla communier  avec ces si chers disparus. D'abord avec les verts, prodigieusement intenses, pour ainsi dire irlandais, des pentes septentrionales du Lukmanier - et la je m'arrêtai à Baselgia, dont le nom chantait aussi dans mon souvenir, lié au titre de quelque toile de l'un de nos deux amis artistes, pour y visiter une chapelle à lumière d'éternité. Ensuite, par delà le col, les pins succédant aux sapins, avec la lente et sublime descente vers Olivone où je savais retrouver le décor, à la fois épuré et flamboyant en ses couleurs, de celui des tableaux de Thierry que j'ai toujours préféré dans son mélange de contemplation et de fulgurance, évoquant le crépuscule en incendie de couleurs...     

     

     

  • Suter casse la banque

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    Le grand retour de Martin Suter avec Montecristo, thriller financier aux personnage très bien campés, sur un thème combien actuel. 

    Prévoyez quelques heures de lecture non-stop pour le nouveau roman de Martin Suter, que vous ne lâcherez plus après vous y être lancé !

    On retrouve en effet, avec Montecristo, le romancier formidable de Small World, premier roman évoquant les vertiges psychiques de la maladie d'Alzheimer, qui  a révélé l’auteur en 1998, lequel, depuis lors, a acquis la maestria d’un grand pro de la narration populaire,au bon sens du terme, mais avec des variations d'intensité. 

    Ainsi, la récente série policière liée à l’inspecteur Allmen ne m’avait pas vraiment convaincu en dépit de ses attraits variés, un peu trop fabriquée à mon goût. Avec Le Cuisinier, déjà, j’avais un peu regretté de ne pas retrouver le vivacité d’observation parfois grinçante des titres précédents, de La Face cachée de la lune  au Dernier des Weinfeldt, en passant par Un ami parfait, notamment. 

    Or Montecristo nous ramène au plus acéré de l'observation des mécanismes sociaux, psychologiques et financiers du monde actuel, dans un roman aux rebondissements constants et aux personnages finement détaillés.

    Sur fond de crise financière mondiale, où deux des plus grands établissements bancaires suisses vacillent au bord de l’abîme, non sans impliquer évidemment la Banque nationale elle-même, Martin Suter imagine les séquelles d'une double bavure monumentale, liée d’une part aux actions à hauts risques d’un brillant trader, et d’autres part, à la solution désespérée (et hautement illicite) que les banquiers imaginent afin de combler le trou de plusieurs milliards creusé par les menées de cet aventurier de la finance.

    Montecristo est un thriller sans faille, qui revisite la Suisse au-dessus de tout soupçon du camarade Jean Ziegler dans la foulée d’un journaliste vidéaste cachetonnant dans la télé people tout en rêvant de tourner un vrai film dont le scénar s’inspire du roman fameux de Dumas, impliquant un jeune Helvète piégé enThaïlande pour possession de drogue glissée par des tiers dans ses bagages.

    Parallèlement, le protagoniste se découvre par hasard en possession de deux billets de 100 francs suisses absolument identiques, qui l’engagent dans une investigation aux implications énormes.

    Comme dans les meilleurs romans de Martin Suter, l’intérêt de Montecristo  tient à la fois à la rigueur de son observation de plusieurs milieux (ici, la banque, les médias et le cinéma), fondée sur la connaissance et l’expérience de l’auteur (on sait qu’il fut un chroniqueur économique pertinent voire mordant avant de passer au roman), la qualité de sa dramaturgie et la fine psychologie qu’il montre dans le développement de ses personnages, enfin la swisstouch de son univers qui relance les fables d’un Dürrenmatt en plus soft et en plus glamour avec, en l’occurrence, une Marina plus qu’avenante…

    Bref, c’est de la toute belle ouvrage que Montecristo, dont l’intrigue se dénoue d’une façon propre à rassurer tout le monde, non sans ironie cinglante… 

    images.jpgMartin Suter, Montecristo. Traduit de l’allemand par Olivier Manonni. Christian Bourgois, 337p.  

  • Lectures de l'éléphant

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    Firme JLK. Lectures de septembre / octobre 2015.

     

    Dante. La Divine Comédie Le Purgatoire.GF.

     

    Proust, LeTemps retrouvé. Laffont / Bouquins.

     

    Swift. Voyages de Gulliver. Folio.

     

    Jules Renard. Oeuvres. Pléiade.

     

    Paul Morand. Nouvelles complètes I, Pléiade.

     

    John Cheever. Collected Stories. E-book.

     

    Peter Sloterdijk. Tu dois changer ta vie. Maren Sell / Libella.

     

    Naami Klein. Tout peut changer. Actes Sud.

     

    René Girard, Les feux de l’envie. Grasset.

     

    Pierre Boncenne. Le parapluie de Simon Leys. Rey.

     

    Simon Leys. Ecrits sur la Chine. Laffont /Bouquins. 

     

    Martin Amis. La zone d’intérêt. Calmann-Lévy.

     

    Patrick Roegiers. L’autre Simenon. Grasset.

     

    Amélie Nothomb. Le crime du comte Neville. Albin Michel.

     

    Joël Dicker. Le Livre des Baltimore. De Fallois.

     

    Martin Suter. Montecristo. Bourgois.

     

    Boualem Sansal. 2084. Gallimard.

     

    Charles Dantzig. Histoire de l’amour et de la haine. Grasset.

     

    Jacques Vallotton. Jusqu’au bout des apparences. L’Aire.

     

    Toni Morrison. Délivrances. Bourgois.

     

    David Grossman. Un cheval entre dans un bar. Seuil.

     

  • Chemin faisant (56)

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    Seelisberg, ce 13 septembre 2013. - Du sentier sinuant au bord du ciel on voit, trois cent mètres plus bas, la petite prairie au tendre vert inclinée vers le lac qu'on appelle Rütli (plutôt Grütli en Suisse romande) et qui symbolise géographiquement et sentimentalement le mythe fondateur helvétique. L'eau de cette partie la plus méridionale du lac des Quatre-Cantons paraît de là-haut d'un vert sombre tendant au noir, sur lequel les bateaux tracent des sillons argentés. Or j'ai beau me sentir peu porté à l'extase patriotique convenue : la magie du lieu ne me saisit pas moins par sa pureté sauvage échappant aux chromos  touristiques. Le lieu n'a rien à vrai dire de pittoresque: il est mythique.

    La seule fois que j'étais monté au Rütli, il y a quelques années, depuis le débarcadère, c'était pour y assister à une représentation du Guillaume Tell de Schiller, dans une mise en scène au goût du temps. Des voix conservatrices avaient crié au scandale avant même le spectacle réalisé, qui plus était, par des "étrangers", mais la pièce en sortait au contraire épurée et touchant mieux à l'universalité de la légende. Et la nuit d'été, comme suspendue hors du temps, avait magnifié le souffle du verbe accordé à la magie du lieu.    

    Tell.jpgTel est Tell. - Je ne pouvais mieux tomber que sur l'hôtel Tell de Seelisberg pour y passer la nuit, ayant à lire la dernière pièce de mon cher compère René Zahnd, précisément consacrée à Guillaume Tell. La coïncidence était épatante, et d'autant plus que René, dont la dernière pièce jouée, Bab et Sane - dialogue savoureux de deux gardiens de la villa lausannoise de Mobutu, qui a beaucoup tourné en nos contrées et en Afrique -,  a toujours cultivé le goût libertaire des personnages hors normes (d'Annemarie Schwarzenbach à Thomas Sankara) dont Tell est une sorte de parangon.

    Lisant donc cette nouvelle pièce, j'ai été heureux d'y retrouver un coureur des cimes sans bretelles suissaudes "typiques", chasseur sans terres bondissant sur les crêtes au dam de ses dames épouse et mère, m'évoquant la figure du contrebandier Farinet de Ramuz ou l'homme des bois de Dürrenmatt. D'ailleurs René me l'a confirmé par SMS après que je lui ai balancé mes premières impressions: "G voulu en faire une espèce de chaman"...

    En outre la story de notre héros national d'improbable origine est bien là avec sa galerie de fameux personnages, du bailli Gessler flanqué d'un ange de noir conseil, soumettant la piétaille locale à sa férule tyrannique, aux Confédérés ligués sagement ou sauvagement selon leur âge, en passant par les femmes dont les choeurs modulent les peines et la révolte.  

     

    Balades06.jpgLe miel du gourou. - Le lieudit Seelisberg désigne la montagne au petit lac dont on découvre en effet, dans un sorte d'écrin de verdure bleutée, les eaux absolument limpides qui accueillent, comme dans l'orbe parfait d'un miroir, le reflet dédoublé des monts alentour et du ciel. D'une parfaite sérénité, l'endroit porte naturellement au recueillement.

    Mais c'est l'invite à une autre forme d'élévation spirituelle qui se matérialise, à quelque distance de là, au lieudit Sonnenberg (montagne du soleil), sous la forme d'un bâtiment tenant à la fois de l'ancien palace alpestre (ce qu'il fut en effet) et du temple New Age à dorures, à l'enseigne de la Méditation Transcendantale de l'illustrissime Maharishi Maesh Yogi.

    Hélas, comme je restais encore sous le charme du petit lac magique, je n'ai fait que passer dans le hall d'entrée de cet établissement m'évoquant une sorte de clinique de luxe (une affiche voyante y annonce 24 Heures de bien-être par jour à grand renfort d'Ayurveda) ou de centre de congrès occultes. Du moins me suis-je  incliné, respectueusement, devant l'effigie du feu gourou, non sans emporter l'utile documentation consacrée à la commercialisation mondiale de son miel védique, garant de longue vie et de paix entre les peuples. À ma connaissance, ledit miel védique, Maharishi Honey, n'est pas encore coté en Bourse. On peut cependant commander son pot sur le site www.MaharishiHoney.com...MaharishiHoney.jpgMaharishi.png

  • Chemin faisant (55)

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      Gatsby. - Il ne m'a fallu que le retour à quelques pages du Great Gatsby pour me rappeler cette évidence: que ce qui nous touche vraiment en littérature, et donc dans la vie, ou inversement, est une affaire d'anges.  Je me le disais déjà hier en relisant un récit de Tchékhov intitulé Ceux qui sont de trop, et cela m'est encore plus clair à la lecture de Fitzgerald: que nous crèverions sans les anges.

    Cela n'a rien à voir avec ce qu'on décrie justement comme angélisme, au sens d'une idéaliste suavité ou d'une innocence fantasmée de bambins béats: cette bimbeloterie odieuse propre aux mères américaines et à leurs clones n'a rien de commun  avec les anges de tous âges et conditions que je dis, qui en bavent le plus souvent plus que les autres et sont parfois teigneux voire affreux.

     

    L'affreux et teigneux Charles Bukowski, par exemple, est de ces anges au même titre que ce snob gigolo de Rainer Maria Rilke ou que cette punaise de Simone Weil ou que cette harpie de Patty Higsmith ou que le calamiteux Rimbaud - tous ayant en commun le même don d'illumination et la même grâce diffusée par Scott Fitzgerald quand il capte la douleur sous le lipstick.

    Le prétendu romantisme glamour des années 20 aux States est évidemment une foutaise, et particulièrement au cinéma, et plus précisément encore dans le film Gatsy le magnifique de Baz Luhrmann, mais sous l'or cosmétique dont on a pommadé le visage plébéien de Leonardo di Caprio se perçoit néanmoins un rien de frémissement angélique qui se retrouve ici et là dans les regards de Daisy ou dans le rien de folie ou de délicatesse échappant à l'écrasement de la machine hollywoodienne dont on se rappelle en passant qu'elle a laissé le poète crever comme un chien.

     

    Angetombé.jpgLes agités. - L'obstacle majeur à la diffusion lumineuse de l'ange -  ce qui revient à parler de l'art ou de la poésie -, est l'agitation imbécile, laquelle procède de la vanité et de l'envie, qui participent elles-mêmes des composants de la basse passion de posséder ou de soumettre ou de s'en mettre pleine la panse ou de s'éclater comme on dit.

    Les Anges de la télé  figurent cette agitation au pinacle de la stupidité médiatique. Cependant le rejet vertueux ou la moquerie me semblent insuffisants. Je me disais même, hier soir, que les meufs et les mecs "élus" sur le plateau de cette émission d'une débilité extrême, sont peut-être, quand même, quelque part, des anges - je me disais que chacun de ces pantins laqués ne ferait pas de vieilles osses dans cette arène du Rien et dans l'immédiat je saluais avec espoir un rien de panique enfantine dans l'expression de la pauvre Nabila changeant de culotte à vue, je guettais chez les boys un rien de gouaille ou de bonne vulgarité sous la dégaine à la coule de celui qui assure  avec la conviction (voix off) de vivre quelque chose de géant, pour ne pas dire d'Historique comme le martèlent les hystériques du TJ  - bref je cherchais à ces zombies programmés une issue en les imaginant revenus dans leur banlieue ou leurs nouveaux meubles ou leurs sanglots subits de lucidité:  je souhaitais secrètement a Nabila & Co de se retrouver un de ces soirs largués et perdus, jetés éperdus loin des spots et des cadres putes de la télé, se frottant enfin les paupières au lever du jour et se sentant des ailes...

     

    Ange.jpgMessagers.-   La grâce n'est pas toujours où les spécialistes en la matière la situent, même si les saintes et les saints homologués dans les cultes divers ne sont pas sans mérites avérés, mais la percevoir suppose d'abord qu'on se calme, qu'on se taise, qu'on écoute, qu'on se montre plus attentif même en pleine disco ou dans la tonitruance du stade en folie après un but de rêve: les messagers sont parmi nous mais nous ne savons point les voir ni les accueillir. Or il importe de discerner plus clairement ce qui nous en empêche, et ensuite cela pourrait aller mieux.

    L'obsession en tout genre est un obstacle sérieux. L'obsession apoplectique du Pouvoir me semble pour ainsi dire rédhibitoire, j'entends: politique, financier et symbolique. Devant ces obstacles, l'ange se sent flagada. Mais il faut se méfier du pire qui use parfois de la parure du Bien. L'obsession de la vertu ou de la pureté peut aussi contrevenir au passage du messager, qu'une certaine tradition spirituelle a raison de voir préférer les mauvais lieux aux tea-rooms proprets. Une certaine obsession de la bonne santé ou de la belle humeur peuvent s'opposer aussi à la libre circulation des personnes angéliques. Imagine donc Notre Seigneur dans un fitness ou les poètes Novalis, Baudelaire, Dylan Thomas, Emily Dickinson dans un jacuzzi alors que leur vocation les porte à s'incarner en douleur et en douceur...

     Yes, Baby: l'incarnation de la douceur est la marque de l'ange...    

     

     

  • Ceux qui se fuient

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    Celui qui n’a jamais été à l’aise avec plus de 3 personnes à table en vertu de quoi ses 3333 amis sur Facebook sont bienvenus sur son porte-avions à cabines séparées / Celle qui change de sujet dès qu’on ne parle pas d’elle / Ceux qui fuient l’alcool dans l’eau plate / Celui qui publie son journal intime pour mieux égarer les indiscrets / Celle qui demande à son patient quand il cessera de se fuir lui-même alors qu’elle-même se réjouit de voir les talons de ce blaireau pour se retrouver là où elle sait ne devoir plus aucun putain de compte à rendre à quiconque / Ceux qui ont fui la zone de combats pour se retrouver dans la file de voitures coincées au portail sud du tunnel du Gotthard où ça craint aux retours de vacances en territoires occupés /Celui qui aimerait TOUT noter de ce qu’il vit dont TOUS n’ont à vrai dire que foutre / Celle qui est entrée nue dans le char d’assaut de Père comme quoi les fantasmes de la jeune fille actuelle valent ceux de l’ancienne mijaurée / Ceux qui se demandent si le Marc Dutroux qu’ils ont rencontré jadis à Vesoul et le même que celui qui tient le premier violon  dans l’Orchestre du Vatican de passage à Outreau / Celui qui a connu cette Christine Angot qui écrivait à l’époque des romances à sensation et qu’on dit aujourd’hui stewardesse sur Air Amnesia / Celle qui s’est fendue de toute une autofiction pour expliquer pourquoi elle a décidé d’arrêter d’écrire à l’instar d’un Marc-Edouard Nabe dont personne ne parle plus non plus/ Ceux qui se cachent pour écrire à la convenance notoire des paparazzi et autres profs de lettres envieux /Celle qui écrit comme on se jette du haut dela Tour Eiffel (301 m.) explique-t-elle à la Tour d’Argent au mec du Monde dont elle ne sait pas qu’il va lui laisser l’addition ce rat immonde / Ceux qui fuient la rumeur par le vasistas du n’importe quoi donnant sur le container des invendus, etc.

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    Images : gouaches jetées sur les carnets de JLK, en 1996.   

     

  • Chemin faisant (53)

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    L'appel du bleu.-

    Il y avait hier, tout en bas du ciel de tôle faisant rideau de fer sur les vagues noires remontant jusqu'aux dunes de Marseillan, comme une lande de bleu très bleu là-bas vers l'horizon montueux de la lointaine Côte vermeille, et tout de suite le nom de Collioure m'est revenu avec les mots du coloriste irradiant que fut Matisse ce fauve été-là de juillet-août 1905, nous enjoignant d'y aller dans la foulée: "Il n'y a pas en France de ciel plus bleu que celui de Collioure. Je n'ai qu'à fermer les volets de ma chambre et j'ai toutes les couleurs de la Méditerranée chez moi".

    Le temps suspendu. - Le temps d'y rouler je nous ai lu, à haute voix, les cinquante premières pages du nouveau roman de Martin Suter, intitulé Le temps, le temps et ressaisissant, dans un climat d'inquiétante étrangeté parano, la confrontation de deux voisins vis-à-vis s'épiant l'un l'autre avec méfiance après avoir vécu le même choc de la perte prématurée de leur compagne; le plus âgé développant toute une théorie sur le fait que le temps ne passe pas en réalité, et toute une conduite d'exorcisme pour en conjurer les trop évidentes conséquences.
    images.jpegOr parcourant, ensuite, le dédale de la forteresse séculaire du Château royal dominant le port de Collioure, je me suis rappelé les derniers jours d'Antonio Machado et de sa mère, dans un petit hôtel où leur exode aboutit en février 1939, dans les conditions les plus précaires (le poète et son frère José se prêtant leur seul pantalon encore présentable pour apparaître en public...) et le climat de désespoir que Pablo Neruda évoque dans un hommage: "La guerre civile - et incivile - d'Espagne agonisait de cette manière: des gens à demi prisonniers étaient entassés dans des forteresses quand ils ne s'amoncelaient pas pour dormir à même le sable. L'exode avait brisé le coeur du plus grand des poètes, don Antonio Machado. Ce coeur avait cessé de battre à peine franchies les Pyrénées. Des soldats de la République, dans leurs uniformes en lambeaux, avaient porté son cercueil au cimetière de Collioure. C'est là que cet Andalou qui avait chanté comme aucunautre les campagnes de Castille repose encore".

    derain andre collioure.jpgCouleurs de Collioure. - Et dans le même petit livre racontant Les derniers jours d'Antonio Machado, publié par Jacques Issorel aux éditions Mare Nostrum en 2002, avec toute une série de témoignages sur les circonstances de cette triste et noble fin dégagée de ses fables posthumes, le poète Gumersind Gomila ajoute ces mots défiant le temps qui passe, devant la première humble tombe que remplacerait plus tard un monument plus solennel : "Surl a pierre tombale bien déserte, / sans aucune date ni aucun nom, / toute blanche, en marbre, / la lune se plaît car elle luit. / Et elle vit pour toi la lune claire / et chaque étoile vit pour toi, / et tout respire la poésie /comme si ta parole se répandait".


    L'incomparable bleu et toutes les couleurs de Collioure ont inspiré les peintres, ainsi que le rappellent les murs du bar des Templiers, couverts de tableaux, et l'on pense évidement à Signac qui en fut le premier découvreur, à Derain, à Gauguin et plus encore à Matisse pressentant lui-même le génie de Cézanne, mais c'est encore le poète Gomila qui dit cela si bien de ses mots simples et clairs: "La barque repose sur la plage, / les viles sèchent et les filets; /là-haut, là-haut, une mouette chante la vie et la clarté" (...) "Que dit le rossignol qui passe /et reprend haleine, posé sur la croix ? / Il dit que la vie est belle, belle, /comme un profil de Liberté. / Il dit à ceux qui ne peuvent plus le voir / que le ciel est bleu et bleue la mer ..."

  • Chemin faisant (52)

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    Faits et fiction. - La pluie sur la mer nous ramène à tout coup en librairie, et l'escapade s'imposait d'autant plus, ce matin, que la fiction et les faits se conjuguaient pour accentuer le poids du ciel: j'avais entrepris la lecture du Chinois de Henning Manckell, dont les premières pages ruissellent du sang de dix-neuf innocents massacrés dans le même petit bled enneigé du nord de la Suède plombé par le froid, et ma bonne amie suivait, sur son Mac, la diffusion de la conférence de presse donnée par la police et les autorités lausannoises après l'odieux assassinat de la jeune Marie par un tueur imprudemment relâché dans la nature malgré une première condamnation pour meurtre. 

    Bref, la perspective d'une virée à Sète, même par temps moche, nous souriait d'autant plus que nous aimons la cité de Brassens et de Valéry depuis tant d'années que nous y revenons, attirés aussi par la Nouvelle Librairie Sétoise et ses tenanciers de haute compétence, où nous avons déjà claqué des fortunes ...

    Daisyl'enjôleuse. - Sur la route longeant les eaux du bassin de Thau, aussi puantes que la conscience d'un Méchant, nous avons souri de concert, ma bonne amie et moi, tandis que je lui faisais la lecture de Daisy Miller, la nouvelle de Henry James qui se situe - je ne me le rappelais pas - dans notre bonne petite ville lémanique de Vevey, et commence plus précisément dans les jardins de l'hôtel des Trois Couronnes où, il y a dix ans déjà, nous aurons fêté nos vingt ans de vie commune. Après les trente première pages affreuses du Chinois, celles de l'immense romancier faisaient irradier le charme piquant de la jeune Américaine, non sans nous amuser quand elle désigne "là-haut" les tours du château de Chillon famous in the World, évidemment invisible des jardins en question. Mais la fiction a de ses droits, n'est-ce pas...

    Gloire aux libraires. - Lorsqu'on établira enfin une Carte du Tendre des meilleures librairies littéraires francophones, entre La Liseuse de Françoise Berclaz à Sion, La Librairie de Sylviane Friederich à Morges et leurs homologues de Besançon à Bordeaux ou Manosque, entre trente-trois autres, on aura garde d'oublier la Nouvelle Librairie Sétoise qui nous émerveille, à chaque fois, par l'excellence de son fonds, de son choix de parutions récentes et des conseils de ses passeurs.
    Nous n'étions pas là depuis cinq minutes, cette fois, que la patronne du lieu me racontait le nouveau roman de Martin Suter, Le temps, le temps, paru ces jours chez Bourgois, après que je lui eus raconté La Nuit de Frédéric Jaccaud; et moins d'une heure plus tard nous repartions avec les entretiens de Françoise Jaunin (ma chère ex-collègue de 24Heures) avec Pierre Soulages, le commentaire du Balcon de Genet par Alain Badiou (Pornographie du temps présent), les deux derniers romans d'Amin Maalouf (Les désorientés) et d'Andrea Camilleri (L'âge du doute), une enquête historique de Tidian N'diaye sur le néo-colonialisme chinois en Afrique (Le jaune et le noir) propre à compléter la fiction de Manckell sur le même thème, plus Superman est arabe et C'est ça la mort de Donald Westlake pour ma bonne amie, et pour moi le dernier album de Fred (Le train où vont les choses) afin de renouer avec l'inoubliable Philémon, le texte testamentaire de Stig Dagerman (Notre besoin de consolation est impossible à rassasier), plus encore Le parti pris des animaux de Jean-Christophe Bailly qui sonde, comme le souligne l'auteur, l'"énigmatique du vivant" et dont le titre d'un des essais fait écho méditatif à la lecture de La nuit de Frédéric Jaccaud, tragiquement pétri de ce thème: "les animaux conjuguent les verbes en silence"...

  • Chemin faisant (51)

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    Le grand nocturne. -

    Je m'étais représenté JDD sombre et plus ou moins dément à la lecture d' Invention des autres jours, son premier opus paru chez Attila, nos échanges initiaux avaient confirmé cette impression d'avoir affaire à un type bizarre, accentuée par la découverte de ses photos de farouche lycanthrope, et pourtant c'est un compère très doux, très tendre paternel de deux très beaux enfants et très bon compagnon de sa gracieuse moitié comédienne et danseuse, que nous avons rencontré l'an dernier à Montpellier avec les siens devenus, depuis lors, nos amis sûrs.
    DUPUY02.jpgAutant dire que ce fut une fête, hier, de retrouver le charmant quatuor, de se balader ensemble par les ruelles (rues des Soeurs noires, rue des Rêves et autres venelles bien nommées) du vieux Montpellier avant d'assister de loin, en les murs d'Aigues-Mortes, aux mouvements de la Bataille des Nations rassemblant la fine fleur mondiale des jeunes croisés médiévalisants pour des combats de "full contact en armures", enfin de nous retrouver sur le pont de l'Adelante du frère de JDD, à l'estacade de Port Camargue, à parler voiles latines et cinéma américain tandis que la nuit se faisait et que JDD nous dédicaçait son dernier livre paru la veille...

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    Hacker du nord
    . - Le hasard me fait lire, ce matin de tramontane glaciale, deux livres qui évoquent, avec le même souci d'objectivité pour ainsi dire hyperrréaliste, la ville-monde en ses derniers avatars. Sous le pseudo d'Emile Dajan, notre ami Jean-Daniel Dupuy, alias JDD, investit, dans Zoneapolis, l'univers des grandes surfaces commerciales en lesquelles il voit la résurgence des forteresses de jadis, qui seraient à la fois des temples et des mausolées du présent où Tout se trouve à la fois à portée de main et comme dérobé. "Car dans ce Marché Supérieur, tous les échantillons peuvent être emportés. Mais Tout est illusion. Car Tout est à vendre. Aqueuse est la pisse et le désir se nourrit de son manque".

    Or ce "manque" se retrouve illico dans La Nuit de Frédéric Jaccaud, vaste contre-utopie nocturne située dans la ville-monde la plus au nord d'une Europe à bout de souffle et de sève, dont les moroses autochtones survivent à côté de hordes de viveurs débarqués des pays voisins pour s'éclater dans les boîtes de cette espèce de Babylone jouxtant la banquise.
    Il me plaît alors de lire, au sud des parapets européens où, le soir, de prétendus libertins se massent dans la mousse de maussades parties, ces deux livres lucides et purs dont la manière noire tranche d'avec la grisaille ambiante à nuances convenues.

    Couleurs du noir. - Dans La Nuit de Frédéric Jaccaud, un certain Aleksy Linden, progammeur-compileur aussi virtuose que misantrope, qui a rêvé de changer le monde, les lois de la physique, les règles sociétales et la combinatoire des nébuleuses, se coupe bientôt de ses semblables pour se claquemurer dans le virtuel, survivant matériellement du commerce de ses bricolages informatiques et se complaisant finalement à "traquer sa propre trace, en alimentant lui-même des rumeurs à son sujet sur les forums".
    Soulages.jpgOn ne fait pas mieux dans le noir constat impliquant, à la fois l'aliénation contemporaine à son point d'auto-anéantissement, et l'exorcisme de sa représentation. Telle est d'ailleurs la vertu de la manière noire, en littérature, qui force le regard à raviver son désir de couleur, n'était-ce qu'en découvrant les nuances du noir - comme dans la peinture de Soulages, très présent ces jours à Montpellier en attendant l'ouverture de son musée. Retour par conséquent au spectre tonifiant des couleurs de la vie à quoi nous renvoient, subrepticement, les révélations du noir...

    Emile Dajan (alias Jean-Daniel Dupuy). Zoneapolis. Editions Appendices, collection Littérature urbaine. Illustrations de Georges Boulard.


    Frédéric Jaccaud. La Nuit. Gallimard, Série Noire, 450p.