UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Sous une pluie de feu

    Dante44.jpg

    Une lecture de La Divine comédie (15)

     

    Chant XIV. Violents contre Dieu. Sable ardent et pluie de feu…

     

    Comme il en va de tout voyage, le parcours de Dante en enfer passe par des moments d’intensité variée, mais les sensations restent toujours à vif, activées par des images qu’on pourrait presque dire expressionnistes – Doré en tirera d’ailleurs parti.

    Après les griffes de la broussaille aux suicidés déchirant les flancs des dilapidateurs, c’est ainsi aux franges d’un désert incandescent qu’on parvient, où mille mains et mille membres de mille corps se contorsionnent à fleur de sable brûlant sur lequel choient lentement de gros flocons de feu.

    Dans la nuit « réelle » du poète, nous sommes alors à l’aube du 9 avril 1300, donc un samedi saint dont la nuit s’éclairera du feu pascal. Mais pour lors, c’est dans le 3e « giron » du 7e cercle qu’il crame tout vif, ou presque, avisant « plusieurs troupeaux » d’âmes nues torturées par le feu de Dieu, au milieu desquelles l’une semble défier crânement son sort, que Virgile identifie sous le nom de Capanée, l’un des sept rois qui assiégèrent Thèbes et se signala, plus particulièrement, par son mépris prométhéen de la divinité.

    Maints lecteurs actuels, dont je suis évidement, buteront sur les multiples allusions à des figures ou des thèmes mythologiques, et particulièrement dans ce chant où Dante se réfère aux anciennes représentations de l’Âge d’or, situé en Crête et symbolisé par tel vieillard à couronne d’or, torse d’argent et pieds de fer et de terre cuite, des blessures duquel ruissellent des larmes vouées à grossir les fleuves de l’enfer.

    Au passage, Jacqueline Risset précise utilement, en note, que les deux pieds du « vieillard de Crète » - lui-même ressurgi du songe biblique de Nabuchodonosor, et tournant le dos à l’Orient pour regarder « Rome comme son miroir » -, pied de fer et pied de terre, symbolisent respectivement l’Empire déchu de de son autorité, et le pape corrompu.

    Or, malgré tant de sens et de significations cachés, la force expressive du texte est telle – surtout si l’on revient souvent à la langue originale de la page de gauche, pour la garder bien « en bouche » -, que le lecteur perçoit sur son propre corps cet affrontement des ombres damnées et du feu à peine atténué par les vapeurs montant du ruisseau de sang promis à devenir fleuve roulant…

     

    Dante Alighieri. L’Enfer/Inferno. Traduit et commenté pat Jacqueline Risset. Editions G/F.

     

          

     

  • Suppliciés volontaires

    danteimg076.jpg

    Une lecture de La Divine Comédie (14)

    Chant XIII. Suicidés et dilapidateurs.

    Autant que celles de tout un chacun, les réactions de Dante sont très variables à la découverte du sort frappant certains damnés de sa connaissance. On l’a vu bouleversé de retrouver Francesca da Rimini en enfer (Chant V), autant que d’y approcher le vieux Cavalcante, père de son proche ami Guido, mais il s’est montré capable aussi de cruauté, voire de sadisme en assistant aux tribulations d’un Florentin qu’il détesta visiblement de son vivant. Or, ce qu’il va ressentir dans la terrifiante forêt des suicidés montre de nouveau de quelle compassion le poète est capable, tant du fait de l’horreur des peines subies par ceux qui ont attenté à leur propre vie, qu’en raison de la personnalité de l’un d’eux, Pier della Vigna, ce Pierre des Vignes (1190-1249) qui fut à la fois chancelier de l’empereur Frédéric II et poète lui-même, suicidé après avoir été aveuglé et emprisonné par son souverain sur de calomnieuses accusations.

    $_35.JPG

    Or, au sort misérable subi par le délicat poète de l’école sicilienne, précurseur du dolce stil nuovo cher à Dante, dont le corps a été transformé en tronc dans ce bois lugubre peuplé de repoussantes harpies mi-femmes mi-volatiles, s’ajoute la blessure soudaine faite par le poète lui-même en cassant une des branches de l’arbre en question, qui se met à gémir affreusement avant de raconter ses malheurs.

    images-5.jpeg

    De fait, touché par la compassion de Dante, Pierre des Vignes va narrer, par le détail, comment telle « prostituée » enflamma contre lui tous les esprits  jusqu’à transformer la faveur du prince en malédiction, et comment par orgueil il préféra échapper à l’humiliation par la mort volontaire, faisant de lui, le juste, un injuste au regard de Dieu. Dans la foulée, Pier della Vigna évoque le sort définitivement horrible qui attend les suicidés après le dernier Jugement, voués à traîner leurs ombres et à être pendus aux arbres qui les symbolisent à jamais…

    Mais l’attention de Dante, tout ému qu’il soit par les paroles du malheureux, se reporte bientôt sur des ombres nues fuyant dans les broussailles et s’y déchirant, poursuivies par des chiennes noires. Après les suicidés, le même cercle accueille en effet les dilapidateurs qui ont été violents contre eux-mêmes en gaspillant leurs biens et se trouvent condamnés à se déchirer aux épines des buissons morts tout en blessant douloureusement ceux-ci au passage.dor_037.jpg

    Pour mémoire, on rappellera que le motif de l’arbre-humain est déjà présent dans L’Enéide de Virgile qui, au chant III, évoque le sang noir jaillissant des branches qu’Enée a coupées pour orner un autel de sacrifice, et les gémissements sortis des entrailles de la terre à l’endroit précis où un Troyen fut tué…

    Où l’on voit donc,  une fois de plus, que la Commedia fait sang de tout bois…