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Tendres objets

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(Le Temps accordé. Lectures du monde, 2021)
À la Maison bleue, ce 16 décembre 2021. - Le plus ancien souvenir qui me revienne, à propos des objets restant là après la mort de quelqu’un, date de l’école primaire, dans la classe de Mademoiselle Chammartin, qui nous apprit un matin que notre camarade Toupie ne reviendrait pas, et je me souviens qu’à cet instant les objets qui se trouvaient sur son pupitre me sont apparus avec une sorte de présence accrue, et j’ai pensé que c’était triste et que c’est ça que me disaient les objets de Toupie, bien rangés comme il les avait laissés, toujours très ordré, avec ce quelque chose d’un peu terne qu’il avait lui aussi, de modestes objets peu voyants, un plumier gris et une gomme, des crayons bien taillés et un taille-crayons qui maintenant avaient un air abandonné ; jamais je n’avais ressenti cela, ce qu’on nous avait dit de la maladie de Toupie, comme quoi son sang avait trop de globules blancs, ne m’avait pas vraiment touché, tellement notre camarade était pâle, mais à présent c’était autre chose, et beaucoup plus réel à mes yeux au point que je m’en souviens tant d‘années après - et ce matin je regarde ses objets à elle et constate que les objets d’une femme sont différents des objets d’un enfant, etc.
 
LES GESTES ADÉQUATS. – Il y en a qui savent y faire, y ayant été formés, et les autres. Ceux qui ont tout de suite le geste approprié, et pour chaque situation. Pompiers et médecins urgentistes, ou mieux : ambulanciers. Formels sanitaires ou d’exercices militaires de base : c’est à peu près tout un. Mais la plupart, citadins d’aujourdh’hui, sont désemparés. N’ont pas appris. Ne s’y attendaient pas, et le blessé grave , lui n’attendra pas non plus. Et le défunt reste là, qu’on ne peut pas laisser comme ça sans rien faire. Mais faire quoi et comment ? Avec notre père, déjà, ce soir-là, après tout un dimanche à nous faire à l’idée que ce serait le dernier, après son dernier râle, nous nous étions regardés, les frères et la mère, avant de nous y mettre, et c’est venu comme ça, « sur le tas », comme si nous retrouvions les gestes des pères de nos pères et des tribus qui continuent, aujourd’hui encore, à savoir y faire…
 
FAIRE-PART. – Cela sortira demain dans le journal où, plus de vingt ans durant, j’ai délivré leur billet de sortie à maints écrivains, non sans y annoncer la mort de nos père et mère, et je m’y désigne comme «son bon ami », ainsi qu’elle m’appelait depuis toujours dans le langage des jeunes gens de ce pays non encore fiancés et moins encore mariés – jamais d’ailleurs je n’ai parlé d’elle comme de «ma femme», comme d’autres parlent de « mon chirurgien » ou de « ma Ferrari », ni non plus de « mon épouse » à la manière bourgeoise, et puis, sans être resté trop attaché à Paul Eluard comme je l’étais à seize ans, partageant le goût marqué des femmes seules, j’ai trouvé bien trouvée la citation du poète que m’a proposée notre fille aînée : « Je cherche par delà l’attente / par delà moi-même / Et je ne sais plus tant je t’aime / Lequel de nous deux est absent »… (Ce 16 décembre)
 
MISS YOU. – Elle me manque déjà, mais elle est déjà partout, je sais qu’elle n’est pas là où elle est, que ce corps allongé et ce visage fermé ne sont plus vraiment celle qu’elle est déjà et sera, je ne vais pas m’attarder à les regarder même si je sais qu’ils sont tout ce qui me reste d’elle, mais j’étais plus proche d’elle quand elle dormait qu’en les regardant à présent, elle me disait il y a quelque temps qu’elle avait l’impression que son corps se glissait hors d’elle après lui avoir été parfois une torture, mais son visage restait le même jusqu’à l’autre soir, après qu’elle est entrée dans le noir, nous ayant signifié qu’elle n’aspirait plus qu’à dormir mais que nous pouvions laisser la lumière, son visage alors s’est comme tourné et comme éteint, et maintenant son visage ne reflète plus rien, son visage ne ressemble plus du tout à elle, jamais je ne lui ai vu ce visage sans lumière alors que sa lumière irradie déjà d’une façon qui n’est qu’à elle.
 
COMPASSION. – Les gens sont souvent mal pris à ces moments-là, mais tu compatis. Ils te disent « courage », ou pire : « on continue », comme ils lui souhaitaient de « remonter la pente » alors qu’ils savaient que nous n’avions plus le moindre espoir de guérison, ils te disaient « ne te laisse pas abattre », d’un ton qui laissait entendre que te voir te laisser abattre leur serait pénible, mais au lieu de leur en vouloir tu avais compati…

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