UA-71569690-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Non, ce monde-là n'est pas fait pour l'enfant hypersensible...

    images-12.jpeg
     
    Dans le même esprit, et la même immersion naturelle illustrés par L’Arbre-monde (Prix Pulitzer 2019), le nouveau roman de Richard Powers, Sidérations, fait figure de double quête initiatique d’un jeune garçon aussi génial que fragile, et de son père astrobiologiste, à l’école du Vivant et malgré les forces de la régression arrivant au pouvoir avec un certain président…
     
    La magie de nos lectures de jeunesse nous ressaisit dès les premières pages de Sidérations, où se posent illico les petites et les grandes questions découlant de notre présence sur terre, relançant les harcelant «pourquoi ?» de la petite enfance.
    Question du fils : « Combien d’étoiles tu as dit qu’il y avait ? ». À qui le père répond : « Multiplie tous les grains de sable de la Terre par le nombre d’arbres. Cent mille quatrillions »…
    Et tout de suite advient une première échappée pour «faire une pause», le fils ayant eu des problèmes avec ses camarades d’école et le père décidant de l’emmener en forêt toute une semaine.
    Donc celui qui raconte est le père d’un kid de neuf ans, qui en avait sept quand Alyssa (la mère) leur a été arrachée accidentellement, et qui, par sa seule présence a aidé son père à «tenir le coup», comme on dit. Ainsi père et fils vont-ils se «ressourcer» dans la nature avec leur petit barda de campeurs. Le gosse rêve, évidemment, de dormir à la belle étoile ; et là haut-haut ça pullule, au propre et au figuré vu que le père, astrobiologiste, en sait déjà un bout sur les choses du ciel et n’hésite pas à en imaginer une quantité de variantes, notamment à propos des «habitants du plafond», inventant alors des planètes et leurs biotopes possibles ou imaginables. Or Robin (c’est le nom du bout d’homme, qui lui vient du surnom de l’oiseau préféré de sa mère) est loin d’être un niais à qui l’on fait avaler n’importe quoi. Tenant de sa mère très militante écolo, autant que de son scientifique de père, c’est sur du vrai qu’il veut rêver, quitte à s’impatienter de ne pas voir ses rêveries s’avérer.
    Quant aux «problèmes», à l’école, ils sont liés aux crises de rage transformant parfois le doux Robin en fou furieux, pour peu par exemple qu’on l’ait «cherché» à propos de sa mère ou de son père, là où ça fait trop mal ; et quand il y a problèmes, à l’école, avec « coups et blessures », il y a forcément réponse des professionnels concernés, médecins ou psys, peut-être recours à l’Etat, et l’on verra plus loin en quoi l’Etat peut interférer avec l’éducation d’un gosse sujet à telle ou telle « pathologie ».
    Mais pour le moment on est loin de «tout ça», dans la Nature. On est avec la tortue tabatière dont la carapace est couverte de lettres cunéiformes qui énoncent « d’illisibles messages en alphabet martien », on est dans une clairière où le père fait humer à son môme une feuille de gommier en forme d’étoile, puis un mille-pattes jaune et noir qui sent l’extrait d’amande comme quand maman préparait un gâteau ; on est dans un Eden terrestre comptant six types de forêts différents, mille sept cents plantes à fleurs et «davantage d’essences d’arbres que dans toute l’Europe »; on est dans la forêt des philosophes américains à la Henry Thoreau, Waldo Emerson ou Annie Dillard, on est dans la chambre du monde dont le plafond « crépite » de luminaires fabuleux, et c’est dans ce monde aussi que des espèces rares disparaissent à la vitesse grand V, qu’on maltraite les animaux en batteries, que des virus vicieux se répandent, que les glaces fondent et que le climat se détraque - ce dont se fout complètement un certain milliardaire en passe de devenir président…
     
    Un apprentissage réciproque
    Ce qu’il y a de très beau, et même de profondément émouvant, dans les presque 400 pages, à la fois poétiques et marquées au sceau du tragique, du parcours initiatique (en filigrane) de Sidérations, c’est l’osmose des curiosités et des passions nourries et vécues par les deux protagonistes, tant il est vrai que toutes les questions posées par Robin à Théo, qui a évidemment quelques longueurs d’avance sur son fils en matière de connaissance scientifique et d’expérience du monde, le confrontent à la fois aux limites, précisément, de son savoir, et surtout à une autre façon, proprement «géniale», de ressentir les chose et de les mettre en consonance.
    Robin, à l’esprit rebelle et au scepticisme radical le rapprochant de ses deux parents, est à la fois une nature artiste, laquelle se traduit par une fringale d’expression qui le pousse à dessiner et à peindre en marge de ses devoirs scolaires, avec un talent qui époustoufle son entourage ; et puis Alyssa reste aussi très présente, à tout moment, comme une référence affective et morale mais aussi politique.
     
    Témoin à charge et poète
    Celles et ceux qui ont lu, déjà L’Arbre-monde, vaste roman choral qui a été comparé à une symphonie « forestière » à la Melville, sans parler des romans précédents de Richard Powers, savent à quel point ce romancier américain aussi franc-tireur qu’un Cormac McCarthy, vit sa relation à notre environnement naturel, il faudrait dire: terrien, voire cosmique, et non en idéologue mais en poète-gardien de la forêt millénaire aussi à l’aise dans les domaines de la science que dans ceux de la conscience et de l’affectivité. On se dit, à lire Sidérations qu’un physicien ouvert à la spiritualité et à la créativité littéraire tel que Freeman Dyson (auteur de La vie dans l’univers) , aurait été passionné par le dialogue de Theo et Robin. Par ailleurs, pour se faire une idée plus précise de ce lien concret avec l’Environnement dans son acception la plus large, on peut lire le long et bel entretien que l’écrivain a accordé in situ à Francois Busnel, paru dans la revue America en 2020
    images-14.jpeg
    Dans Sidérations, le romancier-poète concentre son attention sur une sorte de trinité familiale profane qui ressaisit, dans une vibrante intimité cernée par le froid social et plombée par les fragilités humaines, tous les thèmes chers à l’auteur sur fond de «récit» politique où Theo joue, brièvement, son rôle de témoin à charge, poursuivant ainsi l’action de sa chère disparue.
    Après le vieil homme de Cormac McCarthy, qui ne se reconnaissait plus dans «ce pays», c’est un ado à fois adorable et «ingérable», d’une hypersensibilité catastrophique et combien révélatrice, qui fait ici figure sacrificielle de lanceur d’alerte aux Terriens…
    Richard Powers. Sidérations. Roman traduit de l’anglais (USA) par Serge Chauvin. Actes Sud, 397p. 2021.
    America, No 13/16, 2020. Le grand entretien de François Busnel avec Richard Powers.

  • Peindre la pluie

    f4531a8b7a06e7ccccd25fac4e477e2f.jpg

    …J’aurais aimé peindre ce soir le retour de la pluie tandis que j’ouvrais toutes grandes les fenêtres de La Désirade en sorte de la humer à pleins naseaux et de la laisser me laver la peau de l’âme.
    Ce fut d’abord une espèce de haut décor immobile au camaïeu gris bleuté, style opéra des spectres sous la cendre, que surmontaient de gros rouleaux de velours noir accrochés aux cintres des montagnes de Savoie. Toute vide et désolée, la scène avait une majesté funèbre de sanctuaire à l’abandon. Cependant, imperceptiblement, le décor se modifiait à vue d’un moment à l’autre, les masses suspendues semblant tout à l’heure des frontons devenaient des toiles déchiquetées pendues en plans superposés et délimitant de nouveaux lointains, entre lesquels filtraient ça et là d’obliques rayons comme liquéfiés dans le vent tiède.
    Quelques instants plus tard, tout n’était plus que lambeaux de grisaille tombant en colonnes verticales sur les pentes boisées paraissant exhaler maintenant des bouffées de brume, et voici que la pluie se voyait là-bas le long des pentes et bien avant de nous tremper le front de ses premières grosses gouttes huileuses, puis il n’y eut plus du lac au ciel qu’un pan de pur chiffon sur lequel d’invisibles mains jouaient avec l’eau et l’encre, c’était à la fois sinistre et splendide, et tout se refermait enfin dans la pluie, il pleuvait partout, tout n’était plus que ciel en pluie mais cela ne saurait se dépeindre: il n’y a pas d’instruments pour cela ni d’art assez direct, c’est une trop ancienne sensation, il n’y aurait que la danse, mais la danse immobile, la danse de l’angoisse enfin levée, la pure danse jamais apprise du premier homme assoiffé, les mains ouvertes à la céleste onction…

  • Quand la classe moyenne romande se shoote au polar local

     
    347253078_10231878231565551_1853763521031362808_n.jpg
    Deux romans récents et un recueil de nouvelles confortent l’encanaillement « limite gore » d’un lectorat petit-bourgeois qui se fait peur avec de l’épouvante acclimatée : Marc Voltenauer en tête, dans Cendres ardentes, plongeant dans les franges criminelles de l’émigration albanaise au Chablais vaudois ; Nicolas Verdan, avec Cruel, autre imbroglio à péripéties sanglantes sous la lumière lémanique ; et Nicolas Feuz, redoublant d’humour noir dans ses nouvelles de « proc » affreux-jojo. Mais que fait la police ?
    Il fut un temps où notre littérature, sous la double férule du Pasteur et du Professeur, illustrait ce qu’on appelait plus ou moins gravement l’Âme romande, dans la filiation de la Cinquième rêverie d’un Rousseau contemplatif où les songeries sublimes d’un Gustave Roud alternaient avec les promenades d’un Philippe Jaccottet – tous deux s’affairant à grappiller les débris d’une façon de paradis perdu, loin des méchants.
     
    Caricaturant ce spiritualisme poétique, un Friedrich Dürrenmatt parlait alors d’une esthétique de la « rose bleue », alors que son ami Hugo Loetscher, citadin cosmopolite, en appelait à une littérature tournant le dos à l’idylle champêtre ou au repli nombriliste et se frottant plutôt au monde des villes.
     
    Schéma réducteur évidemment, mais le fait est que le roman romand, jusque récemment, n’a guère achoppé à la réalité urbaine et à ses conflits sociaux ou politiques, rarement exacerbés par ailleurs .
     
    Assez ironiquement, si l’on considère le regard porté naguère sur nos auteurs du sexe dit faible, souvent assimilés à des «bas bleus», c’est bel et bien du côté des femmes (une Alice Rivaz, une Janine Massard ou une Anne Cuneo, notamment) que des thématiques sociales et politiques ont commencé d’apparaître chez nos écrivains, de façon même plus manifeste que dans les fictions d’auteurs masculins se disant explicitement «de gauche».
     
    Or, même si la seule notion de « littérature romande » a bonnement éclaté ces dernières décennies, le fait est que l’approche de «notre» paysage, autant que celle de «notre» société, se sont manifestées le plus explicitement, depuis une dizaine d’années, dans le genre longtemps mineur et marginal du polar, devenu quasi phénomène de société, avec de nouveaux auteurs, un nouveau public et des chiffres de vente inaccoutumés. À preuve : les « cartons » successifs de Joël Dicker, de Marc Voltenauer et de Nicolas Feuz, entre autres ; et l’on aura relevé, dans la foulée, le nouveau vocabulaire, plutôt hideux aux yeux des purs littéraires (dont je suis à moitié), consistant à dire d’un livre qu’il «cartonne» ou d’un auteur qu’il est «top vendeur »…
     
    L’horreur acclimatée en famille
     
    Marc Voltenauer cartonne « grave », c’est le moins qu’on puisse dire. Son dernier livre paru, Cendres ardentes, présent partout, en librairie et dans les kiosques, les grandes surfaces et les bureaux de poste (en attendant les barbershops et les onglerie), est crânement déclaré « No 1 des ventes en Suisse » sur son bandeau publicitaire.
    Succès de marketing ? Sans doute, mais pas que. Car les thèmes qui y sont abordés (notamment l’immigration et ses franges criminelles, la culture albanaise et ses valeurs traditionnelles), et son mélange de belles relations humaines et de vertigineuses descentes aux enfers, ont de quoi intéresser et même fasciner – non sans éventuel goût morbide -, un lectorat immédiatement bousculé et rassuré par les romans de l’auteur.
    À ces composantes, me semble-t-il, mélange d’ancrage local et de bienfacture narrative très documentée dans tous les milieux et activités abordées – en l’occurrence, de véritables ex cathedra sur le démembrement ou la datation des cadavres par l’analyse des larves - tient le succès de ce conteur à la petite entreprise très organisée, avec fan-club et tout le toutim…
    Quant à son apport original, et dès son premier roman, Le Dragon du Muveran, paru en 2016, disons que Marc Voltenauer jouait sur le double attrait de la proximité et du drame « à côté de chez vous », situant on action dans « notre » paysage, sur les hauts gazons des Alpes vaudoises où se pointait un serial killer, alors que l’enquêteur, double mal rasé de l’auteur, assumait son homosexualité avec la même tranquille franchise que celui-ci.
    De surcroît, en humaniste intelligent de souche chrétienne (il a failli devenir pasteur et a manqué devenir gentil père de famille), le romancier abordait, divers thèmes sociaux, ou « sociétaux » comme on dit aujourd’hui, où l’esprit critique le disputait à une vive curiosité de type journalistique.
     
    Les détours noirs du reportage
     
    Le journalisme est, également, la première profession du romancier Nicolas Verdan, dont le sérieux dans l’investigation fonde sans doute la validité réaliste de l’écrivain.
    Largement reconnu en nos régions où ses premiers livres ont décroché plusieurs prix littéraires, l’auteur du Rendez-vous de Thessalonique, de L’été grec et du Patient du Dr Hirschfeld, entre autres, a passé au noir intégral avec un roman explicitement socio-polémique, intitulé La coach et modulant déjà, comme dans Cruel, les thèmes de la blessure et de la vengeance.
    Dans une Suisse urbaine américanisée à outrance et jusque dans ses moindres enseignes et autres formules verbales, La Coach travaillait la matière emblématique, après la faillite de Swissair préfigurant la non moins scandaleuse déroute du Crédit suisse, de la mutation sociale imposée à ses employés et à nous tous par Swisspost et l’un de ses sbires sans cœur, cousin des banquiers sans visages de Zurich-city…
    Comme son confrère Voltenauer moitié-suédois par sa mère, Nicolas Verdan moitié-grec par la sienne, inscrit le premier meurtre de son nouveau roman, affreux et d’abord incompréhensible, dans l’arrière-pays vaudois de Cossonay où une usine tréfile des câbles à côté de la Venoge faisant juste son job de couler.
    L’idée de moduler un thème (la cruauté) en le faisant ressentir à divers degrés par quelques personnages attachants (surtout une journaliste d’origine vietnamienne à la mémoire et à l’entourage endoloris, et un inspecteur affecté d’une étrange pathologie comportementale à l’approche des cadavres), est un vrai projet de romancier, et le lecteur y croit… presque jusqu’à la fin.
    En outre, l’autre thème de la gestion calamiteuse d’une usine à soins de la région, qui a fait saliver les médias locaux jusqu’à plus soif du bon public, constitue la partie socio-critique du roman, avec le bonus d’une rivalité politique féminine au plus haut niveau du Conseil fédéral. Mais bref : ne spoilons pas !
    Bémol, cependant, sur la fin par trop « téléphonée » de la story, dont la surenchère sanglante (sa faiblesse, à mon avis) s’aggrave sous l’effet de la précipitation artificielle du scénario. Vous y croyez ? Alors sans moi, même si le compère Greco s’est bien amusé…
     
    La faiblesse du gore, et le grain de sel du « proc » tatoué…
     
    S’il y en a un qui ne se gêne pas, c’est bien Nicolas Feuz, procureur du tribunal de Neuchâtel à ses heures et posant, torse nu, dans un hebdomadaire romand illustré que je lis chez ma coiffeuse Rita : musclé comme un malfrat albanais, le mec, et tatoué à l’avenant.
    Dernière nouvelle : Nicolas Feuz vient de signer chez Joël Dicker, où paraîtra son prochain opus, mais pour l’instant c’est un recueil de petites horreurs parues ici et là qu’il nous propose avec une préface d’une page de son rival et ami Marc Voltenauer, lequel ne s’est pas trop foulé avec son salamalec...
    Or ce recueil, me semble-t-il, recèle la clef de la faiblesse du roman noir romand illustré par les trois lascars : trop de gore !
    Trop de violence charcutière mal apprêtée, trop de saloperies en série (Jean-Patrick Manchette a souligné le premier le danger que représente la figure du serial killer dans la banalisation du crime), trop de férocité de mauvais cinéma chez le personnage du superméchant Skënder, dans Cendres ardentes (alors qu’une seule apparition du Stavroguine des Démons de Dostoïevski suffit à nous glacer le sang), et trop de sophistication sanglante dans l’improbable tueur de Cruel, sans parler des multiples «goritudes » de Nicolas Feuz dans ses romans sanguinolents à souhait.
    Mais le pompon du « proc » gît dans certaines de ses nouvelles, dont le gore est tellement excessif que son oreille comique pointe. Et si Monsieur le procureur en avait trop vu pour rester sérieux ? Et si, comme l’un des protagonistes de Nicolas Verdan, un rire irrépressible le faisait pousser tout au plus que noir ? Et si la plongée de Marc Voltenauer dans le Darknet n’était qu’une compulsion, largement partagée par son public le lisant dans son jacuzzi, avant de rejoindre son mari dans sa contemplation d’un coucher de soleil jadis salué par la vache d’Edouard Burnand ?
    L’interrogatoire se poursuivra dans nos bureaux de la Blécherette, avec nos collaboratrices et collaborateurs dûment formés à Savatan, etc.
     
    Marc Voltenauer. Cendres ardentes. Slatkine & Cie, 397p.
    Nicolas Verdan. Cruel, Tenebris, 453p.
    Nicolas Feuz, Les Passeurs. Oka'Poche, Tenebris.
     
     

  • Compagnon de route

    IMG_2768.JPG

     

    Au libraire écrivain dit Le Greco

     

    Ce petit livre acheté 300 francs anciens
    rue de la Huchette à Paris,
    m'aura suivi partout,
    perdu et retrouvé;
    il est trempé d'eau de pluie
    et salé par les embruns,
    il a vu les sept péchés et les huit splendeurs,
    et des auteurs qui me sont chers
    le citent volontiers.

     

    Je l'ai perdu maintes fois à travers les années,
    et retrouvé entre deux fièvres et trois délires;
    c'est une main amie maintes fois lâchée
    et retrouvée au hasard des chemins;
    c'est un recours en grâce souvent oublié,
    mais l'adverbe souvent s'efface,
    et demain se fait plus proche:
    se rapproche la menace.

     

    À chaque fois que je reprends
    la lecture de ce petit livre
    qui dit tout et plus encore
    de ce que tous nous sommes -
    à jamais nous croyant
    innocents éternels -
    à chaque fois ce petit livre racheté l'autre jour,
    pour 3 francs actuels, chez Molly & Bloom,
    me trouve plus vivant.

     

    (1966-2016, en relisant Ascèse de Nikos Kazantzaki)

     

  • Pendant que tu dormais

    1377599.jpg

     

    « A une époque nous avons tous été des étoiles »

    (Lim Chul-woo)

     

    On n’est pas vivant très longtemps

    sur la terre légère

    qui roule là-bas sous le vent

    des espaces contraires...

     

    Vu du ciel comme on l’appelle

    on a l’air de flotter,

    alors qu’on a les pieds liés

    aux chaînes et nécessités

    du moment à passer...

     

    La relativité partielle

    dont se rient les gazelles

    en sautant à travers le temps

    ne nous empêche pas

    de souffrir de tout ce savoir

    qui nous donne des ailes,

    alors que le temps d’un soupir

    s’est comme évanoui

    le temps a peine de s’éveiller...

     

    Malgré tous nos fous rires

    et nos tendres sourires

    d’innocents venus et passés,

    nous ne pouvons plus oublier

    ce que nous faisions là:

    nous sommes attachés,

    et l’idée seule qu’on nous arrache

    à nos jouets nous fâche -

    nous aimerions nous attarder...

     

     

    De là je vois mon endormie

    rêver au lent voyage

    dans cet autre pays

    sans âge où toutes les étoiles

    se promènent et surnagent,

    et je bénis le ciel

    comme l’appellent les enfants

    et les sages aussi,

    dans le frémissement de voiles

    des jours et des nuits

    de protéger sa bonne étoile... 

    Peinture: Vassily Kandinsky

  • Accroche le mot au nuage

    766745610.JPG
     
    Les mots sont là pour s’étonner,
    venus du fin des âges,
    au temps des anges émus
    sans ailes ni messages...
     
    La muse a délivré la nuit
    des mots les plus secrets,
    qui retenaient, sous le déni
    tant d’aveux interdits...
     
    Les mots s’embrochent et recomposent,
    en rondes et en croches,
    les mélodies, de proche en proche,
    des enjambées en prose...
     
    Les mots n’existent pas
    sans le chant qui ruisselle,
    ou monte vers le ciel
    dont on ne perçoit que l’aura...
     

  • À l'aube revenue

    Aube27.jpg
     
     
    Nous retournerons au jardin:
    nous aimons les lointains
    que déroulent sur les plafonds
    certaines projections
    où comme les écailles aux yeux
    soudain relevées
    se voient les vagues mouvements
    des mouvantes batailles
    d’ombres montées des avenues
    ou comme des lumières
    éclairant nos berlues...
     
    Jadis on se fiait au ciel,
    interrogeant tantôt
    le foie d’un mouton innocent
    ou le vol des oiseaux;
    on était naturellement
    à l’écoute du Temps
    et des divers dieux capricieux:
    la Grande Ourse a porté les noms
    qu’on lui aura donné
    dans les continents séparés,
    le Grand Chariot passait
    devant le cercueil des pleureuses,
    et délivrée de ses douleurs
    la Terre se disait heureuse
    à la naissance de l’enfant...
     
    Ta joie de ce matin rayonne,
    tu ne sais pas pourquoi:
    ton âme douce au corps frissonne
    à l’idée de partir
    demain jusques à Babylone,
    tout au bout du jardin
    d’où l’on a vue sur les étoiles -
    et tout le baratin…
     
    (Image JLK: l'aube à La Désirade)