Dans le foulée de Julien Green...
Dans Adrienne Mesurat, le fameux roman de Julien Green, le cimetière représente la galerie de photos de famille dont les défunts font peser leurs regards sur les vivants. Et chacun de nous de l'invoquer à sa façon...
Voici donc, dans le haut escalier de la Désirade, en photos bleutées et sépia, mes grands-parents maternels sur leurs chameaux devant les pyramides égyptiennes, au temps où ils espéraient reprendre là-bas un hôtel avec notre grand père paternel, ou voilà notre grand-mère Agatha au fin vieux visage harmonieusement ridé, mon grand-père Heinrich dont j’ai tiré le personnage du Grossvater dans mon deuxième livre , des vieux comme on disait alors sans se gêner de parler d’ «asiles de vieux » et non pas d’ «établissements médico-sociaux », des personnes qui même avant notre âge actuel avaient l’air bien plus vieilles que nous aujourd'hui
Le cimetière est mon surmoi, ma conscience et mon tribunal moral que je défie tous les jours, mais il est là. Notre Grossvater lisait sa Bible tous les soirs et parlait sept langues, nous assommait de ses litanies édifiantes (« Une cigarette tue un lapin, dix cigarettes tuent un cheval », etc.), se faisait traiter comme un grand enfant maladroit par sa digne épouse et ses deux filles célibataires dont l’une avait un bec-de-lièvre (la moralisante Tante Greta), la Grossmutter tricotait pour les missions et tous les miséreux des hauts de Lucerne la tenaient pour une quasi sainte, etc.