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  • Lumières du coeur

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    (Le Temps accordé. Lectures du monde VII, 2024)
     
    À La Désirade, ce 10 juillet . – Il faisait tout gris ce matin dans le vert exultant de nos hautes prairies, et la fraîcheur m’a réjoui autant que la lumière dans les mots que j’ai trouvée dans le recueil de poèmes d’Estives que le compère Alain Allemand, féru de Vialatte et de poésie, m’a envoyé il y a quelque temps; et tout suite j'y ai grappillé en douce «le simple du sourire» et «le doux de quelques regrets », le « prisme paillette du déjà-vu » où « l’exquis est grand ouvert », alors que « parfois le temps a la cheville fine », quelque chose de sereinement naturel à la Jaccottet quand «le ciel lave – là-bas - / une nichée de lointains», tandis que « l’embellie rossignole - hors d'attente – maintient l’orée précoce »...
     
    Toute de lumière et de légèreté précieuse, cette suite d’Estives, comme on appelle chez nous les vacances travailleuses de nos armaillis à l’alpage (titre éponyme, par ailleurs, d’un récit de Blaise Hofmann) m’a tout de suite parlé de près en renvoyant très loin les arguties rhétoriques de Messieurs Jordan Mélanchon et Jean-Luc Bardella, me prouvant une fois de plus que le Verbe poétique échappe à la jactance ou au discours utilitaire du Politique...
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    Sur quoi j’ai retrouvé Georges Nivat dans la revue Kometa que m’a fait découvrir la Dame aux livres en sa boutique de L’Imprudence, vieux compagnon de route de la grande époque de L’Âge d’Homme dont il fut une des figures majeures, perdu de vue depuis tant d'années et s’attachant ici, véritable révélation pour moi, à la présentation d’un philosophe mythique du XVIIIe ukrainien du nom de Grigori Skovoroda (1722-1794), ignoré de la plupart de nous autres et vénéré dans son pays.
    DANS LES BOIS. – La figure du philosophe errant avec sa flûte, ses poèmes et sa gourde d’eau claire, savant et sage jaloux de son indépendance - il a envoyé promener la grande Catherine de Russie qui l’avait convoqué pour le décorer d'autorité - m’a tout de suite fait penser, dans l’évocation qu’en fait Georges Nivat, au penseur libertaire Thoreau dans sa cabane en forêt et à l’humaniste Thomas Platter descendu de nos vallées perchées pour sillonner l’Europe en homme de bonne volonté, et je ne suis guère étonné d’apprendre que Tolstoï lui-même s'est réclamé de ce sage prônant la «philosophie du cœur», me rappelant alors ce jour où, devant me présenter à mon premier examen universitaire, dont la matière était l’économie politique, à laquelle je ne comprenais rien et n’avait pas fait le moindre effort pour m’y préparer – au point qu’il était absolumet inimaginable que je comparaisse devant le vénérable professeur S.- j’ai quitté, ce matin-là, la maison de mes bons parents et, au lieu de me diriger vers la ville, ai bifurqué en direction des bois où, au bord de la rivière dite Chandelard, au pied d’un grand bloc erratique baptisé Rocher du Diable, je passai ma matinée d’examen à lire Je ne joue plus du romancier croate Miroslav Karleja...
    Or l’étudiant Skovoroda était d’un autre sérieux que le petit fumiste de dix-huit ans que j’étais, ayant fait de sérieuses études supérieures lui permettant de lire la Bible en hébreu et de rédiger ses propres textes en latin ou en vieux slave…
     
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    Bref, il y un jour encore je ne savais RIEN de Skovoroda, dont le musée a été bombardé en 2022 par les Russes, sa statue ayant été épargnée à ce que précise Georges Nivat, mais il n'est jamais trop tard pour apprendre me dis-je après avoir pris acte, hier soir surYoutube, du fait que 10.000 soldats ukrainiens meurent chaque semaine dans la guerre fratricide qui a déjà couté la vie à 500.000 Ukrainiens, à quoi s’ajoute plus d’un million de blessés – contre 50.000 morts russes morts eux aussi pour rien à la satisfaction des va-t-en-guerre maudits, des marchands d'armes et de leurs laquais cravatés...