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Che Bellezza !

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(Le Temps accordé. Lectures du monde, 2024)
À la Maison bleue, ce vendredi 21 juin. – Je suis fort déçu de matin par mon grille-pain, qui ne fait plus le job. Je l’ai menacé de le remplacer : cette façon de me cracher deux toasts de triste fabrication industrielle sans rien du croustillant odorant que devrait leur donner un grille-pain compétent par manière de compensation, m’a navré et gâché l’humeur. C’est pourquoi, faisant semblant d’être fâché – je crois toujours au possible repentir sincère d’un grille-pain dûment morigéné - , j’ai choisi la fuite par le haut en revenant à Jean le bleu dont j’ai recopié la première page avec l’humilité du Bénédictin savourant sa bénédictine du matin :
«Les hommes de mon âge,ici, se souviennent du temps où la route qui va à Sainte-Tulle était bordée d’une épaisse rangée de peupliers. C’est une mode lombarde de planter des peupliers le long des routes. Celle-là s’en venait avec sa procession d'arbres des fonds du Piémont. Elle chevauchait le mont Genèvre, elle coulait le long des Alpes, elle venait jusqu’ici avec sa charge de longues charrettes criantes et ces groupes de terrassiers frisés qui marchaient à grands pas en faisant flotter des chansons et des pantalons housards. Elle venait jusqu’ici mais pas plus loin. Elle allait avec ses arbres, ses tape-culs et ses Piémontais jusqu’à la petite colline de Toutes-Autres. Là, elle regardait par là-bas derrière. Ce qu’elle voyait, de là, c’était dans les fonds brumeux le poudroyant Vaucluse, boueux et torride, fumant comme une soupe au choux. De là, ça sentait le gros légume, le riche et la plaine. De là, par beau temps, on voyait l’immobile pâleur des fermes fardées de chaux et le lent agenouillement des paysans gras dans l’alignée des serres à primeurs. De là, par jour de vent, montait l’odeur bouillonnante des lourds fumiers et le corps déchiqueté et sanglant des orages du Rhône. Les peupliers s’arrêtaient ici. Les charrettes coulaient à gros hoquets dans la gueule des auberges de roulage avec leur chargement de farine de maïs et de vin noir. Les terrassiers disaient : « Porca madona », ils éternuaient comme des mulets à qui on souffle de la fumée de pipe et ils restaient de ce côté-ci de la colline avec les peupliers et les charrettes »…
Eh mais quel bien ça fait de recopier ces phrases sûres et belles, comme on recopierait du Colette ! Revenu de mon humeur grinche je constate en outre que le beau temps s’est installé à la fenêtre. Alors le Rital en moi - je n'oublie jamais ma double ascendance piémontaise et toscane - de s’exclamer: « Che bellezza !
 
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